Dans un monde où les lois physiques ont cours, avec des bateaux, des trains, des avions et des camions, il n’y a guère que les fusées qui échappent encore à CMA CGM bien que le groupe, signataire d’un accord avec le CNES, s’intéresse de près aux applications spatiales...
Le groupe quadragénaire, ancré dans le secteur centenaire on ne peut plus traditionnel du transport et de la logistique, porte aussi un intérêt non dissimulé pour le monde virtuel de la réalité augmentée, où les technologies avancent sans que l’on ait encore les supports pour en bénéficier ni ne savons encore très bien ce que l’on en fera. Rodolphe Saadé, le PDG de CMA CGM, participait le 7 juillet à une table ronde sur les applications du metaverse, organisée par l’incubateur maison ZeBox à Marseille, en présence de Laurent Solly, vice-président de Meta Europe, nouvelle ombrelle de Facebook et consorts (Instagram, WhatsApp...), d’Antoine Bordes, directeur général en charge de l’intelligence artificielle au sein du groupe fondé par Mark Zuckerberg et de deux entrepreneurs incubés par ZeBox.
Pas de révolution sans intelligence artificielle
Le metaverse est la promesse d’une nouvelle rupture digitale, dont Mark Zuckerberg a fait son « méga-objectif » pour les années toutes proches au point de rebaptiser à l’automne dernier la société-mère de ses plateformes sociales. Le nouvellement nommé Meta a bien l’intention d’y participer en nourrissant l’écosystème sur le modèle de ce qu’il a fait pour l’Internet mobile, la grande révolution des années 2010.
La technologie, qui a la capacité de créer des environnements virtuels permettant de vivre les mêmes expériences physiques que dans un monde réel avec un sens de l’immersion et de la présence extrêmement forts, a immédiatement saisi les géants du jeu vidéo (Fortnite et Unreal Engine). Elle est désormais en train de conquérir d’autres espaces, la formation, la santé et sans doute, de plus en plus, l’industrie. « Aujourd’hui, vous regardez Internet, demain vous pourrez entrer dans ces environnements. Il y a déjà des applications dans des activités opérationnelles comme la formation à l’échelle dans l’industrie de la santé ou du luxe, qui ont des enjeux fondamentaux de transmission de savoir-faire, de connaissances, d’expériences », résume Laurent Solly.
« Le metaverse, c’est pour quand ? C’est déjà », questionne et répond dans un même élan Antoine Bordes, le directeur général de l’intelligence artificielle (8 centres) chez Méta, pour lequel l’IA sera essentielle dans l’avènement de la nouvelle promesse.
Elle sera utile pour qu’émergent les futurs équipements qui restent à créer car le nouvel environnement, à la forte composante de projection en 3D, ne pourra pas se « fracturer » avec un ordinateur ou un smartphone. « Il y a aujourd’hui les casques de réalité virtuelle, dont les technologies vont évoluer en termes de résolution, de poids… de façon assez linéaire. L’avancée qui arrive tout de suite, dans quelques mois, est celle de la réalité mixte et elle sera plus à usage professionnel. Le casque est doté d’une caméra qui filme l’extérieur en temps réel et projette à l’intérieur la vidéo ce qui se passe à l’extérieur en rajoutant en surimpression les éléments 3D souhaités ».
Enfin, graal ultime, la réalité augmentée où équipé de montures similaires à une paire de lunette classique de 70 g, chacun aura accès à une technologie combinant teléphone, ordinateur et téléviseur. « Dans cinq, dix ou quinze ans ? Il se peut que les technologies ne soient pas prêtes », reconnait le dirigeant.
Laurent Solly, vice-président de Meta Europe, nouvelle ombrelle de Facebook et consorts Instagram et WhatsApp
Que vient faire le transport maritime dans le métaverse ?
Le transport maritime est certes en pleine transformation avec des frontières qui se brouillent. Mais alors que les technologies digitales permettent déjà d’apporter de la visibilité sur les marchandises, d’automatiser des process, de connecter les navires, de tracker les conteneurs, de robotiser les entrepôts…, que faire avec le metaverse ?
Sa réaction sollicitée, Rodolphe Saadé, bien réel, s’en sort avec une pirouette de l’esprit. « On a déjà du mal à vivre dans la vraie vie, qu’est-ce qu’on va aller faire dans une vie virtuelle ? ». Il surjoue car en réalité, il sait qu’il est « au début d’une longue histoire » avec les technologies digitales. « C’est un secteur qu’on est en train de défricher. J’apprends tous les jours et cela m’intéresse. Le monde est en train d’évoluer et il est important de changer avec. Nos navires sont connectés. Nos avions le seront car l’idée est d’agglomérer un maximum d’infos pour mieux comprendre et opérer. Le problème avec l’aventure digitale, c’est que cela coûte cher mais on n’a pas le choix si je dois résumer. »
C’est pour arpenter plus vite ce territoire que le numéro trois du transport maritime conteneurisé a créé l’accélérateur ZeBox, destiné à faciliter la mise sur le marché d'innovations de rupture (20 projets blockchain, la moitié des technologies incubées ont trait à l’intelligence artificielle).
Implantation de ZeBox en Côte d’Ivoire
« On est devenu un très grand groupe, explique le PDG du troisième armateur mondial de la ligne conteneurisée qui a multiplié dernièrement les opérations de croissance externe dans le transport et la logistique, fort des bénéfices colossaux qu’il a accumulés en quelques mois et qu’il va devoir traîner comme un boulet tant ils irritent en France.
Quand on souhaite développer une application, cela prend un peu de temps et beaucoup d’argent. On sait quand cela démarre mais jamais quand cela se termine. On connait le budget de départ mais rarement celui de l’arrivée », provoque-t-il sachant que son directeur I&T est présent. « Dans certain cas, les start-up sont plus agiles, plus innovantes et peuvent répondre à notre besoin de façon plus efficace que nous ou nos fournisseurs ne le feraient ».
ZeBox, qui a essaimé depuis sa création à Arlington, près de Washington, pour être dans le voisinage d’Amazon qui y a déployé un écosystème d’innovation, et en Guadeloupe, va s’implanter en 2023 en Côte d’Ivoire, où CMA CGM a un terminal ro-ro. Si la présence sur place de l’armateur est le critère de choix, il était plus attendu au Cameroun, à Kribi, où la compagnie a son hub pour la ligne conteneurisée.
« Nous avons une forte présence en Côte d’Ivoire et nous estimons qu’il est de notre responsabilité, comme en Guadeloupe, de contribuer à pousser l’entrepreneuriat et de donner les moyens à des jeunes Ivoiriens de concrétiser des idées innovantes que l’on pourrait financer »
En prise avec les tensions du monde
Le groupe marseillais laboure toujours un plus le terrain de la fertilisation croisée et de l’innovation en open source. Il ouvrira l’année prochaine son nouveau centre de recherche et de formation baptisé Tangram, un de ces tiers-lieux qui entendent décloisonner les disciplines et croiser les compétences et les générations. La composante spatiale et les problématiques environnementales y auront aussi leur place. Rodolphe Saadé entend aussi y faire venir des « stars de la Tech ».
« Notre monde bouge extrêmement vite avec des crises partout : la guerre entre l’Ukraine et la Russie, les tensions entre la Chine et les États-Unis, la menace de pénurie alimentaire, les problématiques au cœur de l’Europe… En tant que groupe de transport et logique, nous sommes en prise avec toutes ces tensions. Il faut pourtant rester en mode agile même si nous sommes un groupe de 150 000 personnes ».
On ne saura pas ce que le metaverse peut réellement apporter au transport maritime mais les messages sont passés.
Adeline Descamps