Après Stena et P&O Ferry, DFDS a annoncé le licenciement de 650 personnes dans le cadre d’un programme de réduction des coûts qui vise à réaliser plus de 30 M€ d’économies. Les mesures de confinement et la fermeture de l’espace Schengen coûtent très cher au ferry...
Tour à tour, les plus grands noms du ferry européen annoncent des mesures radicales. Dès mars, en raison des mesures de confinement et des restrictions de voyage, ils avaient été contraints de suspendre leurs activités de transport de passagers pour se concentrer sur le fret. Pour la plupart, la décision s’était accompagnée de la mise au chômage d’une bonne part de leurs employés, en partie couverts par des programmes de maintien de l'emploi que la plupart des États européens ont initiés. Manifestement, cela n’a pas suffi.
La compagnie danoise de ferry DFDS, pourtant plus orientée fret que ses homologues d’Europe du nord, a annoncé devoir réduire ses coûts, de l’ordre de quelque 35 M€, qui devrait se matérialiser par le licenciement de 650 des 8 600 personnes que le groupe emploie. 200 emplois sont concernés au Danemark. « Notre réponse initiale au Covid-19 a été couronnée de succès. Nous devons désormais prendre des mesures supplémentaires pour restaurer la croissance », mentionne Torben Carlsen, le PDG dans le communiqué de la société. Il a en outre annoncé qu’il quittait le régime d'aide d'État danois qui avait permis à la compagnie de mettre au chômage technique 2 800 personnes. DFDS a également obtenu des banques des liquidités nécessaires pour « permettre de traverser la pandémie en toute sécurité ».
Torben Carlsen, PDG de DFDS ©DFDS
Baisse du résultat d’exploitation de 10 %
L’un des grands opérateurs du ferry européen, qui s’est construit par croissance externe, notamment en exploitant l’échec des activités de diversification de Maersk et de Louis Dreyfus Armateurs, avait annoncé fin mars un résultat d'exploitation en baisse 10 % par rapport au premier trimestre de 2019. Il l’imputait aux restrictions de voyages entre les pays qui l’ont obligé à suspendre les traversées sur les lignes Amsterdam-Newcastle et Copenhague-Oslo tandis que les autres lignes en mer Baltique, en Méditerranée, en mer du Nord et dans la Manche se sont concentrées sur le fret. Dès avril, 17 navires sur plus de 50 étaient désarmés.
Malgré l'ouverture des frontières aux échanges, les volumes de l’armateur danois ont été particulièrement affectés par l’arrêt de production des industries automobile et textile, qui constituent son fonds de commerce. La société avait, à l’issue du premier trimestre, revu à la baisse ses perspectives pour 2020, à 2 milliards de couronnes danoises (soit autour de 270 M€).
Si DFDS a rouvert récemment sa ligne entre Oslo-Frederikshavn-Copenhague, son autre liaison phare Amsterdam-Newcastle reste suspendue. « L'incertitude reste exceptionnellement élevée, en particulier pour le transport de passagers, et cela pourrait encore entraîner une modification importante des perspectives et des hypothèses au cours du second semestre de l'année », a indiqué Torben Carlsen.
P&O Ferries va perdre 1 100 emplois
Fin de non-recevoir de DP World
Son grand rival en Europe du nord, Stena, qui occupe des positions fortes en mer d’Irlande et opère 20 lignes en Europe du nord, avait également annoncé début avril qu’en plus des 600 personnes au chômage technique, il devrait en licencier 150, estimant qu’il ne fallait pas s’attendre à une amélioration du nombre de passagers avant 2021. L'entreprise avait annoncé dès la mi-mars le licenciement de 950 employés en Scandinavie.
Le 12 mai, P&O Ferries, également en difficulté financière, a aussi annoncé le licenciement de 1 100 personnes, évoquant ce préalable comme nécessaire pour que la compagnie puisse survivre. Bien que le dispositif de maintien de l'emploi du gouvernement britannique ait été prolongé jusqu'en octobre, la compagnie britannique a néanmoins décidé de convertir les mises au chômage partiel en quelque chose de plus définitif. Ils concernent notamment plus de 600 membres d'équipage sur les lignes Douvres-Calais et 100 employés sur les lignes Hull-Zeebrugge et Hull-Rotterdam. La compagnie avait sollicité en vain une intervention du gouvernement britannique à hauteur de 150 M£ (169,8 M€). Elle avait également fait valoir auprès de sa société mère, DP World, un besoin de trésorerie de 257,5 M£ (291,5 M€), qui lui avait répondu par une fin de non-recevoir.
Brittany Ferries condamne le Honfleur
Jean-Marc Roué, président du conseil de surveillance de Brittany Ferries ©EH
Des pertes, des incertitudes et des investissements déprogrammés
Atypique dans le paysage du ferry européen, appuyée par les collectivités bretonnes et normandes, Brittany Ferries résiste mais sa situation reste problématique, dépendante d’une clientèle britannique (à 85 %) et de conditions d’exploitations particulières : des revenus en livres mais des dépenses de fonctionnement en euros. Depuis la fermeture de l’espace Schengen, le 19 mars, la compagnie opérant sous pavillon français a, comme ses homologues, interrompu son activité de transport de passagers pour se concentrer sur le fret (20 % de son chiffre d’affaires). Brittany Ferries a donc été contrainte de mettre au chômage partiel 1 311 personnes sur un effectif total de 2 865 employés.
Aujourd’hui, la direction de l’armement breton estime à 130 M€ l’impact sur son résultat. Les incertitudes pesant sur la saison touristique estivale 2020 l’ont contraint à mettre en sommeil quelques investissements, tel son projet d’autoroute ferroviaire entre Mouguerre et Cherbourg. En revanche, il a obtenu le feu vert pour reprendre la mer. Quatre navires ont relancé la machine le 29 juin.
Si la société de Roscoff va bénéficier du dispositif instauré par le gouvernement français, le PGE, à hauteur de 117 M€, Jean-Marc Roué, le président de la société estime que cela ne suffira pas. Il compte notamment sur une des dispositions du Plan Relance Tourisme, dont l’assiette est établie sur la base des trois plus importants mois de chiffre d’affaires (contre 25 % du CA moyen pour un PGE standard). Une autre mesure réservée aux PME de moins de 250 salariés lui permettrait en outre de bénéficier d’un remboursement des charges patronales sur les salaires des sédentaires ayant travaillé pendant la période d’interruption du trafic passagers (mars-juin). Il espère plus fondamentalement bénéficier du concept du « net wage » (remboursement aux armateurs des charges sociales salariale). Une disposition dont bénéficie DFDS mais qui est aussi accessible aux pavillons italien, allemand et belge…
Adeline Descamps