Face à la congestion dans les ports américains de Los Angeles et Long Beach, les compagnies prennent leurs dispositions pour éviter les goulets d’étranglement et pallier la pénurie de conteneurs. CMA CGM se positionne à Oakland. Hapag-Lloyd achemine des conteneurs vides de Los Angeles par le rail pour les exporter de Houston mais à un coût accru pour l’armateur.
La baie de San Pedro ressemble à une autoroute surréaliste où les porte-conteneurs font la queue au mouillage pour accéder à un poste d’amarrage. Fin janvier, il y avait 46 navires à quai et 45 à l’ancre dans les ports de Los Angeles et Long beach alors que 37 patientaient au mouillage. Tant est si bien que certains ont trouvé refuge au large de Huntington, la ville voisine au sud. L’expert de la ligne régulière Alphaliner a identifié 41 navires stationnés ces derniers jours. Les temps d’attente pour accoster à Los Angeles et Long Beach sont désormais de l’ordre de les 10 à 14 jours actuels.
Pour éviter l’engorgement – résultant des restrictions sanitaires et d’une organisation du travail en équipe restreinte – les compagnies sont contraintes d’aménager leur programme, allongeant d'au moins une semaine le temps de parcours aller-retour de leurs services, ce qui les contraint à planifier un navire supplémentaire par service, voire en programmant des blank sailing.
Quarante et un porte-conteneurs au mouillage dans la baie de San Pedro
CMA CGM se repositionne à Oakland
Dans une interview accordée au Journal of Commerce, Carl Bentzel, le commissaire de la Federal maritime commission (FMC), proposait il y a quelques jours d’utiliser les ports du nord-ouest du Pacifique pour éviter la thrombose dans les ports californiens. L’autorité américaine de régulation du transport maritime considère qu’ils ont la capacité pour offrir une alternative aux ports surchargés du sud de la Californie.
L’armateur français CMA CGM y souscrit. Il prévoit, à partir du 12 février, de réorienter les navires naviguant sur un service au départ de Shanghai et de Yantian. Appelé « Golden Gate Bridge », le service utilisera Oakland, en Californie, comme solution de délestage aux escales à Los Angeles. Selon CMA CGM, ce sera le premier et le seul service transpacifique direct d'Asie vers Oakland, où les temps d’attente sont pourtant déjà estimés entre 3 et 6 jours.
« Oakland est une alternative idéale et fiable au port de Los Angeles/Long Beach pour les clients de la côte Ouest, grâce à son accès facile pour les chargeurs californiens, à la disponibilité immédiate de postes d'amarrage et aux connexions ferroviaires rapides vers Chicago, Memphis, Dallas et Kansas City », indique la compagnie. Le service comprendra également une escale à Seattle, ce qui permettra d'offrir de « nouvelles capacités aux clients du nord-ouest du Pacifique. »
Hapag-Lloyd utilise le rail
La congestion des ports américains va s'aggraver dans les mois à venir avant de s'améliorer vers la fin du second trimestre, a indiqué le président en Amérique du nord de l'armateur allemand Hapag-Lloyd, Uffe Ostergaard à l’occasion d’un salon maritime organisé en visioconférence. « Nous nous attendons à des retards de deux à trois semaines dans certains cas. Pas nécessairement au mouillage, car nous avons ralenti la vitesse de nos navires en prévision des retards. »
L’engorgement est aggravé par une pénurie de chauffeurs routiers pour sortir les marchandises des ports, ajoute-t-il : « un délai de 21 jours est nécessaire pour réserver un camion à Los Angeles et de 14 à 15 jours dans les ports de la côte est de Norfolk et Savannah. Nous réservons bien à l'avance, mais les risques d'annulation ou de retard sont importants. »
Le dirigeant est conscient qu’en poussant les navires vers d'autres ports, des goulets d’étranglement vont se former ailleurs. Mais Hapag-Lloyd utilise, sur la côte est-américaine, Norfolk lorsque le port de New York et du New Jersey est encombré, et a acheminé des conteneurs vides de Los Angeles par le rail pour ensuite les exporter de Houston à « un coût accru pour l’armateur ». « La construction de nouveaux conteneurs prendra des mois et il n'y a pratiquement pas de porte-conteneurs disponibles sur le marché de l'affrètement pour augmenter la capacité de transport », reconnait Uffe Ostergaard.
THE Alliance, dont il fait partie, a annoncé le 26 janvier l’annulation de plus de 20 traversées transpacifiques prévues en février et mars en raison des retards s’accumulant.
Pénurie de conteneurs, l’autre défi
L’autre bombe à retardement est le défaut de boîtes, dont il faut accélérer les rotations pour que les vides puissent être là où ils sont utiles alors qu’aujourd’hui elles stationnent là où elles ne sont pas désespérément nécessaires. Il en ressort des retards dans la livraison des marchés de consommation.
À cet égard, CMA CGM indique agir tant sur la cadence des retours à vide que sur les entrées et sorties des conteneurs des terminaux en travaillant avec les transporteurs routiers et les opérateurs ferroviaires. Elle peut s’appuyer sur sa filiale logistique Ceva qui lui permet de proposer des solutions alternatives.
Transpacifique : les rapports de force évoluent
Situation conflictuelle
À terme, les armateurs pourraient se retrouver dans une situation de plus en plus inconfortable et conflictuelle. Les représentants du gouvernement californien ont monté d’un ton ces derniers jours, alertant la FMC sur les risques sous-jacents à l’indisponibilité des conteneurs à l’exportation et aux pratiques de retour des conteneurs : « les opérations de notre secteur agricole, qui dépend fortement des marchés d'exportation, sont fortement affectées ». Les élus ont demandé aux commissaires de l’autorité maritime d'obliger les transporteurs à suspendre ou à réduire les frais de détention et de surestarie, à annuler les surtaxes d'encombrement et à améliorer les notifications sur les lieux de réception des conteneurs vides.
Le World Shipping Council (WSC), qui défend les transporteurs, et la Pacific Merchant Shipping Association (PMSA), qui représente les opérateurs de terminaux, ont vivement réagi à ces accusations, rappelant que « l'adoption de ces propositions aggraverait la congestion et la disponibilité des équipements intermodaux ».
Adeline Descamps