« Le recrutement est devenu un rapport de séduction dans les deux sens, il faut le manager même pendant l’intégration. » Dressant ce constat, Jimmy Sephiha, DRH de BH Groupe (Corbas, 69), a renforcé l’accompagnement des managers, parfois surpris par les attentes des candidats et salariés. Il n’est pas le seul : « Depuis quelques années, les générations qui arrivent sur le marché du travail ont de nouvelles aspirations – qui sont en réalité celles de toute la société mais qu’ils expriment plus concrètement et fortement, note Benoît Havez, DRH de la Business Unit (BU) GMS du groupe Stef. La crise de la Covid n’a fait qu’amplifier celles-ci ».
Première d’entre elles : l’authenticité. C’est le premier point qu’Olivier Hiceb, délégué régional de la FNTR en Aquitaine, a retenu de la journée professionnelle qu’il a organisée sur le sujet en juillet : « Ces générations ne veulent plus de rapports de subordination qui les infantilisent », note-t-il. Jimmy Sephiha le confirme : « Ils expriment tout de suite leurs attentes. » Pour y répondre, BH Groupe a revu son process d’intégration et outillé ses managers pour les entretiens d’évaluation. « Nous leur rappelons aussi la nécessité d’avoir des temps d’échange, au moins une fois par mois, avec les nouveaux arrivants », ajoute-t-il. Selon lui, « les managers sont réceptifs à cette méthode, car ils en ont des retours positifs ». Thibault Izaret, président de la société éponyme (Saint-Junien, 87), incite lui aussi ses encadrants à de tels entretiens, « même deux ou trois jours après l’embauche, et à être très honnêtes sur les missions ». Il fait les mêmes demandes à l’équipe de tuteurs-moniteurs, qu’il a renforcée d’un à deux ou trois par agence.
Pour lui, ces échanges permettent aussi « d’être à l’écoute des changements dans la vie privée – arrivée d’un enfant, divorce… – pour anticiper les problèmes ». Car une autre attente croissante est la flexibilité. D’un côté, « les jeunes sont très attachés au planning, assure-t-il. Il faut leur donner une vision sur plusieurs semaines et s’y tenir, parce qu’ils veulent organiser leur vie privée ». Mais ils attendent aussi de pouvoir partir plus tôt ou de télétravailler en cas de besoin… Pas toujours facile de s’adapter aux desiderata de chacun. C’est pourquoi Thibault Izaret expérimente une organisation où certains peuvent faire leur semaine en 4 journées de 10 heures. « J’ai l’impression que cela fait pencher la balance en notre faveur lors des recrutements, observe-t-il. Et je peux toujours les rappeler, en cas de besoin, pendant leurs 3 jours de repos. » De son côté aussi, Benoît Havez réfléchit à adapter les horaires d’équipes, selon les possibilités, « pour répondre notamment aux attentes des jeunes parents de coller davantage aux horaires d’école », imagine-t-il.
Cette évolution « ne signifie pas que les jeunes salariés sont moins engagés, pointe Olivier Hiceb. Le travail n’est plus au centre de leur vie, mais ils ne veulent plus y être traités comme des pions ». Ce qui implique une attention renforcée aux conditions de travail. C’est l’un des buts du séminaire des conductrices que XPO organise depuis deux ans : « Elles nous font des remontées d’informations permettant des améliorations bénéfiques pour tous », se félicite Gaëlle Provensal-Raoux, vice-présidente chargée des RH. De son côté, FM Logistic a reçu cette année le prix des leaders bienveillants du Salon Préventica pour son programme de bien-être, santé et sécurité au travail (Besst). « La crise de la Covid nous a conduits à accentuer le volet qualité de vie au travail, sur lequel des initiatives de managers apparaissaient (lumino ou aromathérapie, espace sport, séances d’ostéopathie, massages assis…), explique Audrey Thum, directrice du département Besst. Nous les avons recensées, structurées et étoffées. »
Les salariés aspirent aussi à une responsabilisation accrue. De fait, Stef valorise plus qu’avant les missions transversales (référent handicap ou intégration, par exemple). « Les jeunes – et même de plus âgés – ont envie de co-construire avec la direction de leur site, sur des sujets opérationnels, dans une relation horizontale, assure Benoît Havez. Nous travaillons donc à la mise en œuvre d’un nouveau modèle managérial. Pour les directeurs de sites, notamment, une posture de coach est désormais sous-tendue par le rôle de manager. » De son côté, dans le cadre de sa certification ISO 45000 (santé-sécurité au travail), FM Logistic fait participer les salariés aux choix de nouveaux matériels ou équipements, de réaménagements de locaux, etc. « On l’a vu pendant la crise de la Covid, les gens veulent donner du sens à ce qu’ils font. Il faut donc les rendre acteurs », explique Audrey Thum. De même, chez XPO, un programme permet de partager et de récompenser de bonnes pratiques. « Les collaborateurs peuvent aussi proposer la valorisation de l’initiative d’un collègue », assure Gaëlle Provensal-Raoux. Même les Transports Izaret, avec 620 employés, adoptent ce management participatif : « Les salariés veulent plus de coopération interne, rapporte Thibault Izaret. Ils sont aussi parties prenantes des avancées pour la protection de l’environnement : contrairement à ce qu’il se passait il y a dix ans, les conducteurs sont preneurs de véhicules au gaz bio ou au B100. »
Autre levier utilisé pour répondre à la quête de sens : la mise en avant de l’utilité sociale du transport et de la logistique. Celle-ci est la source de fierté des conducteurs des Transports Jourdan, qui, depuis six ans, peuvent la démontrer à leurs proches, en les emmenant sur la route à l’occasion de la Journée des familles de l’entreprise. « Cela met en lumière le côté challengeant du métier, les délais à tenir, les échanges avec toute une communauté… », explique leur dirigeant, Alexandre Petit. Chaque année, les participants sont plus nombreux… À tel point qu’à leur demande, les sédentaires vont avoir leur propre « journée portes ouvertes ». Chez STEF, « la raison d’être du groupe, qui est d’approvisionner la population en produits alimentaires, et sa politique RSE sont importantes, explique Benoît Havez. Mais les salariés sont également demandeurs de proximité ». Les directeurs et RRH de chaque site organisent donc chaque mois un événement local : animation dans le cadre de la semaine du handicap ou d’Octobre rose, challenge sécurité…
Ces événements visent aussi la convivialité, car l’esprit collectif revient, lui aussi, en force. Là encore, les managers sont à la manœuvre. Pour les aider, FM Logistic leur diffuse un kit contenant méthode et outils pour monter un tournoi de pétanque, un blind-test musical ou autre « Happy déj ». « Il y a vraiment une demande d’humaniser la relation de travail, confirme Jimmy Sephiha. Nous proposons à nos collaborateurs de participer ensemble à des événements sportifs, non pas pour du Team Building où les gens se sentiraient évalués, mais pour qu’ils se rencontrent. » Depuis l’été 2022, BH Groupe a aussi créé un réseau social interne. « Les salariés se sont très vite emparés du partage de photos, se réjouit le DRH. Sans cela, certains, qui prennent leur poste à l’aube sur un parking, loin du siège, manquent de contacts. Or ils ont besoin de s’exprimer. »