Dans un communiqué laconique, MSC a annoncé le 25 mars une prise de participation minoritaire dans le capital de Moby « afin de permettre la réorganisation immédiate du groupe et dans l'intérêt de ses 6 000 travailleurs ». Le groupe italo-suisse de la famille Aponte précise que l'investissement est destiné à payer une dette due à Tirrenia di Navigazione, l'ex-compagnie publique italienne, que Moby a acquise dans la décennie 2010. Les conditions n'ont pas été précisées mais la presse italienne a révélé que MSC pourrait investir jusqu'à 25 % du capital.
La famille Onorato, qui contrôle les marques Moby Lines, Tirrenia et Toremar, tente depuis deux ans de parvenir à un accord avec ses créanciers notamment les détenteurs d'obligations, pour restructurer une dette totale de plus de 500 M€, dont une partie liée au rachat de Tirrenia, qui avait été acquise en 2012 via sa filiale, la Compagnie italiana di navigazione (CIN).
L’ensemble, dirigé depuis le départ de Vincenzo Onorato de la présidence en octobre 2021 par Achille et Alessandro Onorato, la cinquième génération d’une grande famille d’armateurs italiens, doit toujours, dans le cadre de cette acquisition 180 M€ à l'État italien. Une procédure de dépôt de bilan a été intentée en 2019 par un groupe de fonds spéculatifs. Le tribunal de Milan s’est toutefois prononcé contre la mise en faillite de Moby en octobre de la même année.
Date butoir du 30 mars
En janvier 2022, Moby avait annoncé être parvenu à un accord avec les détenteurs d'obligations basés aux États-Unis en vue de la réorganisation partielle de la société dans le cadre d'une faillite placée sous la juridiction américaine. Pour ce faire, la famille Onorato avait sollicité le chapter 15 de la loi sur les faillites, qui permet à une société étrangère d'avoir accès aux tribunaux américains.
Selon les termes de cet accord, Moby serait scindé en une société d'exploitation qui resterait sous l'actionnariat familial tandis que les navires et autres actifs, ainsi que la dette, seraient transférés à une holding, détenue par les détenteurs de la dette, qui recevraient en échange une participation, alors que la société serait en partie recapitalisée par la vente des navires les plus anciens.
Mais le point d'achoppement restait alors la dette issue de l'acquisition Tirrenia. L’administration italienne avait donné jusqu'au 30 mars pour trouver un accord. Dans son audience en janvier devant le tribunal de Milan, Moby avait proposé de régler ses créances dues (180 M€) à hauteur de 80 % en quatre versements entre 2023 et 2025. Avec un paiement initial de 23 M€, suivi chaque année de deux paiements de 10 M€, avant le règlement de 101 M€ en 2025. La société de contrôle, Onorato, garantirait également l'accord par des hypothèques sur quatre de ses ferries.
MSC, in extremis
MSC, qui détient déjà l’opérateur de ro-pax Grandi Navi Veloci (GNV) acquis en 2010 auprès de Grimaldi pour opérer des lignes depuis Gênes vers la Méditerranée, arrive donc à point nommé. Si cette solution était approuvée par le tribunal, elle apporterait sans doute un grand soulagement à l’opérateur de ferries et aux représentants du personnel.
Et cela serait une incroyable pirouette de l’histoire alors que les trois grandes familles italiennes d’armateurs – Aponte, Onorato et Grimaldi – avaient failli acquérir ensemble Tirrenia. Mais estimant que l’opération limiterait la concurrence dans le secteur du ferry, les autorités italiennes avaient mis leur véto.
Entre échecs et succès
La compagnie, qui dessert depuis l'Italie continentale la Sardaigne, la Corse et l'Île d'Elbe avec ses ferry identifiables aux coques habillées par les personnages iconiques tout droit sortis de la Warner Bros, a navigué à vrai dire ces vingt dernières années entre échecs et succès au gré de ses acquisitions.
Aux début des années 2010, les lignes maritimes vers la Sardaigne sont frappées de plein fouet par la crise économique alors que dans le même temps le groupe Onorato acquiert la compagnie Toremar, alors principal concurrent de Moby sur les lignes de l'île d'Elbe. C’est aussi dans ces années-là que Vincenzo Onorato met la main sur Tirrenia, qu’il envisageait dans un premier temps de fusionner avec Moby avant de devoir reculer face à des actionnaires récalcitrants.
L’Italie et ses îles devenues trop étriquées pour éponger les ambitions du groupe, dont le patron n’a jamais caché le goût pour les voyages au plus long cours y compris pour le ferry, l’acquisition de la compagnie russe St Peter Line en 2016 devait implanter Moby en mer Baltique pour opérer entre Saint-Pétersbourg, l'Estonie, la Finlande et la Suède.
Des accords parfois surprenants
Marque de fabrique de l’ensemble, une politique tarifaire agressive qui ne lui a pas toujours réussi non plus. En 2019, Moby Lines est contrainte de se retirer de Nice (après une expérience ratée en 2010 à Toulon) en raison de l'exploitation déficitaire de la ligne corse, lancée de façon vibrionnante face à Corsica Ferries. La modification du contrat de service minimum passant d'une à deux rotations obligatoires par semaine n’y est pas étrangère.
En septembre 2019, un accord prend de surprise le marché lorsque l’italienne annonce la signature d'un accord avec la danoise DFDS d’un échange de navires entre les deux compagnies. Ce qui a d’ailleurs réveillé les spéculations sur sa situation financière. Ses difficultés amèneront cependant à l'annulation de la transaction avec DFDS en raison du refus des créanciers de la compagnie de lever les hypothèques pesant sur les deux navires avant le délai de livraison. La suite est connue.
Le groupe a actuellement deux grand ferries en commande, configurés pour être convertis au GNL. La construction de l’un d’entre eux, Moby Fantasy, a été lancée en novembre dernier, et son entrée en service est prévue en 2023. Aucune date en revanche n’est indiqué pour le Moby Legacy, son sistership.
Adeline Descamps