Alexandre Saverys aura déployé beaucoup d’énergie pendant près de deux ans pour contrer l’influence croissante de l’actionnaire majoritaire (le très remuant John Fredriksen) au sein du capital de l’armateur belge de pétroliers et faire capoter son projet de fusion avec le rival historique Frontline. Le dirigeant, issu d'une famille d'armateurs anversoise, aura dépensé des centaines de millions d’euros et de dollars sur les marchés boursiers pour retrouver de l’ascendant.
Il lui reste encore beaucoup d'allant. Depuis que la Compagnie maritime belge (CMB), propriété de sa famille, a repris le contrôle d’Euronav en novembre à l’issue d’un accord avec Frontline, Alexandre Saverys s’active pour opérer le changement de cap radical qu’il promeut.
Il a annoncé, en fin de semaine dernière, devant un parterre d’investisseurs, un plan visant à diversifier la flotte. Conformément à ses précédentes annonces. Le nouveau dirigeant souhaite réduire progressivement la part des revenus issus du transport de pétrole brut et faire de la place à des actifs maritimes qu'il estime plus durables, « à l'épreuve du temps », selon son expression, navires à faibles émissions de carbone, à l'hydrogène ou à l'ammoniac.
2,35 Md$ tirés de la cession de pétroliers
Il en a les moyens. Pour sortir de l’impasse dans laquelle les actionnaires de Frontline et d’Euronav se trouvaient à la suite de l’échec de la fusion entre les deux plus grands transporteurs de pétrole, et des différends stratégiques entre l’homme d’affaires chyprio-norvégien John Fredriksen et Alexandre Saverys (CMB), un accord a été scellé en novembre sous la forme d’échange de navires contre des actions.
Frontline a cédé les 26,12 % qu’il détenait dans le capital d’Euronav à la CMB en échange d’une partie de sa flotte, soit 24 VLCC d’une valeur de 2,35 Md$, laissant à Euronav une flotte de 19 VLCC et 26 suezmax.
À l’issue de cette opération, le groupe CMB (Bocimar dans le vrac sec, Delphis dans le conteneur, Bochem dans les produits chimiques, Windcat Workboats, opérateur de Crew Transfer Vessels, CMB.Tech), est redevenue le maître absolu avec 49,05 %.
Penchant pour l'ammoniac ?
L'entreprise semble avoir une préférence pour l'ammoniac comme futur carburant, pour lequel elle a un temps d’avance, ayant déjà développé des options de propulsion en partenariat avec WinGD, ainsi qu'une chaîne d'approvisionnement pour le soutage de l'ammoniac. Elle prévoit d’ailleurs de disposer de sa propre unité de production, une unité d’une capacité de 185 000 t d'ammoniac vert par an à partir d'une usine en Namibie. À plus grande échelle, elle affirme avoir conclu des contrats d’achat pour des centaines de milliers de tonnes d'ammoniac bleu auprès de porteurs de projets aux États-Unis.
Si l’objectif n’est pas d’abandonner brutalement l’univers des pétroliers dits « sales » (brut), à long terme, il s’agit bien de transformer Euronav en une « référence en matière de transport maritime vert » et de tirer une part de plus en plus importante de ses solutions à faible émission de carbone.
CMN.Tech, bras armé technique
Dans cette stratégie, CMB.Tech est un bras armé technique. La filiale du groupe CMB conçoit, construit, possède et exploite une flotte diversifiée de 106 navires à faible émission carbone, dont 46 sont en cours de construction (navires de soutien à l’éolien, vraquiers, porte-conteneurs, chimiquiers, remorqueurs et transbordeurs, etc.) avec des moteurs hybrides diesel-hydrogène et diesel-ammoniac, ainsi que des moteurs monocarburant à hydrogène.
Le dirigeant structure ses entreprises en conséquence. Le 22 décembre, la CMB et l’armateur belge de pétroliers ont annoncé avoir conclu un protocole permettant à Euronav d'acquérir 100 % des actions de CMB.Tech pour un prix d'achat total de 1,15 Md$ en espèces.
Prochain rendez-vous, l'AG du 7 février
La transaction, approuvée par le conseil de surveillance d'Euronav et financée par la vente des VLCC à Frontline, sera soumise à l’approbation des actionnaires d'Euronav au cours de l'assemblée générale extraordinaire le 7 février.
La CMB n’a pas l'intention de réaliser un « squeeze out » (« retrait obligatoire ») qui intervient en principe après une offre publique d'achat. L’entité future sera donc maintenue sur Euronext Brussels et sur le New York Stock Exchange.
Les actionnaires devront également se prononcer sur le changement de dénomination sociale d’Euronav en CMB.Tech. L'appellation Euronav serait conservée comme nom de marque pour sa division pétrolière.
Euronav a commandé tout dernièrement trois VLCC et quatre suexmax.
Adeline Descamps
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