À l’OMI, un accord a été trouvé sur le point le plus clivant mais la déception est grande. Jusqu’au 17 juin se tient la 76e session du Comité de la protection du milieu marin (MEPC76) de l’OMI au cours de laquelle les États membres doivent convenir des mesures de court terme à mettre en œuvre d’ici 2023 et être au rendez-vous de la première étape de la décarbonation fixée par l’OMI en 2018. Elle assigne aux exploitants de navires de réduire de 40 % d'ici 2030 l'intensité en carbone des navires par rapport à 2008. Or, le consensus espéré sur ce point stratégique – le pourcentage de réduction annuelle de l’intensité carbone des navires entre les années 2023 et 2030 – était loin d’être acquis quelques jours avant l’ouverture de la séance.
Le rendez-vous est important car il s’agit de voter les projets d'amendements à la convention Marpol qui exigeraient des navires à la fois des mesures techniques et opérationnelles pour réduire leur intensité de carbone. Il est capital car il n’existe pas de plan B et il n’y a plus de délais possibles pour penser ajourner une nouvelle fois une décision qui a une date butoir. Un cadre réglementaire harmonisé à l'échelle mondiale doit être voté de façon à donner une chance au secteur de respecter l'accord de Paris. Sans cela, tous savent qu’en lieu et place s’imposeront des règles du jeu régionales, préjudiciables à la compétitivité de certains pavillons.
Concrètement, il s’agit d’arbitrer l'effort financier et technique que vont devoir consentir les armateurs pour atteindre les objectifs. Le niveau de l’effort conditionnera la vitesse à laquelle va être décarboné le transport maritime, responsable selon les données officielles de 2 à 3 % des émissions de gaz à effet de serre, estimées à 1 milliard de tonnes par an. Un taux qui, selon les ONG, continuerait à augmenter de 16 % d'ici 2030 si rien n’est fait.
MEPC76 : trouver nécessairement un compromis sur l'intensité carbone des navires
Bataille des pourcents
Lors des réunions préparatoires, qui lissent en principe le terrain pour le MEPC, la bataille des pourcentages de réduction a opposé deux blocs, d’un côté les États en développement emmenés par la Chine et de l’autre, les États occidentaux.
Le groupe emmené par la Chine (dont le Brésil, l'Inde, la Russie, la Chine et l'Arabie saoudite) soutient qu’une réduction de 11 % d’ici 2030 par rapport aux niveaux de 2019 est suffisante pour atteindre les objectifs de l’OMI en 2040. Les États européens, américains et certaines îles du pacifique particulièrement impactées par les effets du réchauffement climatique (Iles Marshall, Salomon…), l’évaluent à « au moins » 21,5 %.
11 % seulement
Lors de l'ouverture de la session, le secrétaire général de l'OMI, Kitack Lim s’était « permis d’être franc. L'échec n'est pas une option, car si nous échouons dans notre quête, nous courons le risque d'avoir des initiatives unilatérales ou multilatérales, mais, j'ai pleinement confiance que vous démontrerez que l'on peut faire confiance à l'OMI pour tenir les engagements qu'elle a déjà acceptés », a-t-il posé clairement.
Manifestement, il a eu tort d’avoir confiance. Les délégués du MEPC76 ont convenu d'un accord moins-disant selon lequel les navires devraient améliorer leur intensité de carbone de 2 % par an entre 2023 et 2026 (une amélioration de 1,5 % par an jusqu'en 2023 et de 2 % par an jusqu'en 2026), soit 11 % au total. Les règles ne sont assorties de surcroît d'aucun mécanisme d'application. Les États-Unis, l'Union européenne et le Royaume-Uni ont critiqué l'ambition limitée du compromis obtenu.
« L'OMI propose un objectif d'efficacité des navires désespérément faible, alors que même ses propres recherches montrent qu'il sera atteint dans le cadre du statu quo. Une amélioration annuelle d'au moins 7 % est nécessaire pour atteindre les objectifs de Paris. Cette proposition n'est rien d'autre qu'une mesure cosmétique. Pendant ce temps, l'OMI s'immisce dans les affaires de l'UE en essayant de freiner ses plans de réduction de la pollution des navires. C'est inacceptable », a réagi Faig Abbasov, de l’ONG Transport & Environment, association parmi parmi les partisanes d’une ligne dure.
OMI : tensions à l'approche de la session sur la stratégie carbone du transport maritime
Superposition de législations à prévoir ?
En l’état actuel des choses, le plus mauvais scénario, celui qui devait être absolument évité – voter des mesures qui incitent les États membres à pallier aux insuffisances d’un système international en élaborant leurs propres réglementations – est en passe de se jouer. Le parlement européen a déjà fait un pas dans cette direction en décidant d'inclure le transport maritime dans son système d'échange de quotas d'émission (SCEQE). La Commission européenne devrait présenter le 14 juillet le système qu’elle entend mettre en œuvre.
L’administration de Joe Biden vient d’indiquer clairement qu’elle avait l'intention de soutenir une accélération du processus de décarbonisation du transport maritime. Avec pour horizon, des émissions nulles d'ici 2050. Ces dernières heures Washington a déclaré vouloir que « d'ici à 2030, les navires capables de fonctionner avec des carburants à émissions nulles, comme l'hydrogène vert, l'ammoniac vert, le méthanol vert ou les biocarburants avancés, représentent au moins 5 % de la flotte mondiale ».
Sur le fond politique, les États-Unis, sous Biden, semblent vouloir reprendre mots en matière de législation maritime internationale en imposant leur propre agenda. Ce dont ils ont usé par le passé pour obtenir une action rapide et à leur convenance (Oil Pollution Act de 1990, code international pour la sûreté des navires et des installations portuaires, ISPS).
Le casse-tête de la taxation carbone appliquée au transport maritime
Reste à voter
Parmi les autres mesures qui ont été votées : les deux outils permettant d’évaluer l’efficacité énergétique des navires. Le premier concerne l’instauration de critères spécifiques basés sur le type et la taille des navires existants, comparable à celui déjà en vigueur pour les navires neufs (EEXI). Le second introduit un nouvel indicateur appelé CII (Carbon Intensity Indicator) qui déterminera le facteur de réduction annuel nécessaire pour assurer une amélioration continue de l'intensité carbone du navire.
D’ici jeudi, doivent être également évoquées certaines propositions, telle que la très controversée tarification d’une taxe carbone et la création d’un fonds de R&D pour accélérer les développements technologiques (IRBM).
La tenue en visioconférence ne facilite pas les échanges et surtout prive les délégués des conversations de couloirs et d’après séance qui permettent souvent d’applanir des différends. Or, là, avec les fuseaux horaires des uns et des autres, la fenêtre de tir des échanges est considérablement limitée à quelques heures dans la journée. Le compromis n’en a que plus de limites...
Adeline Descamps