Bilan et perspectives de « Garonne Fertile »

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Expérimenter collectivement le transport fluvial alimentaire sur le canal de Garonne, c’est le défi que se sont lancé des acteurs privés et publics en Nouvelle-Aquitaine. Le collectif dresse le bilan de l’opération « Garonne Fertile » de mai 2021.

L’idée d’expérimenter un fret alimentaire entre Damazan et Bordeaux a germé dans la tête de Benjamin Labelle, directeur de Manger Bio Sud Ouest (MBSO). Cette société coopérative approvisionne le secteur de la restauration privée et collective de la région bordelaise en produits régionaux et biologiques. Créer une logistique intégrant les valeurs de l’entreprise s’est imposé lors d’une rencontre interprofessionnelle sur le fluvial organisée par le syndicat Valorizon à Damazan. Engagé dans la relance du fluvial pour son projet d’EIT (écologie industrielle territoriale), Valorizon a créé Compas 47, un regroupement d’industriels lot-et-garonnais pour le retour du fluvial. Ces initiatives suivent le sillon du Tourmente, le bateau qui relie Bordeaux et Sète depuis 2012 pour dynamiser le fret fluvial dans le Sud. En quelques mois, autour de Benjamin Labelle, un collectif privé et public se monte avec des restaurateurs bordelais performants sur les circuits-courts (Casa Gaïa), l’association Vivre le Canal qui affrète le Tourmente, son capitaine, Jean-Marc Samuel (Agir pour le fluvial), Hydrogène Vallée, acteur local pour le développement des transports bas-carbone et Valorizon. L’opération se dote d’une image. Un appel est lancé auprès de producteurs- chargeurs. L’enjeu est de tester les chargements, les conditions de navigation, les déchargements et les livraisons au dernier kilomètre. L’opération prévoit des débats et des ateliers thématiques pour rassembler les forces vives et évaluer les freins et les opportunités.

Le retour du fluvial est salué

Trente-cinq chargeurs répondent à l’appel pour quinze clients. En trois points de chargements Damazan, Meilhansur-Garonne et Castets-en-Dorthe, où les bateaux de plaisance ont dû laisser leur place au Tourmente, la cale se remplit de palettes. Direction Bordeaux, le Tourmente rejoint les bassins-à-flots, ouverts exceptionnellement par le grand port maritime de Bordeaux. Le voyage finit au ponton d’honneur pour asseoir une visibilité publique. Un marché de plein vent est organisé pour des producteurs embarqués. Le voyage prend une tournure médiatique, le maire de Bordeaux, Pierre Hurmic, monte à bord pour l’entrée dans cette ville, et la maire de Saint-Loubès sur la Dordogne affrète un voilier pour les derniers kilomètres vers la cantine collective. A chaque escale, le retour du fluvial est salué et les collectivités s’accordent sur « l’impératif du fluvial ». Sont alors évoqués : « engorgement des routes, résilience alimentaire et solidarité des territoires, évidence d’une logistique fluviale pour un transport et des productions respectueux des territoires ». Dans le bateau, épicerie, farines, pâtes, lessive, vins… Des fermes et des domaines viticoles sont partants pour un transport plus éthique et mutualisé. Ce test a permis à l’équipe de se confronter à une multitude de contraintes logistiques. En chargeant des volumes et des formats multiples (colis, palettes) depuis différents sites et à destination de plusieurs points de déchargements, le collectif a dû faire preuve d’adaptabilité pour tenir les délais fixés. Du petit matériel a dû être conçu et construit pour être adapté au bateau et aux quais. A bord du Tourmente, l’utilisation d’un gerbeur électrique ainsi qu’un transpalette manuel a été nécessaire. Les besoins humains pour réaliser cette opération ont été importants. Le rapport préconise l’installation de grues à bord ou sur les quais. Aux ports, la logistique s’est avérée complexe. L’absence de point de stockage à proximité est pesante pour les chargeurs et les transporteurs. Le type de marchandises a été contraint par l’absence d’équipements frigorifiques et le déchargement manuel ou avec utilisation du gerbeur électrique. A Bordeaux, il a fallu multiplier les modes de déchargement avec manitou, gerbeur manuel et diable. « Sans un équipement adapté, une grande partie des flux alimentaires se trouvent absents du circuit logistique fluvial et se retrouvent déportées sur les voies routières », détaille le rapport. Le pré-acheminement des produits a été pris en charge par les producteurs. La logistique a pu être organisée grâce au bon fonctionnement du réseau professionnel et une mutualisation. Une solution logistique est envisageable avec des points relais ainsi qu’une mise en commun du fret. Pour le post-acheminement, les livraisons ont été réalisées en vélos-cargo, et véhicules légers types électriques ou gaz.

Une étude sur le canal de Garonne

Cette opération a permis des mises en relations entre transporteurs, chargeurs, opérateurs du fluvial, acteurs du transport des premier et dernier kilomètres (comme K-ryole récemment implanté à Meilhan-sur-Garonne et l’atelier Remuménage à Bordeaux). Le voyage a permis de réunir sur un même plan d’implication et d’investissement tous les maillons de la chaîne logistique : producteurs, coopératives, transporteurs, distributeurs, aménageurs, distributeurs. Cette approche a permis d’associer un potentiel technique, des bases de connaissance du fluvial, des réseaux, des visions techniques et politiques, depuis le territoire jusqu’aux collectivités. Garonne Fertile a démontré l’écart entre la difficulté d’identifier des flux potentiels et la volonté institutionnelle du retour du fluvial. Le rapport signale que « la relance du fluvial est un sujet qui interpelle depuis plusieurs années. L’étude de VNF de 2016 mettait déjà en lumière cette dynamique ». Très présents, les élus se sont harmonisés pour exprimer leur vision. La communauté des communes de confluent et coteaux de Prayssas (CCCCP), Valde- Garonne agglomération, la ville et la métropole de Bordeaux, le port de Bordeaux et la région Nouvelle Aquitaine ont soutenu techniquement ou financièrement le voyage et tous ont participé aux rencontres. VNF via son plan d’aide au report modal (Parm) a été le plus important financeur. Aujourd’hui, une étude est en cours pour la CCCCP afin de définir les conditions techniques et financières de la relance du fluvial. La mairie de Bordeaux prévoit des « rencontres sur le fluvial » pour 2022. Tous les producteurs ont salué l’initiative et 75 % souhaitent poursuivre. L’intérêt d’un tel test est aussi son essaimage sur d’autres territoires comme autour de Toulouse où un collectif se mobilise pour reproduire cette initiative.

Paroles de producteurs

« Oui, les réseaux routiers sont encombrés, les producteurs perdent aussi du temps à livrer. La péniche offre un moyen de polluer moins mais aussi, à terme, de faire gagner du temps à tous ».

« Si pour les produits frais nous voulons des délais courts, pour le sec, nous ne sommes pas à un jour prêt et le fait que ce soit livré par mobilité douce est complètement en adéquation avec notre positionnement ».

« Le transport fluvial a un côté « slowlif », qui nous a plu ! »

« Besoin de communiquer davantage, d’expliquer les raisons du fluvial. Les commentaires sur les réseaux sociaux ont montré que les gens ne comprenaient pas forcément l’utilité de la chose et les avantages que ça pouvait avoir ».

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