Entre ONE et Evergreen, la frontière a longtemps été ténue jusqu’à ce que la japonaise se fasse supplanter par la taïwanaise en mai 2022. ONE s’est laissé surprendre par la politique massive d’investissement d’Evergreen, adepte de la grande taille. Alors que le dernier de ses six géants de 24 000 EVP est prévu pour novembre 2024 – les Ever Arm, Ever Ace, Ever Act, Ever Aim et Ever Alp ont, eux, été livrés –, le transporteur taïwanais a encore commandé trois grandes unités supplémentaires en début d’année auprès du constructeur chinois CSSC qu'il doit réceptionner en 2025.
Avec son engagement pour 24 navires prêts pour le méthanol notifié en juillet, Evergreen est non seulement venu troubler l’ordre établi entre Maersk et CMA CGM qui sont au coude à coude dans cette quête à la capacité verte. Mais au-delà, avec cet apport de 384 000 EVP, la compagnie est en mesure de déloger Hapag-Lloyd de la 5e place mondiale.
ONE et Evergreen au coude à coude
Après avoir réduit sa flotte de 7,1 % par rapport à 2018, ONE a renoué avec la logique expansionniste, ayant programmé 20 Md$ d'ici 2030 afin de mettre à l’eau 150 000 EVP par an pour porter sa flotte à 2,3-2,4 MEVP d'ici la fin de la décennie.
Sa flotte en construction comprend aujourd'hui 37 navires représentant une capacité supplémentaire de 471 549 EVP.
La compagnie nippone, née en 2018 de la fusion des activités conteneurs des transporteurs du pays – NYL, MOL et K-Line –, a repris récemment, sous l’effet des livraisons de ses gros-porteurs de plus de 24 000 EVP, l'avantage sur Evergreen, son challenger pour la sixième place mondiale.
ONE affiche une capacité légèrement supérieure avec 1 683 337 EVP repartis sur 218 navires contre 1 673 600 EVP pour Evergreen et 213 porte-conteneurs. Tous deux détiennent une part de capacité mondiale de 6,1 %.
Un avantage éphémère pour ONE
Le début d'année a été décisif entre les deux compétiteurs. Entre janvier et juillet, ONE a ainsi vu sa flotte s’étoffer de 114 362 EVP (+ 7,5 %) quand Evergreen n’a gagné que quelque 11 000 EVP (+ 0,7 %). Mais au vu du carnet de commandes de la Taïwanaise, la préséance de la Japonaise ne sera que l’histoire de quelques mois, jusqu'à la fin de l'année.
Evergreen a en commande 860 650 EVP avec 72 navires ce qui, une fois livrés, lui conférera une capacité totale de 2,51 MEVP, soit un delta de 636 000 EVP en sa faveur et une avance certaine sur ONE.
Soif d'acquisitions d'Evergreen
Avec ses constructions en cours qui représentent près de 50 % de sa flotte en exploitation (contre seulement 27,9 % pour ONE), Evergreen rivalise avec MSC en termes d'acquisitions de navires. Et partage avec CMA CGM la possibilité de fournir l'alliance Ocean en tonnages sur la ligne Asie-Europe. Cette puissance de feu a largement contribué aux parts de marché acquises (37 % contre 34,7 % en avril 2022) par le réseau sur ce trade.
Hapag-Lloyd chahuté
Si l’inamovible Hapag-Lloyd, qui campe le cinquième rang mondial de la ligne régulière avec 7 % de parts de marché (1,74 MEVP), ne réagit pas, Evergreen pourrait s’y loger.
Actuellement, il y a encore quelque 200 000 EVP qui distance l’armateur allemand de la sixième et septième place. Et en y ajoutant ses tonnages en commandes (un peu moins de 290 000 EVP), il ne totalise que 2,16 MEVP, noyé par les 840 000 EVP du Taïwanais.
L’offre, qu'Hapag-Lloyd a déposée pour acquérir ou prendre une participation dans HMM, le numéro huit mondial, peut se lire comme une volonté de préserver son droit d’entrée dans la cour des grands, alors qu’il est tenu en respect par le quatuor de tête.
La Sud-coréenne, qui exploite une flotte de 75 porte-conteneurs totalisant près de 820 000 EVP, a actuellement quelque 265 000 EVP en commande. « La taille n’est plus la raison d’être du transport maritime », confiait pourtant Rolf Habben Jansen, le directeur général en 2018 à l’occasion de la présentation de sa vision à cinq ans.
À l’époque, la presse avait révélé que CMA CGM et Hapag-Lloyd avaient échangé à plusieurs reprises. La rumeur avait tellement enflé que les principaux actionnaires de l’armateur allemand, notamment la famille Kuhne, CSAV et la Ville de Hambourg (13,9 %), avaient dû admettre avoir été approchés mais sans être intéressés.
Nouvelle consolidation du secteur ?
Le transporteur allemand a déjà largement participé à la consolidation du transport maritime de conteneurs. Après avoir raté sa compatriote Hamburg Süd, absorbée par AP Møller Maersk, il a mis la main sur la chilienne (CSAV) en 2014 et sur le transporteur du Golfe, United Arab Shipping Co (UASC) en 2017, ce qui lui avait permis de doubler sa capacité de transport.
La nouvelle opération de consolidation pourrait cependant être ajournée. Les médias sud-coréens émettent l'hypothèse que la vente pourrait être une nouvelle fois retardée du fait de l'absence de grandes entreprises nationales, le gouvernement sud-coréen étant très sourcilleux sur la vente d’actifs stratégiques à des investisseurs étrangers.
Du mouvement dans le Top 3
En haut de la hiérarchie, c’est aussi la tectonique des plaques. Avec plus de 1,5 MEVP en commande, soit 29,3 % du carnet mondial et une flotte de la taille de celle d’Evergreen, la position de leader mondial de MSC est cimentée pour de nombreuses années à venir. Avec ses achats de navires d'occasion, la compagnie du groupe de la famille Aponte a accueilli un bataillon proche du tonnage du Japonais ONE.
MSC a ravi en janvier 2022 à Maersk la couronne qu’il portait depuis 2004 grâce à une stratégie de croissance externe : Sealand (1999), P&O Nedlloyd (2005) et Hambürg Sud (+ 600 000 EVP en 2017). L'armateur danois s’est laissé délibérément délogé de sa stèle au nom de ses priorités stratégiques, à savoir son ancrage dans la logistique.
Le transporteur génévois, qui détient aujourd’hui 19,1 % de parts de marché mondial dans le transport maritime de conteneurs, selon les données de référence d’Alphaliner, a réalisé une ascension-propulsion purement organique. Sans fusions ni acquisitions.
Prochain tour de force entre CMA CGM et Maersk ?
Le prochain tour de force est entre les mains de CMA CGM, actuel numéro trois mondial avec une flotte de 628 navires et 3,51 MEVP (12,8 % de parts de marché mondial).
Avec près de 4,12 MEVP en service (part de marché mondiale de 15,2 %), Maersk n’a « que » 33 navires en commandes, soit une capacité de 400 000 EVP, alors que les 1,2 MEVP en construction de CMA CGM devraient porter la flotte de l’armateur français à 4,7 MEVP lorsque les 116 navires seront livrés (sachant qu’une partie sera destinée à remplacer de vieux tonnages).
Outre la commande et sa fréquentation du marché S&P (105 porte-conteneurs de seconde main acquis depuis août 2020, soit 427 000 EVP), CMA CGM est aussi et de loin l'affréteur le plus actif avec plus de 170 contrats conclus depuis le début de l'année, loin devant Cosco (une quarantaine de contrats), Maersk (33), Hapag-Lloyd (29), MSC et ONE (28 chacun).
Cap sur les 4 MEVP pour CMA CGM
La compagnie marseillaise avait repris en 2021 la troisième place du classement mondial à Cosco, Si les 917 386 EVP en construction (50 unités) devraient permettre à l’armateur chinois de porte-conteneurs de « se refaire », il restera largement distancé.
La flotte opérée par CMA CGM a franchi pour la première fois le seuil de 1 MEVP en juillet 2009. Le rachat de NOL (APL) a propulsé sa capacité de 1,79 à 2,34 MEVP. La barre des 3 MEVP a été franchie en janvier 2021. Le cap des 4 MEVP devrait être atteint à la fin de 2024 ou au début de 2025.
Le groupe marseillais passera alors de la troisième à la deuxième place mondiale, au détriment de Maersk, délogée pour la deuxième fois en moins de trois ans.
Adeline Descamps
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