Les marchés n’ont pas tardé à réagir alors que l’on ignore à peu près tout de l’ADN du nouvel agent infectieux, y compris sa transmissibilté et sa contagiosité. Et ils se sont comportés comme à chaque fois qu’un événement vient mordre dans leurs certitudes : avec une grande nervosité. En l’occurrence, au énième épisode d’une série planétaire, ils paniquent face à un scénario qu’ils ne connaissent que trop bien. Tout comme les exploitants de flotte de navires, qu’ils soient armateurs de pétroliers, de vraquiers ou de porte-conteneurs, qui en connaissent les effets sur le cours de leurs activités. Le variant, qui porte la 15e lettre de l’alphabet grec, est en train de semer la zizanie dans les trajectoires de certains actions, matières premières et taux de fret.
Le cours du brut, qui a dégringolé dès le 26 novembre, ne s’y est pas trompé. Cette semaine-là, les gestionnaires de fonds ont vendu l'équivalent de 28 millions de barils sur les six plus importants contrats à terme au prix de six des sept dernières semaines, réduisant leur position d'un total de 162 millions de barils, selon les données boursières et réglementaires. Le pétrole se serait bien passé de l’éternel retour d’un virus, qui ne semble pas encore résolu à déserter le milieu des affaires. La perspective d'une libération des réserves stratégiques par certains pays, les prévisions d'une hausse de la production de schiste aux États-Unis, les inquiétudes liées à l'inflation avaient déjà mis le marché pétrolier sur le qui-vive.
Le brut West Texas Intermediate (WTI), la référence américaine, a plongé de 13 % ce jour-là et le Brent de plus de 10 % dans la plus grande déroute observée en une journée depuis les premiers jours de la pandémie. De même la crainte d’un nouveau « blocage généralisé » dans le monde a provoqué un plongeon des actions boursièrs et des matières premières.
Nouvelle déconfiture pour les pétroliers
Le ralentissement probable du trafic aérien avec la fermeture des frontières, le retranchement inévitable sur les stocks, la fermeture des vannes par l’OPEP, le ralentissement des activités industrielles… ne vont pas dans le sens d’une demande de transport pour des produits pétroliers et repoussent encore l’agenda de la reprise de ce segment « dont les conditions de marché sont difficiles » depuis un an. Les armateurs de navires-citernes naviguent actuellement bien en deçà de leur seuil de rentabilité, les coûts d'exploitation et le service de la dette compris. La plupart des grandes compagnies – Frontline, Teekay, Euronav, International Seaways…–, viennent de présenter des résultats trimestriels en pertes mais tout en se montrant confiantes compte tenu des signaux positifs que la conjoncture émettait, notamment avec la remontée progressive du baril de brut.
L'OPEP+ devait se réunir précisément ces jours-ci pour discuter de l'assouplissement prévu des réductions de production. Le cartel des producteurs des pétrole a préféré décaler de quelques jours la réunion, le temps d’apprécier la situation et d'ajuster ou non son plan d'augmentation de la production de 400 000 barils par jour en janvier et au-delà.
Relance des taux de fret ?
La situation est toute autre pour les conteneurs. La résurgence épidémique pourrait à nouveau donner un coup de fouet à des taux de fret, dont le mouvement baissier était de nature à accréditer la thèse des analystes selon laquelle un plateau a bel et bien été atteint avant une descente progressive.
Alors que le Shanghai Containerized Freight Index, qui suit les tarifs au comptant du fret conteneurisé (prix négociés sur une base quotidienne avec une validité de moins de 30 jours) au départ de Shanghai vers une vingtaine de destinations, s’était dégonflé en octobre, il est reparti à la hausse dans la semaine du 29 novembre, enregistrant sa plus forte progression en dix semaines, s’établissant à 4601,97 points.
Cela fait plus d’un an que la flambée des prix du transport est entretenue par les perturbations actuelles dans la ligne régulière – congestion portuaire, pénurie de navires, déficit de conteneurs... –, consécutives à une reprise économique forte, rapide et subite, de surcroît stimulée par les plans de relance publique.
Polarisation sur la consommation de biens manufacturiers ?
Tout ce qui peut réanimer la surchauffe de ce marché, à peine calmé, est là aussi connu. À commencer par les fermetures de terminaux portuaires, surtout en Chine, où la « stratégie zéro Covid » appliquée avec fermeté par Pékin fait planer une menace permanente.
Le boom de la consommation outre-Atlantique est actuellement le principal combustible du marché fièvreux. Le virus repousse encore davantage le retour à un équilibre entre consommation de biens de marchands et de services. Toutes les données, notamment celles de la puissante fédération des détaillants américains (National retail federation), indiquent que la consommation de services reste en déficit.
La privation de dépenses dans les voyages et les loisirs maintient le centre de gravité sur les produits manufacturiers. « Les habitudes de consommation pourraient rester engagées en faveur du secteur du transport maritime par conteneurs. Plusieurs armateurs de porte-conteneurs avaient déjà estimé que les fortes conditions du marché persisteront jusqu'en 2022, et cela pourrait être encore prolongé sur une durée potentiellement plus longue », estime Clarksons Platou.
Signe que le marché s'attend à une hausse des taux de fret, le géant du transport maritime Cosco Shipping Holdings, coté à Shanghai, a clôturé en hausse de 5,98 % le 30 novembre, surpassant l'indice composite de Shanghai, qui a légèrement augmenté de 0,03 %.
Rebond significatif du vrac sec
Paradoxalement versatile, le transport de vrac sec est resté, en comparaison des autres segments, le plus froid aux différentes vagues épidémiques qui lui ont notamment offert sa meilleure année alors qu’il traverse un tunnel depuis plus de dix ans.
Le Baltic Dry Index, l'indice de référence pour apprécier le coût du transport des marchandises en capesize, panamax et supramax, a enregistré le 29 novembre sa meilleure journée depuis près de deux mois, pour atteindre 2 881 points (+ 4,1 %). Cela suggère un gain de près de 20 % par rapport au récent creux de l'indice, à 2 406 points, le 17 novembre.
Retour aux galères pour les marins ?
Parmi les autres impacts renseignés par l’expérience des précédents événements : les contraintes imposées aux marins, qui vont à nouveau devoir composer avec les règles en vigueur. La situation s’était sensiblement améliorée, selon le dernier baromètre de l’indicateur Neptune, qui, en se basant sur les données consolidées des gestionnaires de navires (90 000 marins actuellement au tableau de bord), suit l’évolution des contrats de travail.
La part de marins, dont le contrat a expiré, est tombée à 4,7 %, contre 7,1 % en octobre. La proportion, dont le temps de service à bord depuis plus de 11 mois, a diminué, passant de 1 % le mois précédent à 0,7 %. En 2020, au plus fort de la crise du changement d'équipage, plus de 400 000 marins avaient travaillé au-delà des limites de leur contrat. Pour les membres d’équipage, le virus a aussi un effet dévastateur sur leur santé mentale.
Adeline Descamps