On ne va pas bouder le plaisir ni la satisfaction : les résultats 2023 des ports de Calais et de Boulogne-sur-Mer, présentés le 18 janvier 2024, sont positifs pour le Transmanche côté fret comme tourisme ; le bémol concerne l’activité « commerce » de vracs. Calais reste le leader pour le Transmanche, Boulogne pour la pêche ; tous les deux constituent depuis 2015 un port unique sur deux sites. Ce sont des ports dits décentralisés, propriété de la région Hauts-de-France qui en a confié la gestion à la socitété d'exploitation des ports du détroit (SEPD) dans le cadre d'une délégation de service public.
« 2023 est une année de consolidation à Calais, tout va mieux par rapport à il y a deux ans, nous étions alors très inquiets », a commenté François Lavallée, président du conseil d’administration. Il a souligné quelques faits marquants de 2023 comme le retour d’activités qui avaient quitté le port depuis plusieurs années, l’arrivée d’un nouveau ferry de P&O (Pioneer) en lien avec les ambitions de « décarbonation » du Transmanche sur le détroit du Pas-de-Calais et dans laquelle est aussi engagée DFDS. Une embellie qui fait suite à une situation en demi-teinte en 2022 et contrastée en 2021 qui a aussi été l’année de la mise en service de l’extension du port.
Les résultats pour le Transmanche
Le tourisme retrouve nettement des couleurs en 2023, première année complète d’activités depuis le coup d’arrêt donné par la pandémie en 2020, 2021 et encore au premier semestre 2022.
- 7,26 millions de passagers ont été recensés en 2023 soit une hausse de +41% comparativement à 2022.
- 1,3 million de véhicules de tourisme, soit +33%.
- 60 000 autocars, soit + 85%, ici Calais détient 70% du marché.
Toutefois, le diable se cache dans le détail, ces trafics demeurent chacun encore en retrait de -10% à -15% par rapport au niveau de 2019 (avant la crise Covid).
Le fret affiche, quant à lui, une belle performance, dépassant les chiffres de 2019 et offrant à Calais une croissance de sa part de marché.
- 1 809 813 unités de fret (poids lourds et remorques non accompagnées), en progression de +10% en 2023 par rapport à 2022.
« On revient au niveau de 2019 », a souligné Benoît Rochet, directeur des ports de Boulogne et de Calais, qui l’explique notamment par la mise en service du nouveau port, un outil neuf et performant, mais aussi à l’accord entre DFDS et P&O pour davantage de capacité.
Ce nombre d’unités permet aussi à Calais « de passer d’une part de marché comprise ces dernières années entre 44 et 46% à 50% alors que l’ensemble du marché se replie de -2%. Un peu plus d’un camion sur deux emprunte la liaison Calais-Douvres », a ajouté Benoît Rochet.
- Il faut noter toutefois que sur le total, les remorques non accompagnées (55 010 unités) sont à la peine (-12%) par rapport à 2022 qui avait été une année record). Pour le responsable, les transporteurs ont privilégié l’activité ferry au détriment du non-accompagné en raison d’une moindre pénurie, sans doute temporaire, de chauffeurs routiers.
Le service non-accompagné de DFDS en a fait les frais, réorienté de Sheerness vers Tilbury à l’été 2023, puis arrêté en fin d’année. « Cela ne veut pas dire qu’une telle ligne dédiée au non-accompagnée ne reste pas pertinente à l’avenir », a estimé le directeur général.
Autoroutes ferroviaires. Avec 41 641 remorques et conteneurs (+1%), l’activité de VIIA résiste par rapport aux résultats en berne du transport combiné en 2023 (-20%) au niveau national. Le résultat pour les autoroutes ferroviaires est très en deçà des objectifs fixés qui étaient de +15% en 2023 comparativement à 2022.
Selon Benoît Rochet, pour le non-accompagné, c’est aussi un sujet de changement de mentalité : « Il est encore dans les esprits des transporteurs une solution de repli et non pas une option prioritaire ».
Au total, les activités Transmanche ferries et RoRo (tourisme et fret) affichent un total d’un peu plus de 42,79 millions de tonnes (+10%).
Les vracs des terminaux de commerce. Les terminaux dits de commerce de Boulogne-sur-Mer et de Calais affichent des baisses en 2023 par rapport à 2022 :
- 642 501 tonnes ont été traitées à Boulogne-sur-Mer (-2%) avec toujours une part prépondérante de l’export (486 042 tonnes) comparativement à l’import (156 460 tonnes). Les marchandises sont les pierres à chaux et la chaux vive pour la Suède, du sable et du sel de déneigement à l’import.
- 590 876 tonnes ont été traitées à Calais (-2%) et sont quasi intégralement destinées à l’export : pierres à chaux et agrégats vers la Suède, le Danemark et le Royaume-Uni.
Le total cumulé des deux terminaux de commerce atteint 1,89 million de tonnes en 2023 pour 1,91 million de tonnes en 2022.
Le tonnage total des activités Transmanche ferries et RoRo + des autoroutes ferroviaires + des terminaux de commerce est de 44,72 millions de tonnes (+10%).
Les faits marquants
Le retour d’activités historiques. L’année 2023 est marquée par le retour d’une activité qui avait quitté le port de Calais en 2015 : les voitures neuves avec le groupe Charles André qui a démarré ses flux au dernier trimestre. « Ce ne sont pas des trafics ponctuels mais de moyen à long terme pour de l’import et de l’export et non pas l’utilisation d’une surface du port pour quelques mois comme si c’était un parking », a dit Benoît Rochet.
Le groupe Charles André a signé un contrat pluriannuel avec Stellantis et a mis en place deux flux :
- à l’import depuis Vigo de véhicules pour approvisionner les concessions du constructeur dans le Nord de la France et le Benelux,
- à l’export depuis Valenciennes pour livrer à l’Algérie des véhicules utilitaires.
Le total de trafic escompté pour 2024 est de 40 000 véhicules, voire davantage si des développements se concrétisaient vers la Grande-Bretagne où Stellantis est présent.
L’autre activité historique relancée en 2023 relève de la construction navale et de la remise en service de la cale de radoub de la Socarenam à Calais qui n’avait plus été utilisée depuis 15 ans. Il s’agit pour cet industriel de répondre à des commandes de vedettes et patrouilleurs pour la Marine nationale, la gendarmerie. Les activités de la Socarenam à Calais ne font concurrence à celles à Boulogne-sur-Mer, a insisté le directeur général…Il y a toujours un risque de susceptibilité entre les deux sites portuaires même s’ils sont rassemblés sous la même bannière.
Les investissements. En 2023, les investissements à Calais ont atteint 7,5 millions d’euros pour des travaux d’achèvement dans le nouveau port et d’entretiens divers.
Il ne faut pas oublier 1 million d’euros consacré en 2023 à la préparation du dispositif européen de contrôle des frontières (EES) c’est-à-dire la mise en place de la vérification biométrique pour les ressortissants des pays tiers (dont la Grande-Bretagne), conformément à une législation européenne.
En 2024, ce sont 5 millions qui seront consacrés à l’EES au port de Calais (sur un total de 11 millions), l’objectif étant une mise en service à l’automne 2024 « éventuellement de manière progressive », selon le directeur général. Il reste à voir si les choses avanceront au même rythme du côté de Douvres. Il faut relever que l’EES va marquer la fin de toutes les mesures à instaurer en lien avec le Brexit.
Transition énergétique du Transmanche
Les deux compagnies P&O et DFDS avec les ports de Calais, de Dunkerque et de Douvres ont signé en 2023 un protocole d’accord qui porte l’ambition partagée de parvenir au « zéro émission de carbone » dès 2030 (et non pas 2050).
Le choix de l’électricité. Sur le Transmanche entre Calais et Douvres, caractérisé par une courte distance, le choix a été fait de l’électricité pour les ferries.
Le Pioneer de P&O, hybride diesel-électrique, en service depuis 2023 en est la première concrétisation, un deuxième, le Liberté vient de quitter la Chine le 15 janvier 2024 et devrait entrer en service au printemps sur le détroit.
DFDS travaille de son côté à un modèle de ferry 100% électrique avec l’objectif de remplacer pour 2030 les trois unités actuellement en service entre Calais et Douvres. La compagnie n'a encore rien arrêté en matière de forme, a confirmé sa volonté de commander des ferries électriques qui opéreront sur le détroit où la courte distance rend l'électricité pertinente ; pour ses autres lignes, plus longues, le modèle envisagé est autre.
Un impératif. Pour le port de Calais, il s’agit de préparer le branchement à quai pour la recharge des ferries avec un impératif non négociable : ne pas augmenter le temps imparti pour les escales (45 minutes). Et si ce temps parvient à être diminué, cela permettrait de réduire la vitesse en navigation (slow steaming) et donc davantage d'économie d'énergie et d'émissions. A cet impératif de rapidité, s’ajoute un besoin de puissance élevé pour la recharge des batteries pour la propulsion (qui n’a rien à voir avec celle nécessaire pour des branchements à quai permettant à des navires de couper leur groupe électrogène). L’approvisionnement nécessaire est évalué à « 120 mégawatts au lieu de quelques mégawatts aujourd’hui », a indiqué Benoît Rochet. L’atout de Calais est d’être situé à proximité d’une centrale nucléaire (Gravelines où il est aussi prévu l'installation d'une nouvelle de type EPR).
Coordination. Les compagnies et les ports avancent ensemble et se coordonnent pour relever ce défi de la « décarbonation » d’ici 6 ans car les installations à terre (potences, prises…) doivent correspondre à celles sur les ferries et inversement. Sur le port de Calais, la réflexion est lancée également pour la mise en place d’un transformateur fixe répondant aux besoins. Les coûts vont être très élevés pour toutes les parties et ne sont pas encore complètement évalués.
Un optimisme prudent est plutôt de mise pour les résultats 2024 du Transmanche pour le fret tandis que le tourisme pourrait ne pas encore retrouver ses niveaux de 2019.