La fortune personnelle des armateurs épinglée

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Un article paru dans la presse suisse fait grand bruit en étalant la fortune personnelle, évaluée à quelque 100 Md$, de la famille Aponte, à la tête du groupe de transport maritime MSC. Rodolphe Saadé est également pris à partie, sans fard, sur ce thème par un député LFI à l'occasion de son audition par les parlementaires dans le cadre d'une commission sur la taxation des profits exceptionnellement élevés.

La fortune personnelle des acteurs économiques est tombée dans le domaine public. Un article paru dans la presse suisse fait grand bruit en exposant les richesses d’une famille connue pour sa proverbiale discrétion. Celle de la famille Aponte, propriétaire du groupe de transport maritime MSC, qui se refuse à déclarer ses résultats financiers, a désormais un prix. Ou du moins, une évaluation : 100 Md$.

La projection se base sur des calculs (simples) rapidement esquissés et reposant... sur les revenus de ses concurrents. John McCown, fondateur de Blue Alpha Capital, estime les bénéfices de MSC pour la période d'un an, de juin 2021 à juin 2022, à près de 26,6 Md$. En s’appuyant sur les données de VesselsValue, les actifs du groupe – la seule flotte de la société (porte-conteneurs, ferries et paquebots) sans les actions, les biens immobiliers, les liquidités ou autres –, auraient une valeur de 42,6 Mds.

Se reportant aux classements précédemment établis par Forbes et l’agence Bloomberg, qui attribuaient à la famille une richesse de 12,2 à 17,5 Md$, le comptable de la fortune des milliardaires en déduit que l’entrée de la famille italienne au panthéon des plus fortunés de ce monde – où règnent Bill Gates de Microsoft et Warren Buffett le financier –, résultent des superprofits pandémiques. Un temps où les taux de fret ont pulvérisé tous les records, passant à grands traits de 2 700 $ à plus de 15 000 $ sur le transpacifique par exemple.

Réinvestissement dans le développement

Il y a quelques semaines, Rodolphe Saadé, le PDG du groupe CMA CGM, se faisait aussi épingler pour sa fortune personnelle par un député des Bouches-du-Rhône de La France insoumise (LFI), Manuel Bompard alors qu’il était auditionné par les parlementaires. « Vous faites partie du club des cinq milliardaires français et vous possédez autant de richesses que 27 millions de Français avec une fortune en dizaines de milliards de dollars », l'avait cueilli le président d’une commission bipartisane sur la taxation des superprofitsChallenges, qui a sorti son palmarès des nantis français durant l’été, estime le capital de l’héritier du groupe CMA CGM à plus de 41 Md$.

Les Aponte, comme les Saadé, restent maîtres en leur royaume. Le groupe MSC est exclusivement la propriété de la famille originaire de Sorrente. CMA CGM est contrôlé à 74,5 % par la famille aux racines libano-syriennes. Les deux ont une longue tradition de réinvestissement des bénéfices dans leur développement et la réputation d’être économes sur le versement des dividendes (pour CMA CGM). Cette politique est reconnue par les agences de notation internationale.

Le PDG de la compagnie française a réglé ses comptes à cet égard avec la nation française pendant plus d’une heure, d’abord devant les sénateurs, puis face aux députés, où il a déployé les couleurs de ses bénéfices : bleu cobalt, blanc virginal et rouge sang. De l’argent réinvesti dans des acquisitions préparant les lendemains qui commencent à déchanter, l’emploi relocalisé en France et très peu en impôts puisque l’entreprise est dispensée d’une grande partie grâce à la taxe au tonnage dont bénéficient aussi les autres armateurs. Une absinthe difficile à avaler en France où l’impôt sur la fortune est un totem ou un tabou selon son siège au Palais Bourbon.

Surinvestissement

Depuis le début de la pandémie, MSC, qui joue dans la même catégorie, n’a pas hésité non plus à surinvestir sa flotte pour surplomber son marché et son environnement. Son carnet de commandes totalise 1,76 MEVP (126 navires) selon les calculs d'Alphaliner, plus de deux fois supérieur à celui de tout autre transporteur, et équivaut à 38,8 % de sa flotte existante (704 porte-conteneurs). La capacité actuelle de la société est légèrement supérieure à 4,5 MEVP, ce qui lui confère une part de marché mondial de 17,5 %.

En deux ans, depuis août 2020, MSC aura acheté 244 navires. C’est ainsi qu’il a déboulonné en janvier Maersk de son piédestal où il trônait depuis 2004. Sans crier gare mais avec le consentement muet de son partenaire au sein de l’alliance 2M qui a fait d’autres choix (logistique) et qui lui doit rendre des comptes et des dividendes, non à la famille, mais à des actionnaires.

Il n’a pas hésité non plus à mettre 5,7 Md€ pour les activités portuaires africaines de Bolloré Africa Logistics. Sans doute plus que sa valeur réelle. Et a annoncé un investissement conjoint avec sa filiale Til de 700 M€ dans le port du Havre. Le transporteur maritime vient par ailleurs de lancer sa compagnie aérienne tout-cargos. Le réinvestissement n’est pas une vue de l’esprit, se défendent les partisans du groupe italo-suisse, qui a en France de nombreuses amitiés, y compris politiques. 

Les Chantiers de l’Atlantique, à Saint-Nazaire, lui doivent beaucoup. Le groupe genevois y aurait laissé plus de 20 Md$ pour 19 paquebots. Les seuls contrats signés pour la seule classe World d’une valeur de 6 Md€ devraient générer pour le chantier naval et son réseau de sous-traitants quelques 30 millions d’heures de travail supplémentaires directes et indirectes, avait fait valoir la direction des Chantiers. 

Riches mais mortels 

Les Aponte ont aussi la réputation de faire montre d’un certain paternalisme, ce que d’aucuns qualifient d’affectivité, et d’avoir aussi le sens des relations personnelles. Parfois, il est vrai, pour le meilleur et pour le pire de la psyché de la société. 

Si, en 2016-2017, Alexis Kohler, secrétaire général de l’Élysée, récemment mis en examen pour ses liens avec MSC alors qu’il représentait l’État français au conseil d’administration des chantiers de Saint-Nazaire, percevait en tant que directeur financier de MSC Croisières un salaire net de 23 891 francs suisses par mois (24 340 €), le salaire annuel moyen des 1 400 employés de MSC en Suisse a été l’an dernier de 167 000 € selon les médias locaux. Plutôt généreux. 

Que ce soit Rodolphe Saadé ou Diego Aponte, ils héritent tous deux de sociétés aux débuts plus qu’artisanaux et chaotiques (dans les années de plomb pour MSC) et doivent naviguer dans une industrie qui a longtemps été en crise et qui y retourne d’un seul battement d’aile de papillon comme l’actualité en offre une nouvelle démonstration. Gagner de l’argent n’est pas un péché mortel mais être riches ne rend pas non plus immortels. 

Adeline Descamps

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