Recyclage : un contournement des règles ?

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Selon des ONG, dont Shipbreaking Platform, certains États membres européens, qu’elles ne nomment pas, chercheraient à contourner le règlement européen qui impose que les navires soient démantelés dans des chantiers agréés. Les ONG ont alerté la Commission européenne.

Le Basel Action Network (BAN), le Bureau européen de l'environnement (BEE), Greenpeace et l’ONG Shipbreaking Platform donnent l’alerte dans un courrier adressé aux commissaires européens et… dans un communiqué : « La législation de l'Union européenne autorisant l'exportation de navires toxiques vers les pays en développement viole les obligations des États membres au titre de la Convention de Bâle et est en contradiction avec les nouvelles initiatives stratégiques de l'UE en matière de politique économique et environnementale. »

Les associations s’inquiètent des propositions qui ont été faites « pour que l'UE conclue un accord bilatéral spécial de démantèlement de navires avec certains États », comme l’Inde, par exemple. Elles y voient un moyen de contourner l'amendement d'interdiction de la Convention de Bâle (article 11), qui est entré en vigueur au niveau mondial en décembre dernier.

En revanche, elles ne nomment pas les États membres en question. Elles l’ont écrit dans un courrier adressé au vice-président de la Commission européenne, Frans Timmermans, et au commissaire à l'Environnement, Virginijus Sinkevičius. Il était accompagné d'une analyse du Centre pour le droit international de l'environnement (CIEL) « expliquant pourquoi cela n'est pas acceptable, tant d'un point de vue juridique que politique ».

Recyclage des navires : Une redistribution des cartes ?

Réformer la législation sur les déchets dangereux

Les ONG appellent l'UE à faire le nécessaire « de manière urgente » pour réformer à la fois le règlement sur les transferts de déchets et sur le recyclage des navires afin de s'assurer qu'ils sont juridiquement cohérents avec la convention internationale de Bâle. 

L'amendement à la Convention de Bâle auquel se réfèrent les associations, inscrit dans le droit international des déchets, est donc contraignant. Il interdit l'exportation de déchets dangereux de toutes sortes des pays développés vers ceux en développement. La Convention a déjà statué sur le fait que les navires peuvent être considérés comme des déchets dangereux en raison des nombreuses substances toxiques qu'ils contiennent. Pourtant, la législation européenne actuelle permet aux navires battant pavillon de l'UE d'être exportés vers toute destination figurant sur une liste d'installations de recyclage de navires approuvées par l'UE, qu'elles se trouvent ou non dans un pays en développement. Les chantiers de démantèlement de navires dans les pays tels que l'Inde, le Pakistan et le Bangladesh restent la destination privilégiée pour traiter les navires en fin de vie.

« La procédure de l'UE consistant à remplir des documents et à autoriser les navires toxiques à se rendre sur les plages d'Asie du Sud pour y être éliminés ou recyclés ne pourra jamais être à un niveau de contrôle et de protection équivalent à celui d'une règle interdisant ce type d'exportation », tonne Jim Puckett, directeur exécutif du Réseau d'action de Bâle (BAN).

Les armateurs veulent reporter la réglementation européenne sur les matières dangereuses

Incohérence dans les messages européens

Les ONG pointent l’incohérence entre les signaux envoyés par l’UE – pacte vert pour la relance, plan d’action sur l’économie circulaire, approvisionnement en matières premières au sein du marché européen… – et les actuels « manoeuvres » juridiques qui visent à contourner les règles internationales en matière d’exportations de déchets.

Elles appellent l'UE « à saisir l'opportunité de promouvoir un recyclage sûr et propre des navires en Europe, la conception et la construction de navires non toxiques et les initiatives acier zéro émission » pour « proposer des solutions de récupération appropriées pour les navires du monde entier ».

« Au lieu d'inventer des exceptions au droit international, nous attendons de l'UE qu'elle soutienne le secteur européen du recyclage et sauvegarde les principes de justice environnementale qu'elle a défendus lorsqu'elle a soutenu l'amendement à l'interdiction de Bâle et qu'elle a maintenant mis au cœur de son nouveau Green Deal », rappelle Ingvild Jenssen, directrice de l'ONG Shipbreaking Platform.

Du monde au mouillage dans les chantiers de démantèlement

Sujet non consensuel

Le sujet du démantèlement de navires est un des « maronniers » clivants du secteur. Un règlement européen, entré en vigueur depuis le 1er janvier 2019, rend obligatoire le recyclage des navires battant pavillon européen dans des sites agréés par l'UE. Toutefois, les compagnies maritimes peuvent contourner assez facilement le règlement en changeant le pavillon du navire quelques mois avant de l'envoyer à la casse.

Les armateurs soutiennent que l’Europe n’est pas en capacité de garantir le recyclage au vu du faible nombre de chantiers disponibles et dans la mesure où les installations et/ou cales sèches agréés par l’Europe ont une forte activité dans la réparation navale et les travaux en mer. À l'heure actuelle, 41 chantiers sont agréés, dont 34 dans l'UE et sept en dehors de l'Europe : six en Turquie et un aux États-Unis.

L'Association européenne des armateurs (ECSA) demande pour cette raison une extension de la liste des chantiers à agréer avec notamment la possibilité d’intégrer des installations non communautaires conformes aux exigences. Aujourd’hui, si l’Europe possède des infrastructures respectant les conventions internationales, elles absorbent tout au plus 3 % des bateaux en fin de vie, faute de compétitivité tarifaire.

Sur les 2 725 navires de propriété européenne envoyés à la casse entre 2010 et 2017 (données de Shipbreaking Platform), 91 % ont été démantelés en Asie du sud-est. Dans ces contrées, les armateurs et/ou propriétaires de navires peuvent espérer récupérer entre 350 et 400 € par tonne de ferraille, contre à peine 100 € sur les rares chantiers européens. Actuellement, le prix de démolition du tonnage de conteneurs dans le sous-continent indien est plus proche des 300 $/t. La Turquie propose entre 170 et 180 $ la tonne contre environ 240 $ avant que n’émerge le virus.

Six chantiers navals d'Alang inspectés par l'UE

Convention de Hong Kong

Pour les armateurs, la solution réside dans la convention de Hong Kong. Le traité réglementant le démantèlement des navires est toujours lettre morte deux décennies après son adoption, faute d’avoir atteint le quorum de ratification fixé à 15 États représentant au moins 40 % de la flotte mondiale de navires de commerce. L'OMI considère que si la Chine ou le Bangladesh (47,2 % de parts de marché mondiales dans le démantèlement) adhéraient au traité, il entrerait de facto en vigueur à l'échelle mondiale. En décembre, l'Inde a rejoint la liste des pays signataires. Une décision importante car le pays fait partie des cinq plus grands États recycleurs au monde en volume.

Manifestement, la série d’inspections européennes effectuées ces derniers mois dans les installations de la côte indienne n’a pas été probante. En octobre 2019 et janvier 2020, les inspecteurs ont visité six chantiers (Shree Ram, Y.S. Investment., R.K. Industries, Bleu Priya, JRD Industries, Leela). Aucun d’entre eux ne satisfait aux exigences de l’UE. Ils étaient en défaut sur 34 points de la réglementation européenne. Certains avaient déjà fait l’objet d’un premier audit en 2018, comme le Shree Ram, qui a été le théâtre d’un accident mortel suite à une explosion en septembre 2019.

Selon Alphaliner, 300 000 EVP devraient être retirés du marché en 2020 pour mise au rebut.

Adeline Descamps

 

Le démantèlement de porte-conteneurs atteint un pic en juillet

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