Kuehne+Nagel : « la ponctualité des navires s'affiche en dents de scie »

port de Singapour

Le port de Singapour fait partie des hubs actuellement les plus congestionnés.

Crédit photo @Duxton
Après une année 2023 où les perturbations en mer consécutives à la pandémie s'étaient relativement estompées, les retards de navires sont redevenus un problème. La dégradation des services a refait surface. Le suivi effectué par l’outil profiler de navires SeaExplorer de Kuehne+Nagel est éclairant.

Dans un contexte où la seule certitude est l’incertitude tant pour le secteur maritime que pour le commerce international, tous deux secoués par une série de crises sans précédent, la fiabilité horaire des navires est redevenue un problème.

La dégradation des services a refait surface, après une année 2023 où les perturbations en mer consécutives à pandémie s'étaient estompées. Les deux phénomènes ont pour origine le déroutement massif de la flotte mondiale de la mer Rouge vers le cap de Bonne Espérance, qui oblige la flotte mondiale à effectuer des milliers de milles nautiques supplémentaires. Désormais, une partie de la capacité de la flotte mondiale est soit immobilisée au large des ports dans l'attente d'accoster soit absorbée dans les manœuvres pour éviter les terminaux les plus encombrés.

Pour respecter leur transit-time, certains armateurs annulent les escales les moins rentables et procède à un « regroupement de navires » dans certains hubs, ce qui accroît la pression sur certains ports clés, notamment en Asie du Sud-Est (Shanghai, Qingdao, Guangzhou, Singapour, Port Kelang, Tanjung Pelepas…) et en Méditerranée (Tanger Med, Barcelone et Algésiras) où les armateurs transbordent.

Les flux accrus, combinés à des horaires de navigation moins stables, affectent la productivité sur les quais, un phénomène qui a marqué les années Covid.

Mouvement de balancier dans les horaires

Le suivi effectué par l’outil profiler de navires SeaExplorer que Kuehne+Nagel avait lancé en 2019 pour pallier un défaut d'informations pour le chargeur sur la visibilité des trafics (vision sur plus de 63 000 itinéraires mondiaux et 3 400 navires), est éclairant à ce titre.

Alors que la moyenne de ponctualité des navires était de 64,37 % en 2023, avec seulement deux mois en-dessous des 60 % (52,8 % en janvier et 56,8 % en décembre), le début d'année est très loin de ces performances : 47,1 % en janvier, 45,8 % en février, 51,2 % en mars, 44,2 % en avril et 50,2 % en mai.

On reste toutefois bien en-deçà des années 2021-2022, année postpandémique où la congestion avait atteint des sommets inédits. En 2021, la meilleure performance enregistrée par la plateforme plafonnait à 42,7 % et les moyennes mensuelles s’établissaient dans une fourchette entre 26 et 38 %. Durant l’année 2022, démarrée avec un navire sur trois qui arrivaient à l’heure, la régularité se sera améliorée chaque mois davantage pour dépasser les 56,7 % en décembre de cette année-là.

« Bien que ce taux reste inférieur à celui observé au mois de mars, le mois de mai reste le deuxième mois le plus performant en 2024 et enregistre une amélioration sensible par rapport à avril de six points », relève néanmoins Kuehne+Nagel dans sa note.

Un retard moyen de plus de 4 jours

En termes de retard moyen des navires, l’indicateur* a navigué depuis le début de l’année entre 4,1 et 4,4 jours (février et avril). Avec une arrivée moyenne hors délai sur son programme annoncé de 4,2 jours en mai, le niveau enregistré est supérieur de 0,5 jour à celui de mai 2023. Il faut remonter à novembre 2022 pour avoir une donnée similaire lorsque la fiabilité était de 56,3 %.

« Toutefois, le mois de mai a marqué une évolution positive. La moyenne mensuelle des retards à l'arrivée de tous les navires s'est améliorée de 0,3 jour par rapport au moins d’avril », précise le commissionnaire.

Sur ce critère, l’année 2023 reste là aussi le meilleur exercice avec des délais inférieurs à 4 jours (soit 0,4 jour de différence par rapport à 2023 sur chaque mois de février à mai). A contrario, depuis 2021, le pic a été atteint en septembre 2022 (5,4 jours), mois qui avait par ailleurs marqué un basculement du secteur dans la décélération des taux de fret.

Une dégradation dans 7 des 11 trafics

Analysée par routes maritimes, la régularité « a diminué sur sept des onze trafics couverts en avril. Les trafics impliquant l'Asie et la Méditerranée/Mer Noire ont été les plus touchés. En mai, presque toutes les principales routes ont montré des signes de reprise, contribuant à l'amélioration globale des performances en matière de ponctualité », peut-on lire également dans le rapport.

Les meilleures performances sont enregistrées sur les trade les moins sollicités, à savoir le transatlantique (62,8 %) avec pour destination Amérique du Sud.

Pour les trafics impliquant la Méditerranée/Mer Noire, des améliorations à deux chiffres ont été enregistrées d'un mois sur l'autre, après une forte baisse en avril. Le trafic du bassin méditerranée vers le continent nord-américain retrouve ainsi les niveaux observés en septembre 2023 (58 %) après avoir enregistré une amélioration de 28,5 %.

Entre Europe du Nord et États-Unis, l'ETA [date d’arrivée du navire], qui était passée de 3,8 à 4,3 jours entre mars et avril, s'est stabilisée à 3,4 jours en mai.

Globalement, « au cours des derniers mois, le trajet vers l'Est a affiché une fiabilité nettement supérieure à celle du trajet vers l'Ouest et à la performance globale en matière de ponctualité », signale le document à ce sujet.

Des effets dominos

Le commissionnaire met en outre ces données en perspective avec le taux de blank sailing en mai (semaines 18 à 22). Le transpacifique vers l'Est a enregistré 28 départs supprimés ou escales sautées, soit 10,1 % de la capacité offerte. Les annulations de service ont représenté le mois dernier 6,4 % de la capacité dans le sens Asie-Europe du Nord vers l'Ouest.

Les perturbations des programmes pourraient perdurer. Les attaques sans relâche depuis novembre 2023 du groupe chiite yéménite houthi a déréglé l'horloge du transport maritime même si les impacts sont à ce stade concentrés sur quelques « hot spot ».

Avec les déroutements massifs, les navires déployés sur une partie des lignes Est-Ouest ne peuvent plus effectuer les escales au Moyen-Orient. Jebel Ali, Salalah, Djeddah ou King Abdullah n'étant plus couverts par plusieurs services de grande capacité, les volumes transbordés débordent dans certains hubs, à l'instar de Singapour, où les escales de porte-conteneurs ont progressé de 13 %, Tanjung Pelepas ou Port Kelang, les deux principaux ports malais.

Ainsi, les conteneurs traités de janvier à mai à Singapour ont augmenté de 7,7 % en glissement annuel selon les données de l’autorité maritime et portuaire de Singapour (MPA), soit 16,9 MEVP.

100 porte-conteneurs en attente à Qingdao

Selon les données de Drewry, quelque 44 porte-conteneurs ont dû attendre quatre jours au large de la ville-État le mois dernier, contre seulement 14 en janvier.

Symptomatique, Pour y faire face, le leader mondial de la manutention PSA, qui exploite tous les principaux terminaux à conteneurs à Singapour, a ouvert à la mi-mai des postes d'amarrage supplémentaires sur son terminal Keppel, jusqu'alors mis en sommeil. Le manutentionnaire pourrait également accélérer la mise en service de son terminal Tuas étendu.

Autre porte d'entrée majeure, le port chinois de Qingdao a atteint un seuil fatidique à la fin du mois de mai en termes de temps d'attente, avec 100 navires au mouillage, toutefois revenu à une quarantaine d'unités actuellement.

Adeline Descamps

*Pour calculer la ponctualité d'un service, Kuehne+Nagel s'appuie sur les programmes communiqués par les transporteurs, comparés aux arrivées réelles (via les AIS). Tous les navires qui arrivent dans une fenêtre de +/- 24 h au port de destination par rapport à la dernière arrivée annoncée sont considérés comme étant à l'heure.


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