Le groupe de transport et de logistique français n’aura pas été épargné par l’extrême rugosité de l’année 2023 qui a démarré avec un paramètre de plomb – une inoxydable inflation –, et s’est terminée par un ball-trap de navires en mer rouge.
« Les pressions inflationnistes généralisées avaient commencé à peser sur le pouvoir d’achat des ménages en Europe et aux États-Unis en fin d’année 2022. Cette baisse a été exacerbée par des effets de déstockage conséquents sur la première moitié de l’année 2023, dans un contexte de réadaptation des chaînes d’approvisionnement. Ces facteurs ont pesé sur la demande de transport », explique Rodolphe Saadé, le PDG de CMA CGM, dans le communiqué diffusé à l’issue du conseil d’administration, ce 23 février, au cours duquel les comptes ont été approuvés.
Les mauvais résultats du dernier trimestre étaient largement anticipés mais la hauteur de la chute et la profondeur du fond ont alimenté bien des discussions ces dernières semaines dans l'attente des résultats annuels des mastodontes du transport maritime de conteneurs.
27,56 Md$ de chiffre d'affaires en moins
La plupart des indicateurs financiers de CMA CGM s’affalent donc comme prévu mais sans mordre complètement la poussière puisqu’ils s’expriment encore en milliards pour certains.
Le chiffre d'affaires (47 Md$) a dévissé de 37 % l’an dernier, s’asseyant sur 27,56 Md$ par rapport à l'heureuse année 2022 tandis que le résultat d'exploitation avant intérêts, impôts et amortissement (Ebitda) a chuté de 73 %, à 9,01 Md$ (- 26,3 Md$). In fine, le résultat net est tombé de son promontoire de 25 Md$ à 3,64 Md$.
En ce qui concerne la seule activité maritime, moteur du groupe avec 31,4 Md$ de chiffre d’affaires, 28 Md$ de se sont littéralement évaporés par rapport aux 59 Md$ de recettes encaissées en 2022. À 7,4 Md$, l’Ebitda est loin des 31,6 Md$ en 2022.
Un revenu moyen par EVP divisé par deux
Le revenu moyen par EVP, qui dégringole de moitié, pour s’établir à un peu moins de 1 500 $ explique la perte de 30,1 points de la marge Ebitda (CMA CGM ne communique pas l’Ebit, bénéfice avant déduction des charges, des produits d'intérêt et des impôts). Et ce, au cours d’un année où le volume transporté a été légèrement supérieur (+ 0,5 %) à celui de 2022 avec 21,8 MEVP.
« La relative stabilité des volumes transportés cache de grandes disparités entre le premier et le second semestre, ainsi qu’entre les grands axes de transport, précise le groupe. Au premier semestre, les volumes ont connu une baisse marquée de 2,7 % en raison d’une demande de biens de consommation en berne et des effets de déstockage ».
Les taux de fret face à l'afflux de capacités
Le déséquilibre entre l'offre et la demande, dont dépend la rentabilité du secteur, a donc pesé sur les taux de fret. Dans la seconde partie de l’année, la demande repartant, les volumes transportés ont augmenté de 3,8 %. Mais l’arrivée de toujours plus de porte-conteneurs ont maintenu les taux de fret sous la ligne de flottaison.
Les données de CMA CGM confirment aussi une autre tendance. « Tout au long de l’année, les volumes sur l’axe Nord-sud [+ 4,2 %] ainsi que les flux intra régionaux [+3,3 %] se sont montrés plus résilients que sur l’axe Est-Ouest [- 2,7 %] ».
En fuyant les trafics où les taux de fret ont dévissé et en se réfugiant dans des sphères plus rentables, les transporteurs ont fait le lit des trafics Nord-Sud et des lignes régionales. Ces mouvements se sont d’ailleurs accompagnés d’une mise à l’échelle supérieure sur les liaisons Nord-Sud qu’illustre l’entrée en service du CMA CGM Bahia, tête de pont d’une série de douze porte-conteneurs de 13 200 EVP au GNL, tous destinés aux routes sud-américaines.
Un quatrième trimestre moins dévastateur que pour Maersk
Pour autant le quatrième trimestre aura été moins fatal à CMA CGM qu'à son concurrent direct, Maersk. Le numéro deux mondial a fait part d’un déficit de plus de 500 M$ alors qu'il n'est « que » de 90 M$ pour le numéro trois mondial.
Et l’Ebitda de l’armateur basé à Marseille reste à la lisière du milliard de dollars quand celui du Danois est passé sous la barre, à 839 M$.
Il y a en outre un point d’écart qui sépare les deux marges d’exploitation au bénéfice de CMA CGM. Si les bénéfices d’exploitation des deux grands transporteurs s'alignent, il y a encore 4 Md$ de revenus qui distancent les deux groupes et 300 M$ dans le résultat net. Les écarts se resserrent néanmoins
En termes de capacités, la chronique de l’avènement de CMA CGM à la deuxième place mondiale est annoncée. Avec son actuel carnet de commandes, deuxième plus important derrière le leader mondial MSC (1,49 MEVP), le transporteur français devrait aligner 4,8 MEVP contre moins de 4,6 MEVP pour Maersk. L'ex-leader sera alors délogé pour la deuxième fois de la première place mondiale en moins de trois ans.
Logistique : 32 % du chiffre d'affaires du groupe
« La logistique fait preuve d’une plus grande résilience, se félicite Rodolphe Saadé, dont le groupe a multiplié les acquisitions ces dernières années (Gefco, Ingram CLS, Colis Privé et Bolloré logistics, opération en closing). Notre groupe peut désormais s’appuyer sur deux piliers solides, qui lui permettent de mieux aborder les changements de cycle ».
Le chiffre d’affaires est en repli de 5,5 % mais l’activité logistique contribue désormais au chiffre d’affaires du groupe à hauteur de 15,2 Md$, soit 32 % du total contre 21 % en 2022.
L'Ebitda a progressé de 12,5 % par rapport à 2022 et atteint 1,37 Md$, soit 15 % de l'excédent brut d'exploitation du groupe contre 3,7 % en 2022. « La marge à 9 % reflète le redressement des activités de logistique contractuelle et une très bonne performance de la logistique pour véhicules finis » [ex-Gefco, NDLR], souligne CMA CGM.
« Autres activités »
Quant au nouveau département que le groupe épingle sous l’intitulé « autres activités » – CMA CGM Air Cargo, qui reprend en main la commercialisation de ses soutes, le ro-ro (avec notamment La Méridionale, dont CMA CGM a finalisé l’acquisition en 2023) ou encore les terminaux portuaires... –, ses revenus ont atteint les 2 Md€ (+ 10,8 %). Mais la division peine à dégager de la rentabilité. L’Ebidta a été divisé par deux pour ressortir à 236 M$ et sa marge se dégrade encore de 13 points.
Année 2024 encore plus incertaine
Avec une dette nette du groupe (limitée) à 3,7 Md$ (près de 20 Md$ avant le Covid), Rodolphe Saadé dit envisager le retournement de cycle avec sérénité bien que la volatilité devrait escorter l'année 2024.
« Cette année devrait être marquée par une croissance économique mondiale atone, même si le commerce mondial de biens pourrait connaître un rebond. La dynamique de volumes devrait rester soutenue au premier semestre, notamment portée par des effets de base, alors que le second semestre semble plus incertain », avance le groupe au conditionnel.
Ajustement de la flotte, le nœud gordien
Pour les armateurs de porte-conteneurs, l’ajustement de la flotte à la demande sera le nœud gordien des années 2024-2025. Le secteur déborde de capacités.
L’évolution de l’offre devrait croître à un taux annuel moyen de 8,4 % entre 2023 et 2025. Dans les meilleures conditions, la demande de transport ne connaîtra pas une croissance similaire. La faiblesse de l’envoi à la ferraille, qui a concerné à peine 180 000 EVP en 2023 alors que 360 000 EVP doivent faire l'ultime voyage en 2024 et 2025, aggrave le phénomène.
Pour la première fois, le cap fatidique des 30 MEVP pourrait être franchi d'ici la fin de l'année, soit une augmentation de 16 % par rapport aux actuels 6 786 navires en service totalisant une capacité de 28,5 MEVP (source Alphaliner).
Selon Drewry, les transporteurs de conteneurs pourraient cumuler une perte de 15 Md$ en 2024. Il y a deux ans, les quelque 200 Md$ de bénéfices consolidés par les douze leaders mondiaux avaient été jugés inconvenants
Adeline Descamps
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