Le carnet de commandes des porte-conteneurs est plein à craquer. Les données diffèrent selon les sources entre les « moins-disant » Alphaliner, pour lequel la capacité commandée équivaut à 26,2 % de la flotte en exploitation (mi-avril), ou Clarksons, qui place le curseur à 26,9 %, tandis que le courtier Braemar ACM fait de la surenchère avec ses 30 %, soit 7,5 MEVP. Que ce soit 6,3 ou 7,5 MEVP, le volume de construction actuellement en commande agrège la capacité des flottes de CMA CGM, Cosco et Hapag-Lloyd.
Lorsque les navires seront livrés, en 2023 et 2024, la flotte devrait avoir augmenté de 10 % en termes de capacité (EVP) alors que la croissance en 2022 est attendue autour de 4 %, selon les données de Braemar ACM. Ainsi, en 2023, l’équivalent de 2,5 MEVP devraient être livrés et plus de 3 MEVP en 2024 (3,5 MEVP selon Clarksons), le plus grand volume jamais livré en une seule année. Par comparaison, c’est le poids de la flotte actuelle de CMA CGM.
Premier client mondial des chantiers, le leader mondial MSC détient le plus grand carnet de commandes avec 1,33 MEVP, une capacité équivalente à celle des 90 compagnies classées entre la 10e et la 100e place du classement mondial.
Glissement dans les modes de propulsion
Les lignes bougent dans le choix de la propulsion. Depuis le dernier trimestre de 2021, la part des carburants conventionnels est passée sous la barre des 50 % au large profit des propulsions hybrides avec le GNL tandis que les carburants zéro émission à l’instar du méthanol et de méthanol/ammoniac restent encore marginaux sur la base de la dernière actualisation de Maritime Strategies International (MSI).
Pour la première fois, la majorité des commandes passées depuis le début de l’année – 63 % en termes de tonnage brut –, concernent des unités qui seront alimentées par des carburants alternatifs, le GNL plébiscité dans 59 % d’entre elles contre 28 % l’an dernier. Les navires à batterie/hybride retiennent également les intérêts, avec 26 contrats cette année.
Non sans surprise, le « ready for » – autrement dit la possibilité de configurer les moteurs ultérieurement sans trop de modifications de structure –, séduit les transporteurs. Depuis le début de l’année, une vingtaine de navires au GNL ont ainsi été « optionnés » avec la disposition ammoniac/méthanol. L’attentisme des armateurs s’explique aussi par l’extrême volatilité des prix de l’énergie.
La Chine et la Corée du Sud, maîtres de la construction navale
En termes de chantiers, les Sud-Coréens, qui font jeu égal avec les Chinois, tous deux maîtres du monde en la matière, ont atteint en avril le plus haut niveau de commandes depuis six ans alors que le total des contrats de construction enregistrés ce mois-là, tous chantiers et toutes catégories de navires confondus, a diminué d'un tiers (71 navires, 2,51 Mtpl) sur une base annuelle, selon les données de Clarkson Research Service.
La Chine et la Corée du Sud ont bénéficié de la quasi-totalité de la demande de nouveaux navires en avril, la Chine pour 45 navires et 1,54 Mtpl et la Corée du Sud pour 16 unités totalisant 820 000 tpl.
Les calendriers s’ajustent
Les délais commencent à glisser, certaines livraisons sont désormais repoussées au-delà de 2024. Les grands chantiers n’étant plus en mesure d’absorber aucune nouvelle commande, d’autres en profitent à l’instar de K Shipbuilding, le chantier restructuré pour STX, qui a récemment enregistré ses premiers porte-conteneurs et transporteurs de voitures, selon une information du Lloyd's List.
Sur les quatre premiers mois de l’année, les nouveaux contrats ont été estimés par Clarksons à 5,81 Mtpl avec une part de marché des Sud-Coréens de 45,9 %, soit un carnet de commandes total de 688 navires et 32,68 Mtpl.
Le coût de construction a explosé
En termes de valeur, le coût de construction n’échappe pas à l’inflation qui touche tous les matériaux de base. Ainsi, un méthanier, navire au demeurant technique et complexe, serait désormais de 30 à 40 % plus cher qu'un porte-conteneurs. Le prix moyen d’un navire construit par les constructeurs sud-coréens s’établit à 143 M$, de 66 % plus élevé que celui de leurs rivaux chinois, en moyenne à 86 M$, fait valoir Clarksons.
Submergée par l’afflux massif de commandes de ces derniers moins, la Corée du Sud a été contrainte de revoir les règles relatives à l’octroi de visas afin de permettre aux chantiers navals d’avoir recours à des travailleurs étrangers. Les constructeurs se heurtent à une pénurie aiguë de main d’œuvre.
Adeline Descamps