Après avoir grimpé en flèche de façon discontinue pendant près de deux ans, les taux de fret ont décroché des cimes ces dernières semaines, ployant sous les coups de frein de la reprise économique mondiale, contrariée par la guerre en Europe de l’Est, la pénurie et l’inflation des énergies et des matières premières. Un cumul de facteurs négatifs qui conduisent les grandes institutions – Banque mondiale, OMC, FMI – à dégrader mois après mois leurs prévisions.
« Le risque de récession mondiale dans un contexte de resserrement de la politique monétaire et de hausse de l'inflation ne peut qu’exercer une pression supplémentaire sur les taux de fret. La chute des prix du transport maritime peut poser un risque à court terme sur la qualité des actifs et la valeur résiduelle de certaines sociétés de leasing chinoises qui ont une exposition plus importante aux porte-conteneurs », indique l’agence de notation internationale Fitch Ratings.
Parmi les bailleurs de navires notés par ses soins, ICBC Financial Leasing, Bank of Communications Financial Leasing, China Development Bank Financial Leasing et CSSC Shipping Company détiennent les actifs les plus importants, d’une valeur allant de 5 à 16 Md$ à la fin de 2021, soit environ 11 à 33 % de leurs portefeuilles de crédit-bail.
La part du leasing de navires dans le total a augmenté de manière plus significative pour ICBC Leasing et de façon modérée pour Bocom Leasing et CDB Leasing. « Cela reflète leurs stratégies à long terme visant à se développer dans le leasing de navires, tandis que la pandémie a entravé la croissance de leurs activités de leasing d'avions », justifie l’agence de notation.
Diversification du portefeuille
Leur portefeuille paraît aussi bien diversifiée entre les différents types de navires, critère clé pour Fitch. Les porte-conteneurs représentent environ 8 à 33 % de leurs actifs de location de navires (soit 1 à 11 % du total des portefeuilles de location), tandis que le solde est réparti entre des pétroliers, des méthaniers et des vraquiers. « Le niveau élevé de diversification devrait atténuer les effets des cycles économiques », confirment l’expert en risques.
CSSC Shipping Company, filiale de crédit-bail du conglomérat public de construction navale, est le seul bailleur chinois noté qui se consacre exclusivement au leasing de navires et à l'exploitation de la flotte. Si son modèle économique l'expose au caractère cyclique de l'industrie maritime, sa vulnérabilité aux porte-conteneurs (10 % de son portefeuille de leasing à la fin de 2021), n’inquiète pas davantage la société chargée d’évaluer la solvabilité financière des entreprises alors que CSSC a réceptionné l’an dernier un grand nombre de navires.
D’autres ont un nombre de navires en construction qui seront livrés au cours des deux prochaines années, ce qui pourrait être source d’impayés. « Tout impact de la baisse des taux de fret sur les intérêts et les revenus locatifs des bailleurs devrait être minime car les contrats de location de navires sont généralement à long terme avec des taux de location majoritairement fixes », rétorquent les analystes de Fitch.
270 Md$ de bénéfices
Par ailleurs, le risque de crédit serait faible car la plupart de leurs locataires sont des « leaders mondiaux du transport maritime qui ont démontré à plusieurs reprises leur résistance » par avis de gros temps. D’autant que les locataires en question, qui devraient consolider 270 Md$ de bénéfices en 2022 après avoir engrangé 20 Md$ en 2021, ont suffisamment renforcé leur capacité de remboursement pour affronter le ralentissement économique.
« En outre, l'effet de levier des bailleurs a diminué ces dernières années en raison du renforcement de l'environnement réglementaire, ce qui leur offre une marge plus élevée pour absorber le risque lié aux actifs », ajoutent-ils.
Les transporteurs de conteneurs améliorent leur notation grâce à la réduction de leur endettement
Politique conservatrice
De même, la conjoncture n’a pas encore dégradé non plus la notation des compagnies. Au contraire. Les sept crédits pour le secteur du conteneur couverts par l'agence de notation Moody's ont bien bougé au cours des six derniers mois. Trois transporteurs ont vu leur note relevée : Wan Hai (de Ba2 à Ba1), CMA CGM (de Ba3 à Ba2), Danaos (de B1 à Ba3). Trois autres ont vu leurs perspectives de crédit améliorée, passant de stables à positives : Maersk, Hapag-Lloyd et Global Ship Lease.
L’amélioration des notations est en partie liée à la réduction de l’endettement, indique l’agence de notation internationale. C’est le cas de CMA CGM, dont la dette s’est réduite de 40 % depuis l'acquisition de Ceva Logistics en 2019. La compagnie a également été créditée pour sa politique conservatrice de distribution de dividendes (versement réduit à 10 %) choisissant plutôt de réinvestir 90 % de ses bénéfices dans le développement de ses activités. CMA CGM devrait dégager 13 Md$ de cash-flow libre en 2022.
Wan Hai la mieux notée
Maersk est également parvenue à ramener la dette nette à - 3,4 Md$ (les liquidités sont supérieures à la dette). Selon Alphaliner, ses performances devraient reste stables grâce à la logistique, l’activité ayant désormais doublé, passé d’un peu moins de 7 à 12 Md$ entre 2020 et aujourd’hui. Hapag-Lloyd avait pour sa part remboursé 818 M€ de dettes à fin mars, faisant passer son ratio d'actifs non grevés de 29 % à 47 %.
La compagnie taïwanaise Wan Hai Lines, qui a vu sa notation rehaussée pour la première fois depuis 2015, n'est plus qu'à un cran de la note d'investissement. Elle est d’ailleurs la mieux notée après Maersk.
Adeline Descamps