Alors que près de 77 % du commerce extérieur européen et 35 % de l'ensemble des échanges entre les États membres de l'UE sont assurés par la mer, le transport maritime vers et à l'intérieur de l'UE représente 13,5 % des émissions liées au transport du continent, le troisième émetteur le plus important derrière le transport routier (71 %), l'aviation (14,4 %) et le rail (0,5 %).
Le rapport publié le 1er septembre par l'Agence européenne de l'environnement et l'Agence européenne pour la sécurité maritime (EMSA) remet les pendules à l’heure en dressant un bilan complet des émissions générées par les navires, en intégrant d’autres sources de nuisances que celles de l’air à l’instar des bruits sous-marins, nuisances sous-estimées, qui figureront sans doute parmi les grands phénomènes à traiter dans les années à venir.
Baisse mais...
Selon le rapport, les navires faisant escale dans les ports de l'UE et de l'Espace économique européen (EEE) ont généré 140 Mt d’émissions de CO2 en 2018, soit environ 18 % du total de CO2 dont est comptable le transport maritime international cette année-là.
Sur la pollution au CO2, environ 40 % ont été générées par les navires naviguant entre les ports des États membres de l’UE et les navires à quai dans les ports. Les 60 % restants sont liés aux voyages au sein et hors de l’UE. Les porte-conteneurs sont à eux seuls responsables d’un tiers du CO2 émis par la flotte dans l’UE, loin devant les vraquiers (17,9 %) et les pétroliers (17,8 %). Les navires à passagers ne représentent « que » 6,3 % des émissions.
Le dioxyde de carbone n’est pas le seul ennemi à abattre. Le transport maritime est responsable de 24 % des émissions totales de NOx (oxyde d’azote), 24 % de celles de SOx (dioxyde de soufre), même si « ces valeurs devraient encore baisser au cours des prochaines décennies en raison de règles environnementales plus strictes » –, et de 9 % du total des particules (PM2,5).
Des évolutions notables
Il y a toutefois quelques évolutions notables. Les émissions de CO2 de l'UE émanant du transport maritime sont en baisse de 26 % depuis 1990. Mais la croissance de la flotte à venir inquiète si le transport maritime n’accélère pas dans sa course à la neutralité carbone.
Selon les deux agences européennes, le volume des transports pour toutes les catégories de navires devrait augmenter de 24 % d’ici 2050 et le commerce mondial, de 9 % entre 2030 et 2050.
L’OMI prévoit, pour sa part, que les émissions de gaz à effet de serre du secteur maritime augmentent d’environ 90 à 130 % d’ici 2050 par rapport à leur niveau de 2008.
« Ce rapport nous donne un excellent aperçu des défis actuels et futurs liés au transport maritime. Le message est clair : le transport maritime devrait augmenter dans les années à venir et si nous n'agissons pas maintenant, le secteur produira de plus en plus d'émissions de gaz à effet de serre, de polluants atmosphériques et de bruit sous-marin. Une transition en douceur mais rapide du secteur est cruciale pour atteindre les objectifs du Green Deal européen et se diriger vers la neutralité carbone », rappelle Virginijus Sinkevičius, commissaire européen à l'Environnement, aux Océans et à la Pêche, à la lecture du rapport.
Il y cependant des signes encourageants selon l’étude : même si le volume de pétrole transporté par mer n'a cessé d'augmenter, seuls huit déversements accidentels de pétroliers, sur un total mondial de 62, se sont produits dans les eaux de l'UE au cours de la dernière décennie.
Plan d’attaque
Le rapport des deux régulaeurs européens, qui ont disséqué toutes les pollutions, y compris celles du bruit, tombe à un moment clé. En juillet la Commission européenne a dévoilé le paquet législatif baptisé « Fit for 55 », plan d’attaque transversal visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre d'au moins 55 % d'ici à 2030 par rapport aux niveaux de 1990. D’où le « 55 » contenu dans le titre du programme.
SCEQE et FuelEU Maritime sont les acronymes qui vont conduire en Europe (et au-delà) la décarbonation du secteur maritime. À eux deux, ils auront le pouvoir de taxer près de 70 % des émissions des voyages à destination de l'Espace économique européen (EEE) et 50 % des voyages internationaux entrants et sortants, d’obliger les armateurs à consommer des carburants plus sobres énergétiquement, de taxer les combustibles de soute pour la première fois, d’exiger des ports qu’ils fournissent l’électricité à quai et le soutage de GNL.
Les carburants dans le collimateur
Le transport par la mer, qui échappait jusqu’à présent au principe pollueur-payeur, va progressivement intégrer le système communautaire d’échanges de quotas carbone (à partir de 2023 pour 20 % des émissions avec date butoir en 2026 pour une couverture totale). Il obligera les exploitants de flotte à acheter des quotas d'émission, un quota équivalant à une tonne de CO2 émise.
Par le FuelEU Maritime, les compagnies exploitant des navires de 5 000 tonnes brutes sont assignées à améliorer l’intensité carbone de leurs carburants, là aussi de façon progressive, à partir de 2 % en 2025 puis avec un renforcement des exigences tous les cinq ans.
Premiers résultats probants
Ce jeu de données complet va sans doute alimenter les débats alors que l’UE conteste dans sa légitimité l’OMI, autorité de régulation du transport maritime, assemblée de 170 membres où le compromis est roi et finit toujours par l’emporter au prix de tractations éprouvantes.
Les dernières réunions en date à l’OMI, relatives aux questions climatiques (MEPC 76) se sont soldées par des mesures moins-disant et des pas de côté tandis que l’horloge tourne et que les premières échéances réglementaires approchent, 2023 étant la première étape.
Se plaçant en tête de pont sur ces questions, les représentants européens vont jusqu’à s’attribuer une responsabilité dans la baisse d’un quart observée en trente ans. « Les émissions ont diminué grâce à une législation européenne plus stricte sur le soufre dans le carburant que les règles mondiales de l’OMI – jusqu'au 1er janvier 2020 [date de l’entrée en vigueur de la réglementation sur le soufre contenu dans les carburants imposée par l’OMI, NDLR] – permettant ainsi par exemple une réduction de 60 % de ces rejets atmosphériques sur les côtes danoises et de plus de 20 % dans la région de Rotterdam entre 2015 et 2019 », se félicitent les agences européennes.
Vers une « navigabilité durable » ?
La réduction de la vitesse, qui a déjà diminué de 20 % par rapport à 2008, les biocarburants, les batteries, l'hydrogène ou l'ammoniac, apparaissent pour les auteurs de cette étude dont le volume peut rebuter, « comme des alternatives avec le potentiel de décarboner le secteur et de le conduire à des émissions nulles ».
Adeline Descamps