La décision de la Commission européenne était attendue pour cette fin d’année. La nomination à compter du 1er décembre prochain de l’actuelle commissaire à la concurrence, Margrethe Vestager, à la vice-présidence de l’exécutif européen avec son portefeuille actuel (élargi au numérique), a sans doute activé le process. La Commission européenne a publié le 20 novembre un projet de règlement proposant d’exempter, pour quatre années supplémentaires et sans modifications, les alliances maritimes des règles de l’UE en matière d’ententes et d’abus de position dominante.
Le règlement dit « d’exemption par catégorie » (block exemption), qui a pris le relais des anciennes « conférences maritimes » déclarées illégales en 2008, permet au transport maritime de conteneurs d’opérer en dehors des règles de concurrence. Cette immunité exceptionnellement généreuse accordée il y a plus de 15 ans, et plusieurs fois renouvelée, permet concrètement aux compagnies maritimes, réunis en alliances ou consortia dont la part de marché combinée est inférieure à 30 %, de coopérer sur le plan opérationnel (partage de capacités, coordination des itinéraires et des horaires, limiter l’offre…). Cette dérogation est octroyée en vertu d’un postulat : les économies d’échelle qui en découlent et les conditions d’exploitation qui s’ensuivent – « services de transport plus viables et efficaces financièrement » – profiteraient aux usagers « en termes de qualité, prix, régularité, fiabilité, couverture, fréquence, équipements portuaires ».
Tous les 4 ans, « cette sphère de sécurité » est réexaminée par la Commission. L’actuelle arrive à échéance en avril 2020. La décision européenne tombée ce 20 novembre, au grand soulagement des compagnies maritimes mais au grand dam de ses nombreux détracteurs, met un terme à une phase consultations de plusieurs mois auprès de toutes les parties prenantes.
Des trois options – renouvellement, suppression, modification – celle d’une modification des règles semblait tenir la corde. Manifestement, la Commission a estimé que l’exemption reste en phase avec ce pour quoi elle a été pensée. Le présent règlement entrera en vigueur le 20e jour suivant la publication au JO de l’UE.
Toutefois, la « proposition de règlement » est assortie d’une réserve de quatre semaines, allant jusqu’au 18 décembre. Nul doute que la proposition va inciter les opposants d’hier – chargeurs, organisateurs de transport, manutentionnaires, ports – à ressortir les « dagues » aujourd’hui.
Olaf Merk, qui dirige les travaux l’OCDE sur les ports et le transport maritime dans le cadre de l’International Forum of transport (ITF), est l’un des plus farouches opposants au système, qu’il considère comme « monopsone » dans un secteur déjà ultra concentré. Les quatre premiers transporteurs (Maersk, MSC, Cosco et CMA CGM) apportent en effet 60 % de la capacité mondiale. Trois alliances (2M, Ocean Alliance, THE Alliance) exploitent 95 % de la capacité totale des navires et dominent à 80 % les routes maritimes les plus fréquentées. Dès 2002, l’ITF remettait en cause la théorie selon laquelle fixer collectivement des prix permettait des services de transport fiables.
L’European Community Shipowners’ Associations (ECSA), qui représente les chargeurs au niveau européen, plaidait aussi pour un règlement modifié en souhaitant notamment que le seuil de part de marché soit abaissé à 25 ou 20 % et que l’intégration verticale soit exclue du champ du règlement.
La Feport (opérateurs portuaires) réserve sa communication pour le 27 novembre, date de son assemblée générale.
Le World Shipping Council (WSC), qui représente les transporteurs (90 % du commerce international conteneurisé), a pour sa part toujours argué que, sans ce « cadre juridique simple et flexible », les transporteurs européens ne pourraient pas « jouer » à armes égales. L’organisation rappelle que la ligne régulière conteneurisée transporte chaque année plus de 33 MEVP au sein l’UE, « dont la valeur est estimée à plus de 1,6 Md$ ».
Sans cette immunité conteneurisée, les consortiums et alliances seraient-ils pour autant illégaux ? L’Union européenne ne semble pas prête à y réfléchir…
5 MEVP
Le 5 millionième EVP a été franchi ces jours-ci au Pirée. Il le doit au Cosco Shipping Capricorn. Le port grec devrait solder l’année sur un trafic de 5,5 MEVP. Un « sans-fautes » depuis 2014, excepté en 2015 (– 7 %) : + 13 % en 2014, + 10 % en 2016, + 13 % en 2017, + 18 % en 2018.