Depuis avril, il est question de cette commande mystère au méthanol que plusieurs courtiers ont d’abord fixé à huit unités de 8 000 EVP avant qu’Alphaliner en évoque dix de 7 000 à 8 000 EVP.
Finalement, il s'agira de six porte-conteneurs de 9 000 EVP, tous à double motorisation avec le méthanol, livrables en 2026 et 2027. Cette nouvelle commande porte à 25 le total de la flotte au méthanol de l’armateur danois avec une capacité d’un peu moins de 350 000 EVP (343 500 EVP).
« Pour ces six porte-conteneurs, nous avons choisi une conception et une taille de navire qui les rendent très flexibles du point de vue du déploiement. Ces navires pourront ainsi remplir de nombreuses fonctions dans notre réseau actuel et futur », explique Rabab Boulos, responsable des infrastructures chez Maersk. Une catégorie au demeurant de plus en plus populaire auprès des armateurs au vu du carnet de commandes des navires de cette taille (120 unités), dont près de la moitié à double carburant avec le GNL.
Le choix d'un constructeur chinois
Première évolution, le contrat de construction a été confié au chinois Yangzijiang Shipbuilding, qui a progressivement acquis de l'expérience avec les nouveaux carburants via le GNL, alors que le sud-coréen Hyundai Heavy (HHI) avait été jusqu’à présent le destinataire des précédentes commandes
Le planning des cales sèches qui débordent et la pénurie structurelle de main d’œuvre que les trois grands acteurs mondiaux (HHI, DSME, SHI) essuient peuvent expliquer en partie le choix de Maersk.
Le geste inaugural à quelques jours de sa livraison
Jusqu’à présent, le nombre de navires neufs en cours de construction pour Maersk s'élevait à 19 unités pour un peu moins de 300 000 EVP : le feeder inaugural de 2 100 EVP, les douze navires de 16 200 EVP commandées en août 2021 (huit unités) et janvier 2022 (quatre options exercées) et les six de 17 000 EVP, passés en octobre 2022.
Le feeder, qui a ouvert la voie aux autres commandes, est sorti de la cale sèche en avril, doit être livré dans les prochains jours, durant l’été. Il a reçu en avril sa livrée blanc sur bleu de Maersk, ainsi que l'inscription « all the way to zero ». Il devrait entrer en service dans le courant de l'année sous le nom de Laura Maersk et sera déployé sur des services baltiques.
Des économies de 450 000 t en émissions de CO2
Lorsqu’ils seront livrés, tous d’ici 2025, les porte-conteneurs, sous pavillon danois, remplaceront du tonnage ancien de taille similaire. Selon le transporteur, une fois le méthanol vert disponible, ils épargneront la planète chacun d"environ 450 000 t de CO2 par an sur la base du cycle de vie du carburant.
L'armateur avait précédemment annoncé que les huit premiers navires de la flotte, qui seront livrés d'ici au premier trimestre 2024, devraient générer des économies annuelles d'émissions de CO2 d'environ 1 Mt.
Surcoût de construction de 8 à 12 %
Ni l’investissement global ni le prix à l’unité n’ont été communiqués. Le numéro deux mondial de la ligne régulière avait payé 177 M$ pour chacune des huit premières unités, que l’affaiblissement du won coréen a ensuite réduit à 175 M$.
Progressivement, le surcoût généré par ces navires verts devrait être absorbé par le nombre de commandes, aujourd'hui plus proche de 8 à 12 % que de 15 % pour ses premières commandes.
750 000 t de méthanol requis
Le défi majeur reste celui de l’avitaillement. Les dix-neuf navires au méthanol vert, que Maersk mettra en service entre 2023 et 2025, nécessiteront environ 750 000 t de méthanol vert.
La compagnie a trouvé une parade à ce problème en créant sa propre chaîne d'approvisionnement. Elle a ainsi signé plus de dix contrats d'achat à long terme à ce jour (CIMC ENRIC, European Energy, Green Technology Bank, Ørsted, Proman, WasteFuel, Bego, etc....) qui devraient lui assurer au moins 730 000 t de méthanol vert par an d'ici à la fin de 2025 (et 500 000 t supplémentaires après cette échéance).
Prochaine étape : le rétrofit
Le groupe danois actionne tous les leviers pour contribuer à booster la demande et accélérer le développement de l'option neutre en carbone (à condition qu’il soit vert, ce qu’il n’est pas aujourd’hui puisque produit à partir de gaz naturel), y compris en défrichant le marché du rétrofit.
L'ingénierie détaillée de la première opération de conversion sur un des navires de sa flotte est en cours et la mise en œuvre effective est prévue pour 2024, a-t-il annoncé ces derniers jours.
Le groupe danois envisage d'ores et déjà de reproduire le schéma sur d’autres navires et en fixe l’horizon à 2027. Les navires en question ne sont pas mentionnés mais selon des sources professionnelles, onze unités seraient concernées et dans la catégorie des 15 000 EVP.
Une reconfiguration qui n’a rien d’évident. Hapag-Lloyd a songé un temps à convertir une partie de sa flotte au GNL. Mais l’expérience de l’ex-Sajir a été particulièrement dissuasive. Il aura fallu sept mois de travaux et un coût de 35 M$ pour convertir le porte-conteneurs de 15 000 EVP. Depuis, à ce prix et à ces conditions, il n’y en aura sans doute pas deux. Et. les candidats à une opération similaire ont été rares, à l'exception de l'armateur américain Matson.
CMA CGM, Maersk : la course à l'échalote
Dans ce moment charnière, celui où les exploitants de navires doivent arbitrer dans les motorisations de leur flotte pour se conformer à des réglementations de plus en plus strictes à mesure que l'industrie devra tendre vers le zéro net émission, CMA CGM et Maersk se font la course à l’échalote dans le méthanol (propulsion bicarburant).
Si l’on tient compte uniquement de ce qui est confirmé, hors rumeurs, CMA CGM disposerait d’une flotte en commande totalisant 336 000 EVP composé de douze unités de 15 000 EVP répartis entre CSSC Jiangnan (6) et CSSC Dalian (6), ainsi que douze de 13 000 EVP attribués à Hyundai Samho.
Il lui est prêté une série de dix unités de 24 000 EVP pour lesquelles Yangzijiang serait bien positionné pour emporter la commande. TradeWinds a annoncé en fin de semaine la commande par l’armateur français de 36 unités dans des chantiers navals en Corée du Sud et en Chine, dont deux de 24 000 EVP à Yangzijiang.
Ce faisant, non seulement le Français, qui ne s'est positionné sur le méthanol que récemment, passerait devant le pionnier du genre, mais aussi serait en mesure de déloger le Danois et de devenir le numéro deux mondial.
127 navires au méthanol en commande
Selon la société de classification DNV, il y avait, fin mai, 911 navires au GNL (en commandes et en service) pour 182 au GPL, 127 au méthanol et 27 à l'hydrogène.
Au cours des cinq premiers mois de l'année, 20 % des commandes ont porté sur des navires qui pourront utiliser des carburants alternatifs. Plus précisément, 6 % d'entre eux seront alimentés au GNL, 9 % au méthanol et 5 % au GPL.
Les carburants alternatifs représenteront 2 % de la demande mondiale de combustibles de soute, soit 328 Mt par an, en 2030, dans le scénario de référence de Platts. Le méthanol devrait représenter 34,3 % de la demande de nouveaux carburants contre 18,6 % pour l'hydrogène et 14,7 % pour l'ammoniac.
Adeline Descamps
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