Vrac sec : un premier trimestre déréglé

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À l’instar des autres segments du transport maritime, le marché du vrac sec est complètement désaxé. Si la prudence est un principe de survie dans ce marché stellaire aux taux de fret versatiles, il y a néanmoins un ensemble de facteurs inhabituels qui viennent renforcer le sentiment d’un bien étrange premier trimestre.

La croyance est forte chez les acteurs du marché. Tous se plaisent à penser que le vrac sec, qui sort d’un très long tunnel, a fini de forer les bas-fonds. Et certains vont jusqu’à collecter tout indice qui viendrait conforter cette intime conviction : le temps d’un nouveau « supercycle ». Le dernier boom de la navigation pour le vrac sec s’est achevé en 2008. Le secteur sort assommé de la « décennie perdue » qui s’en est suivie. L’offre excédentaire et la demande réduite, qui ont caractérisé l’année 2020, les a encore davantage malmenés. La spirale haussière du cours des matières premières (depuis l'annonce du vaccin Pfizer, les prix montent en flèche), galvanise les analystes et les opérateurs depuis plusieurs semaines.

Reprise vive

En reprise presto dès le dernier trimestre 2020, le segment du transport maritime a connu durant les trois premiers mois de cette année divers tempos mais dans un rythme allegro- mezzo forte. La demande refoulée des commodités de base en 2020 – des céréales au charbon – a entraîné une reprise étonnamment forte de transport maritime, les niveaux de fret et les tarifs d’affrètement atteignant des sommets pluriannuels.

Si la prudence est un principe de vie, voire même de survie, dans ce marché où les taux de fret font le grand écart, il y a néanmoins un ensemble de facteurs inhabituels qui viennent renforcer le sentiment d’un bien étrange premier trimestre pour le vrac sec.  

Habituellement, les plus grands navires du segment – les capesize qui transportent le plus souvent des cargaisons de 150 000 t telles que du minerai de fer et du charbon – traversent les débuts d’année en pavillon bas. Cette année, ils ont fait mieux qu'ils ne l'avaient fait en une décennie, avant toutefois de retrouver leur familière morosité (26 000 $/j à la mi-janvier avant de retomber à 10 300 $ à la mi-février). Rien de surprenant à ce niveau. Les fondamentaux du capesize reposent en grande partie sur le minerai de fer, qui présente le caractère le plus saisonnier de tous les segments du vrac sec (période de maintenance minière, saison des pluies...).  

Anomalies du marché

Plus étonnant, les panamax, les supramax et les handysize ont tous connu un début d'année exceptionnel. Les petits vraquiers ont gagné presque le double des grands vraquiers qui transportent cinq fois plus de marchandises. Ainsi les handysize (jusqu'à 35 000 tpl) – ces « navires mal aimés » comme les nomment parfois ceux qui les opèrent – gagnaient 19 400 $ par jour quand les « cape » étaient honteusement rémunérés 11 700 $, a relevé Clarksons Platou Securities. Les supramax (45 000 à 60 000 tpl) et les panamax (65 000 à 90 000 tpl) ont également été bien rétribués, à 20 700 et 18 800 $/j respectivement 

Cette curieuse inversion du marché a eu d’autres effets : des capesize qui se négocient traditionnellement à un prix inférieur à celui des autres vraquiers, ont été réservés pour transporter des céréales du Brésil, du minerai de chrome d'Afrique du Sud ou des grumes depuis l’Uruguay. Ce qui est extrêmement rare.  

D’autres « curiosités » ont été observées. Ainsi des ultramax chargés d'acier ont-ils entrepris un voyage au long cours depuis la Corée du Sud pour les États-Unis ou la Méditerranée et continent européen. 

Tensions sur la disponibilité des panamax 

Rien de paranormal pour IHS Markit. Les températures glaciales en Asie, le retard des exportations de céréales brésiliennes du fait des conditions climatiques, et la congestion portuaire aiguë en Chine continentale ont contribué à « cet environnement favorable ».

« En raison des taux de fret extrêmement élevés pour les porte-conteneurs au cours des derniers mois, certaines cargaisons ont été préparées en marchandises diverses pour être chargées sur des supramax/handysize », indique la société d’informations économiques. 

Les retards des exportations de soja du Brésil ont en outre créé des tensions sur la disponibilité des panamax sur le marché spot. « Étant donné que les panamax partant du Brésil mettent 40 à 50 jours pour atteindre les ports de déchargement, nous nous attendons à ce que la situation perdure en avril, ce qui indique que les commandes spot non couvertes auront des difficultés à obtenir du tonnage et qu'il faudra peut-être payer plus cher pour les voyages en tonnage/km courts car les armateurs privilégient les voyages au long cours en raison de l'incertitude et de la grande volatilité du marché », ajoute IHS Markit

Les marchés boursiers s’enflamment

Si le caractère anormal du moment ne fait pas consensus chez les analystes, ils sont unanimes à constater la bonne tenue des marchés financiers en écho aux solides résultats du vrac sec au cours des 14 premières semaines de l'année. Le Breakwave Dry Bulk Shipping, fonds négocié en bourse (ETF, fonds d'investissement dont les titres sont négociés comme des actions en bourse) spécifique au vrac s’est envolé de 120 % au cours des trois premiers mois de l'année.  

Dans le même temps, le titre de Safe Bulkers (Nyse) s’est également enflammé (+ 120 %) tandis que les actions de Grindrod Shipping (Nasdaq), de Eagle Bulk (Nasdaq), Star Bulk (Nasdaq), Genco (Nyse) et Golden Ocean (Nyse) ont encaissé des hausses de 63, 59, 55, 45 et 30 %, respectivement.  

Un second trimestre engagé sur la même trajectoire

Et le second trimestre ne semble pas s’écarter de cette trajectoire de croissance. Les taux des capesize ont atteint mi-avril leur plus haut niveau depuis trois mois. L'indice Baltic dry qui suit les taux pour les navires transportant des marchandises sèches en vrac, a bondi de 249 points pour les plus grandes unités des vraquiers, soit 8,6 %, pour atteindre 3 132 points hier. Les revenus journaliers moyens ont ainsi gagné 2 065 $ pour atteindre 25 976 $. 

La course au « cape » se prépare en réalité depuis quelques semaines avec une forte augmentation des chargements observée dans plusieurs pays en mars. L'Inde (1,9 Mt), la Chine (1,4 Mt) et la Russie (3,2 Mt) ont connu leur plus haut niveau mensuel d'exportation de vrac sec chargé sur des capesize, selon les données de suivi AIS analysées par Braemar ACM. 

Dans le même temps, les volumes chargés sur plus les grandes unités des vraquiers ont augmenté de 55 % au Canada et de 127 % en Indonésie par rapport à mars 2020, totalisant 5,6 et 6,3 Mt. En Afrique du Sud et aux États-Unis, ils ont augmenté de 18 % et 30 % en glissement mensuel en mars. C’est à peine si les différends commerciaux entre la Chine et l’Australie à propos du charbon se ressentent. 

Congestion profitable

« Les armateurs de vrac sec qui bénéficient d'un rebondissement bienvenu de leurs bénéfices et de la valeur de leurs actifs doivent se préparer à subir des pressions au cours du second semestre, à mesure que l'impact des mesures de relance chinoises s'estompe et que l'efficacité des ports s'améliore », contraste Maritime Strategies International sans son dernier rapport mensuel Horizon.

Pour MSI, la congestion portuaire n’est pas étrangère aux niveaux spot jamais vus depuis 2010. Selon les données du courtier Howe Robinson, à la mi-mars, 159 navires étaient ancrés dans les principaux ports de chargement de céréales et de soja au Brésil, soit quatre fois plus que la moyenne sur cinq ans. 

L'amélioration de la production industrielle dans le monde étant désormais établie, l'impact de la demande chinoise, stimulée par les mesures de relance, est un facteur essentiel pour les perspectives de revenus des vraquiers. Depuis le début de l'année, la production chinoise d'acier a augmenté de 13 % et les investissements dans les infrastructures de 37 %. Cependant, le gouvernement chinois a commencé à restreindre la masse monétaire, craignant la surchauffe dans le secteur de la construction, un des fondamentaux du marché du vrac sec.

Adeline Descamps

 

 

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