La pénurie de tonnages à l’affrètement incite les compagnies à se reporter sur des navires polyvalents. Plusieurs propriétaires ont confirmé avoir proposé leurs MPV à l'affrètement sur la ligne régulière. Les tarifs ont grimpé ces dernières semaines.
Faute de grives, on mange des merles. La plupart des courtiers avaient envisagé l’hypothèse il y a quelques semaines déjà. Alphaliner semble l’accréditer. Faute de porte-conteneurs disponibles à l’affrètement, alors que la demande est forte et les taux de fret élevés, les compagnies maritimes optent pour les navires polyvalents (MPV, multi-purpose vessel).
« La pénurie de porte-conteneurs cellulaires sur le marché de l'affrètement oblige certains transporteurs à exploiter le marché polyvalent pour couvrir leurs besoins, en ciblant des navires offrant de la capacité et de la performance (vitesse de navigation, NDLR) », indique le spécialiste de la ligne régulière dans sa dernière note hebdomadaire.
Pour illustrer cette tendance, il mentionne le cas de HMM qui a affrété le MPV Thalia, un cargo polyvalent de 30 000 tpl et d'une capacité de 1 888 EVP pour un affrètement de cinq à six mois. Le navire sera déployé sur un service régulier entre la Corée du sud et l'Extrême-Orient russe. La compagnie sud-coréenne serait également sur le point d’exploiter les Hyundai Masan, Hyundai Antwerp et Hyundai Ulsan. La compagnie indonésienne Samudera aurait, elle, opté pour le MPV Clio afin de l’exploiter sur un service de conteneurs en Asie du Sud-Est à partir de décembre.
Selon Alphaliner, plusieurs propriétaires de flotte de polyvalents confirment avoir proposé leurs navires pour une exploitation sur la ligne régulière. Ils feraient même monter les enchères et exigeraient des contrats de longue durée. L’offre de tonnage réduite favorise inévitablement une augmentation des taux et des temps d’affrètements.
Contrats d’affrètement à terme
L'indice BOXi de l'affrètement à temps de porte-conteneurs du courtier Braemar ACM certifie. Il s’affermit. À 118,64 points (en semaine 47), il est deux fois supérieur à son niveau de début d’année.
L’engouement pour les MPV pourrait toutefois être de courte durée. Les contrats d’affrètement d’un certain nombre de porte-conteneurs, opérés par des propriétaires non exploitants (NOO, non-operating owners), arrivent simultanément à échéance, ce qui va injecter des capacités sur le marché. Costamare (flotte de 73 navires) pourrait voir plus de 100 000 EVP, soit un cinquième de la capacité de sa flotte, sortir de l'affrètement au quatrième trimestre et au premier trimestre 2021. De même, Danaos a plus de 80 000 EVP qui pourraient être mis en service d'ici à la fin mars, soit l'équivalent de quelque 25 navires. Global Ship Lease a également 15 % de sa flotte potentiellement disponible avant la fin de l’année.
Pour les NOO, l’embellie s’annonce également. Après avoir touché le fond en juillet, les taux d'affrètement à temps ont grimpé en flèche ces dernières semaines et pour toutes les tailles de navire. La poussée de fièvre soudaine des tarifs, qui a d’abord concerné les grandes unités (4 000 EVP et plus), a gagné les plus petites tailles. Un porte-conteneur de 3 000 à 3 500 EVP est désormais fixé à près de 18 000 $/j, contre 16 000 $ à la fin du mois d'octobre. Les unités de 2 500 EVP ont renchéri de 3 000 $ en quelques jours.
Comment la capacité peut-elle manquer autant ?
Il reste une inconnue. Comment, après avoir commandé tant de navires – 5,4 MEVP entre 2013 et 2015 – la capacité peut-elle autant manquer sur le marché ? Face à une demande en berne, les transporteurs maritimes ont ajusté au plus près l’offre mais ont depuis ils ont largement relancé la capacité pour absorber une demande certes à la « volatilité sans précédent ».
« Les commandes en nombre entre 2013-2015, lorsque les méga-navires faisaient fureur, signifiaient que le secteur comptait sur une forte demande qui ne s'est pas concrétisée. La tactique sans précédent de gestion de la capacité par les transporteurs en 2020 peut être considérée comme la correction nécessaire pour avoir parié trop fort d'un côté quelques années plus tôt », tente une explication le consultant britannique Drewry.
« Avoir une capacité excédentaire dans le système a été bénéfique ces derniers mois. Elle a permis aux transporteurs de mieux gérer la hausse très volatile de la demande qu'ils n'auraient pu le faire autrement. La vitesse à laquelle certains navires sont passés de la catégorie de navires en surplus à celle de navires essentiels a été stupéfiante, comme en témoignent la diminution rapide de la flotte inutilisée et la montée en flèche des taux de fret. » Pour Drewry, le problème actuel est moins lié à un nombre insuffisant de navires qu'à l'incapacité de les acheminer en temps voulu là où ils sont nécessaires. C’est valable pour les conteneurs...
Adeline Descamps