Huit depuis le début de l’année. Il y aurait eu huit sinistres graves de porte-conteneurs dans lesquels les cargaisons auraient une grande part si ce n’est toute la responsabilité. De ce point de vue, le premier semestre 2019 sera sans doute au-dessus de la moyenne historique dans la catégorie « incendies ». Le dernier en date, le 9 août, avec le porte-conteneurs de 10 106 EVP ALP Le Havre, a déjoué les statistiques selon lesquelles un « incendie majeur de porte-conteneurs en mer se produit en moyenne tous les 60 jours » puisqu’il faut remonter au 25 mai pour en déplorer un autre (le KMTC Hong Kong). La comptabilité est sinistre surtout si l’origine des départs de feu est le fait de « tromperies sur la marchandise ». C’est ce que prétendent certains armateurs (alors que certains événements font toujours l’objet d’enquête) qui actionnent la mesure qui fait souvent mouche: la sanction financière pour toutes cargaisons mal déclarées, et ce, de façon indistincte, qu’elles aient été commises avec la volonté délibérée de frauder (pour éviter les coûts et exigences réglementaires supplémentaires), par erreur ou méconnaissance des règles de l’étiquetage et l’emballage des marchandises dangereuses. Une façon de sensibiliser les chargeurs et expéditeurs fret « sur tous les coûts et conséquences liés aux violations (…) afin d’assurer la sécurité de notre équipage, de nos navires et des autres cargaisons à bord », a indiqué poliment Hapag-Lloyd dans une note d’information à ses clients. Le transporteur allemand est directement concerné. C’est l’un de ses porte-conteneurs qui a inauguré de façon spectaculaire l’année le 3 janvier avec l’incendie du Yantian Express si violent que l’équipage avait été contraint d’abandonner le navire, lequel a ensuite été classé en avarie commune avec 320 conteneurs en pertes totales et 460 autres endommagés. On ne peut pas lui reprocher non plus la réaction « à chaud ». Entre 2015 et 2017, le logiciel « profiler », qu’il a développé pour déceler les défauts de déclaration dans son syste`me de réservation, a identifié quelque 11 000 cargaisons mal déclarées.
Conteneur « trompeur »
Cet été, tour à tour, s’ajoutant aux diverses surcharges dont sont coutumières les compagnies en guise d’« ajustement » à leur conditions d’exploitation (bunker adjustment factor, peak season surcharges…), plusieurs d’entre elles ont annoncé le montant de la sanction par conteneur « trompeur » qu’elles comptaient infliger. Et cela va de 15 000 $ par conteneur pour Hapag-Lloyd, qui a expédié près d’un demi-million de marchandises dangereuses en 2018, à 35 000 $ pour le taïwanais Evergreen. OOCL a également choisi de durcir le ton contre les marchandises dangereuses qui ne seraient pas déclarées comme telles en annonçant revoir ses conditions d’acceptation du fret dangereux ainsi que sa politique de contrôle « par des vérifications supplémentaires avant chargement et des inspections aléatoires ». Toute incohérence entre la cargaison déclarée dans les documents et sa réalité constatée entraînera des frais, a indiqué la filiale de Cosco, sans autres indications. Depuis le 8 août, les clients de Maersk doivent cocher une case, obligatoire, pour poursuivre leur réservation sur son site web. Le danois, qui avait revu ses procédures d’arrimage et de chargement suite à l’incendie en mars 2018 du Maersk Honam, dans lequel cinq membres d’équipage ont perdu la vie, force implicitement l’expéditeur de fret à reconnaître sa responsabilité. Le texte à signer est, lui, explicite. « Je confirme en tant qu’expéditeur (ou au nom et en pleine autorité de l’expéditeur) que les marchandises figurant dans cette réservation NE SONT PAS classées comme marchandises dangereuses telles que définies et/ou classées dans le Code maritime international des marchandises dangereuses 2016 (IMDG), qu’elles sont sûres pour le transport par mer, emballées et chargées conformément au Code of Practice for Packing of Cargo Transport Units 2014 ».
Liste noire des fraudeurs
De guerre lasse sans doute car les réglementations existent mais rien ne change. Cela fait des années que l’International Union of Marine Insurance (IUMI), organisation professionnelle hambourgeoise représentant 42 associations d’assurance et de réassurance maritimes, sonne l’alerte rouge et pointe les déclarations « trompeuses » comme les causes premières d’un certain nombre d’incendies. Le récent rapport sur 10 ans de sinistralité maritime produit par Allianz Global Corporate &Specialty (dont la branche Assurance maritime a représenté 11 % du volume de primes, soit 8,2 Md€ en 2018) est un miroir étonnamment grossissant sur cette cause qui prend le pas sur les autres et qu’exacerbent certaines évolutions du transport maritime, telles que le gigantisme des porte-conteneurs.
Deux données effraient si elles sont mises en perspective. L’International Cargo Handling Coordination Association estime à quelque 6 millions le nombre de conteneurs embarquant des marchandises dangereuses transportés par an. TT Club considère que près de 1,3 million de boîtes ne seraient pas correctement emballées ou mal identifiées. L’un des tout premiers assureurs mondiaux de l’industrie du transport et de la logistique va plus loin, estimant que 66 % des incidents liés a` des dommages au fret, dont les cou^ts sont estimés a` plus de 500 M$ par an, peuvent être attribués à des marchandises mal arrimées, emballées ou documentées. Selon le Système de notification d’incident de cargaison (CINS) – base de données partagées depuis 2001 par 17 compagnies maritimes (dont CMA CGM, Hapag-Lloyd, Maersk) qui recense tous les incidents liés au fret – plus d’un quart de tous les incendies signalés sont le fait de mauvaises déclarations, notamment de marchandises dangereuses.
Mais le système vise surtout « à mettre en évidence les risques posés par certaines cargaisons et/ou défaillances d’emballage et de les faire remonter auprès des autorités compétentes à des fins d’amélioration de la sécurité dans l’industrie du transport maritime de ligne ». Et non pas à identifier les expéditeurs. Allianz soutient que des listes noires de « professionnels » de la déclaration erronée de fret – que d’aucuns citent régulièrement comme une solution – circuleraient déjà (une infraction manifeste aux lois antitrust limitant en principe le partage d’informations!).
Face à la « flambée » des incendies depuis le début de l’année, le TT Club a lancé une vaste campagne en faveur de « l’intégrité du fret », selon ses propres termes. Sans autre prétention que de sensibiliser et inciter au partage de bonnes pratiques entre parties prenantes. Et sans doute de capter l’attention de l’OMI sur l’urgence à… légiférer un peu plus.