C’est une page lourde d’une valeur inestimable qui se tourne pour le groupe Bolloré après plus de trois décennies de présence sur le continent africain depuis sa première prise de guerre en 1986 lorsque, grâce à son carnet d’adresses et ses relations politiques, Vincent Bolloré avait acquis, auprès de Suez, la SCAC (Société Commerciale d’Affrètement et de Combustible). Une opération qui a considérablement ouvert les horizons de l’ex-papetier français, à la diversification alors encore embryonnaire, en lui permettant de prendre pied ensuite dans le transit, la manutention en France et en Afrique avec la Socopao. Cette année-là peut vraiment être considérée comme charnière quand on connaît aujourd’hui le poids des activités africaines dans le chiffre d’affaires de la multinationale, qui ont été de tous temps une machine à cash.
Dans deux communiqués distincts et laconiques, parvenus dans les rédactions en début de soirée le 31 mars, le groupe français Bolloré et l’armateur de porte-conteneurs suisse MSC ont confirmé la cession/vente des activités de transport et de logistique en Afrique contenues dans le pôle Bolloré Africa Logistics (BAL) pour 5,7 Md$. C'est exactement le prix proposé par MSC dans son offre de rachat en décembre 2020.
Vincent Bolloré réalise aujourd’hui une remarquable affaire alors que son empire africain, qui s’étend du Gabon (Owendo International Port) au Cameroun (Kribi) en passant par la Guinée (Conakry), la Côte d’Ivoire (Abidjan) et le Sénégal (Dakar), était estimé entre 2 et 3 Md€.
Sur la constitution du groupe en Afrique : Les activités africaines de Bolloré, à tout prix
Seize terminaux à conteneurs, trois concessions ferroviaires
C’est à ce niveau de valorisation que le groupe français, qui avait déjà cédé ses activités portuaires en France à Maritime Kuhn en 2019, va donc se désengager de 16 terminaux à conteneurs en Afrique centrale et de l’Ouest, trois concessions ferroviaires (Camrail au Cameroun, Sitarail en Côte d’Ivoire et au Burkina Faso, Benirail au Bénin totalisant 2 700 km de voies ferrées), qui traitent chacune entre 1 et 1,5 Mt de marchandises, sept installations ro-ro et tout un ensemble d’entrepôts, de ports secs, d’agences maritimes… Au total, une quarantaine de ports et 280 entrepôts totalisant 909 000 m2.
L’ensemble des terminaux portuaires de BAL ont traité 5,54 MEVP en 2020. Malgré son appellation, BAL ne compte pas que des activités en Afrique. Les concessions en Inde (Tuticorin dans le sud du continent), au Timor et Haïti sont comprises dans la cession.
Tirer un trait
L’opération, encore conditionnée au feu vert des autorités de la concurrence ainsi qu’à l’accord de certaines des contreparties de Bolloré Africa Logistics, pourrait être finalisée d’ici la fin du premier trimestre 2023.
Si la multinationale aux actifs diversifiés dans la communication, les médias, les télécoms, l’édition, reste en position de force en Afrique, notamment à travers Vivendi, elle permet à Vincent Bolloré de tirer un grand trait sur ses ennuis médiatico-judiciaires en Afrique et en France à l’heure où il laisse les rênes à ses enfants au terme d’une transition qui n’en finit plus.
Il avait été acculé à une procédure de plaider-coupable avec une amende dans le cadre d’une transaction avec le parquet national financier pour une affaire au Togo. Sa réputation sulfureuse entretenue par ses liens avec de hauts dignitaires africains, son éthique douteuse dans l’obtention de certains contrats – Lomé au Togo et Conakry en Guinée –, comme tendent à le montrer l’enquête et la mise en examen par le parquet financier national, la perte de la concession de Douala, pièce maîtresse de son armature portuaire, l’échec de la grande boucle ferroviaire en Afrique de l’Ouest, l’effritement du soutien des autorités françaises… ont sans doute joué dans cette rupture radicale avec l’Afrique portuaire.
MSC a déposé une offre pour les activités de Bolloré Africa Logistics
MSC devient colosse portuaire
Mais plus encore, Vincent Bolloré reste un financier hors pair. Il n’y avait pas de meilleur moment pour vendre alors que les compagnies maritimes ont réalisé des profits colossaux et ont manifesté ces derniers mois leur appétence pour les réinvestir.
Nain portuaire en Afrique subsaharienne avec trois terminaux, à Lomé, qui a rapidement dépassé le million d’EVP, San Pedro (Côte d’Ivoire) et TinCan/Lagos (Nigeria), MSC à travers sa filiale TIL deviendra d’un coup d’un seul un colosse de la manutention portuaire.
Maersk et CMA CGM, respectivement numéros deux et trois mondiaux, étaient plutôt attendus sur l’affaire. Tous deux poursuivent, à coups d’acquisitions onéreuses, une stratégie d’intégration aval visant à offrir un service intégré de porte-à-porte. C’est MSC, le leader mondial de la ligne régulière, présent en Afrique avec 50 services, 123 escales hebdomadaires dans 60 ports africains, qui rebat les cartes.
La sortie de Bolloré du jeu portuaire africain consacre un peu plus la mainmise des grands armateurs dans les terminaux portuaires alors que Hapag-Lloyd, qui était encore peu présent sur le jeune continent, a récemment mis la main sur NileDutch, compagnie néerlandaise très implantée en Afrique de l’Ouest, qui résistait face à des concurrents mastodontes, puis Deutsche Afrika Linien, tous deux témoignant de l’intérêt de l’armateur allemand pour l’Afrique.
Consécration des grands armateurs
MSC, Maersk et CMA CGM sont, parmi les armateurs, les plus introduits sur le continent africain : ils totaliseraient à eux trois 70 % des capacités déployées en Afrique de l’Ouest et du centre et 75 % en Afrique de l’est et du sud, selon les données de la Fondation Sefacil, spécialiste de l’Afrique maritime et portuaire. Mais la concurrence y est pour l’heure émiratie (DP World à Dakar au Sénégal et à Berbera au Somaliland notamment) … Les géants asiatiques et leaders mondiaux de la manutention portuaire que sont le singapourien PSA et le hongkongais Hutchison restent singulièrement absents de l’Afrique subsaharienne.
Quant à la présence chinoise, la sympathie de Pékin pour le continent africain n’est plus à prouver. Mais elle s’exprime surtout dans la construction et le financement des infrastructures. Celles-là même sur lesquelles opèrent aujourd’hui les géants du transport maritime.
Adeline Descamps