Bordeaux Métropole et le collectif Garonne Fertile ont organisé, ensemble, une deuxième opération pour tester les conditions de transport fluvial alimentaire depuis l’hinterland (Damazan) et de déchargement au cœur de la ville. Le manque d’infrastructures en Nouvelle-Aquitaine reste le principal frein alors que les chargeurs sont en demande. Bilan de Garonne Fertile 2.
Au bord de la Garonne, au centre-ville bordelais, le 5 octobre 2022, une grue-ponton de 30 mètres de haut décharge la cale d’une péniche, amarrée à couple. Comme un surgissement du passé et sous les yeux ébahis des passants, trente-cinq palettes de produits alimentaires sont déposées sur le quai Richelieu dans un espace délimité par quelques barrières Vauban.En 24 heures, douze tonnes de légumes, de conserves et de produits d'épicerie ont été acheminées par bateau depuis le Lot-et-Garonne, puis livrées à Marmande, Langon, dans 16 magasins Biocoop du centre-ville de Bordeaux, un restaurant et des cantines collectives.Longtemps occupé par des entrepôts, le désormais très arboré quai Richelieu est aujourd’hui dédié à la circulation piétonne et cyclable. Ce jour-là, il est le théâtre d’un ballet de vélos-cargo et de camionnettes biogaz mené par les Ateliers Remuménages. Une double expérimentation est en cours face aux élus de la région venus nombreux : la deuxième édition de Garonne Fertile, un transport fluvial alimentaire, articulé à l’un des trois tests d’implantation de sites de logistique fluviale urbaine menés concomitamment par Bordeaux Métropole. Et pour ces deux opérations complémentaires, une organisation à deux têtes : la Mission Fleuve de la métropole et le collectif Garonne Fertile.« Ce voyage nous voulons le pérenniser, annonce Christophe Delpino, chargeur pour Garonne Fertile et gérant du magasin Biocoop-Chartrons. Nous savons maintenant que nous pouvons charger une péniche par mois ». Sur place, les moyens mis en œuvre étonnent, notamment la taille de la grue. « Pour pouvoir livrer plusieurs fois par jour, même à marée haute, il nous faut un très grand emport. Le marnage est important à Bordeaux et pour un déchargement en centre-ville, il sera impossible de poser une grue sur les quais », répond François Le Gac, directeur de la Mission Fleuve de Bordeaux Métropole qui pose ici les jalons d’une future logistique urbaine fluviale.
Biocoop en route vers le fluvial
Composé du transporteur la SAS l’Equipage (péniche Tourmente), des restaurateurs Casa Gaïa, de la coopérative Manger Bio Sud-Ouest, des associations Vivre le Canal et Hydrogène Vallée, de la communauté des communes du Confluent et des coteaux de Prayssas, le collectif Garonne Fertile a relancé un nouveau voyage à la demande de chargeurs. « Mais aussi pour avancer et pour trouver des solutions collectivement et avec des petits acteurs », relève Mounir Créanza, architecte et fondateur de Casa Gaïa.L’édition 2021 avait aiguisé l’intérêt de Christophe Delpino qui représente le réseau Biocoop en Gironde. À l’issue du premier Garonne Fertile, le gérant dépose le projet d’expérimenter le fluvial pour livrer Langon, Marmande et Bordeaux auprès des instances régionales Biocoop. « Maintenant, nous aimerions dupliquer l’opération avec les magasins de Toulouse puis le porter au niveau national », dit-il.Pour Benjamin Labelle, directeur de MBSO, chargeur fondateur de Garonne Fertile, l’opération est tout autant prometteuse : « Même si c’est toujours très coûteux en énergie et en temps, ce nouveau voyage a permis des avancées techniques. Nous avons transporté du froid, amélioré les conditions de voyages avec des caissons et gagné en temps d’acheminement et de manutention avec les grues ».Pour le transporteur, Jean-Marc Samuel : « Il faudra massifier et avoir une offre de transport régulière ». Président d’Aigr pour le fluvial (APLF), il défend le petit gabarit et le fret interbassins : « Dans ces régions, l’usage des voies d’eau est si méconnu que tout est à reconstruire. Depuis Damazan, aucun quai ne serait accessible sans ces opérations médiatiques et exceptionnelles. Ils sont soit occupés par la plaisance, soit hors-service. Et pour rendre les voyages viables, il reste de nombreux chargeurs potentiels, non informés, non contactés ! »
Aligner les acteurs politiques et du monde économique
De nombreux flux industriels ont été identifiés dans une étude portée par l’intercommunalité de Damazan (CCCCP), partenaire de Garonne Fertile aux côtés de la région et de l’Ademe.Pour Adeline Charré, aux manettes du développement économique de la CCCP, « l’alimentaire pourra être le complément pour que le retour d’une péniche soit viable ». À Bordeaux, elle est venue chercher des soutiens pour la construction d’un quai à Damazan : « Nous sommes un facilitateur pour que le fret fluvial revive mais notre rôle reste avant tout tourné vers l’aménagement de territoire ». Lors du déchargement à Langon, les élus et l’assistant du sénateur de la Gironde, Hervé Gillet, ont uni leur voix : « Nous devons remettre l’activité du fleuve dans nos priorités ». Un alignement nécessaire avec des acteurs économiques qui ne veulent plus attendre. « Nous voulons remplacer les camions. Livrer les magasins le long du canal participe de la viabilité du projet. Il faut miser aussi sur des acteurs proches du dépôt et pas seulement ceux de l'agglomération bordelaise », précise Yaël Borowski, gérante du Biocoop de Marmande.Côté Bordelais, les passants n’ont pas perdu une miette de la valse des palettes. « Il faut redéployer le fluvial mais aussi le ferroviaire », commente un Bordelais qui a aussi assisté à la table ronde de l’après-midi. Si la multimodalité s’invite dans les esprits, Mounir Créanza et sa compagne Clémence Bardaigne, chercheure sur les questions d’alimentation et de circuits-courts, ne veulent pas attendre que tout arrive d’en haut : « Les livraisons par le fleuve sont une évidence. Tous nos produits sont récoltés en bord de canal et de Garonne, on a même voulu acheter un bateau. L’organiser aujourd’hui, c’est aussi penser à la solidarité des territoires. D’ailleurs, le fleuve est un lien ».
Vers une troisième édition
De l’opération, Jean-Marc Samuel retient l’effort qui reste à mener : « En observant les opérations, nous pouvons imaginer les espaces et les outils de logistiques manquants ». Pour François Le Gac, les deux tests permettent de mieux se projeter : « Nos quais ne sont pas adaptés. ll y a trop de monde dans le centre. Nous devons discuter avec le grand port maritime de Bordeaux par exemple, mais aussi transformer la ville. Il faudra massifier et adapter des aménagements pour le plus grand nombre d’acteurs. Nous allons proposer une ingénierie et plusieurs stratégies. Dans tous les cas, il est nécessaire de créer des pontons et de les équiper en grues. Chacun des interlocuteurs peut agir en fonction de ses compétences ».En attendant, les membres du collectif Garonne Fertile imaginent déjà une troisième édition pour inclure des territoires demandeurs, tels que « Val de Garonne Agglomération avec son projet alimentaire de territoire et ses nombreuses filières nourricières qui tape à la porte».