Claus Ellemann-Jensen, PDG Maersk France : « Nos ambitions en France »

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Un léger accent trahit ses origines scandinaves. Il se « sent » pour autant « un peu » français, il l’assume du bout des lèvres comme s’il n’avait pas le droit d’y prétendre. Pourtant, certains indices – une grande foi dans le marché français et dans les ports français qui ne sont plus des « zones à problèmes » – révèlent la volonté d’y « faire de grandes choses ». Claus Ellemann-Jensen est à la tête de Maersk France depuis 2017. Il dirigeait alors et depuis 2013 le terminal Seayard de Fos (dont APM Terminals-Maersk est actionnaire). Il a aussi officié trois ans durant chez CMA CGM.

Dans cet entretien, il s’excuse de ne pas faire de grandes annonces, mesure ses mots, calibre ses réponses et éconduit, avec élégance, l’intervieweur un peu trop insistant sur certains points. Il a accepté d’éclairer les choix du leader mondial du transport maritime de conteneurs sur divers sujets...

 

Le groupe A.P. Møller-Maersk va mieux. Vous avez présenté récemment les résultats financiers d’un 3e trimestre* qui ont surpris le consensus financier. Pour autant, les démons du transport maritime sont toujours bien présents : que répondez-vous aux analystes qui vous rendent responsables de l’offre excédentaire de capacités et vous reprochent des achats inconsidérés de navires. Les compagnies maritimes ont-elles péché par excès de confiance ?

Claus Ellemann-Jensen : Surcapacité ne veut pas forcément dire excès de confiance. Les commandes de navires répondent à la nature de notre industrie, terriblement cyclique. Quand on gagne de l’argent, on commande des navires et tous les navires sortent en même temps. Cela peut être sujet à critiques mais il en est ainsi. Maersk a pris la décision de reporter ses commandes de grands navires après 2020 car nous estimons qu’il y une surcapacité inutile aujourd’hui. Notre ambition est de mieux distribuer le résultat de nos activités en vue de développer les revenus liés à la partie non-maritime. La fusion avec Damco répond à cet objectif. Á ce jour, les revenus non issus de la ligne maritime conteneurisée comptent pour un tiers de nos activités. Notre ambition dans un avenir relativement proche est de porter cette part à 50 %. Je suis conscient que cela ne répond que partiellement à la question.

Quel sort réservez-vous dans ces plans à vos investissements dans les terminaux portuaires et en particulier à l'opérateur portuaire APM Terminals** ?

C.E.-J. : Nous sommes un grand opérateur des ports. Pour l’heure, nous nous focalisons sur le retour à la rentabilité. Nous avons eu quelques projets difficiles financièrement. Certains prennent plus de temps pour que les marchés suivent parce qu’ils se trouvent dans des marchés plus risqués, comme en Amérique Latine. Nous prenons des risques mais nous créons aussi, ainsi, des opportunités nouvelles pour les importateurs et exportateurs.

Pour revenir à l’intégration de Damco Supply Chain Services et de Maersk Line's Ocean, qui comprend les activités de la ligne régulière maritime conteneurisée et la marque APM Terminals, vous avez annoncé qu’elle serait effective à compter du 1er janvier 2019. Vous êtes conscients que vous allez sur le terrain des intermédiaires, que sont les transitaires, par exemple.

C.E.-J. : Il s’agit d’offrir à notre clientèle des services et produits qui vont bien au-delà du transport maritime et de fournir des solutions logistiques de bout en bout. Cela peut être perçu comme une intrusion sur le terrain de certains de nos clients. Nous échangeons avec eux en toute transparence afin de trouver un équilibre ensemble. Je considère que le marché est suffisamment grand pour que l’on puisse tous s’exprimer. Mais pour ce qui nous concerne, il nous importe de proposer des services plus pointus aux clients qui en expriment le besoin. Nous sommes et serons de plus en plus dans une stratégie de segmentation du client. Car la chaîne de transport, le coût logistique et de transport maritime d’un importateur de vêtements d’Asie et d’un chargeur de papiers recyclés ne sont pas les mêmes, nous estimons que le produit proposé ne doit pas l’être non plus.

Quel genre de services allez-vous offrir précisément ?

C.E.-J. : Nous ferons des annonces dès janvier. Mais par exemple, grâce à l’acquisition d’Hamburg Süd, un tiers des conteneurs réfrigérés sont désormais transportés par notre groupe, ce qui est conséquent comme part de marché. Or dans la plupart des pays, France comprise, nous ne sommes pas en mesure de proposer à cette clientèle spécifique des solutions plus sophistiquées, qui vont au-delà du transport maritime, comme les a développées Damco pour d’autres industries comme le retail. Pour les enseignes de grande distribution, Damco s’occupe de la consolidation auprès des fournisseurs, du transport jusqu’à la livraison à destination finale, entrepôt ou magasin.

Votre environnement de marché est toujours contraint par le renchérissement des coûts de soute, que vous n’avez que partiellement compensés par les taux de fret, toujours faibles, et l'application de surcharges combustibles. Vous savez que le sujet est délicat et les chargeurs attendent toujours des clarifications sur les règles de calcul notamment.

C.E.-J. : La hausse du pétrole dérange beaucoup de monde, et pas exclusivement le transport maritime. C’est un vrai sujet sociétal. Il suffit d’observer ce qui se passe actuellement en France. Nous sommes très inquiets quant à son impact sur nos résultats. De juin à septembre, le taux de fret moyen a augmenté de 5,5 %, sous l'effet de l'application de ses surcharges combustible mais dans le même temps, le prix des soutes s'est renchéri de 47 % comparé à la même période de 2017. En moyenne, le coût unitaire brut a été 7,1 % plus élevé. Le coût unitaire à prix du combustible égal a été de 1,2 % supérieur, soit 905 $ par conteneur. Nous n’avons pas d’autre choix que de répercuter. Nous allons introduire un « floating BAF » (le seuil du coût du bunker qui devrait déclencher la BAF non précisé, NDLR) sur le marché au 1er janvier 2019 en anticipation des nouvelles réglementations.

Comment réagissent vos clients jusqu’à présent ?

C.E.-J. : Notre mécanisme de calcul et de facturation est transparent. Et nous l’avions annoncé bien en amont pour permettre le dialogue et la compréhension. Nous avons comparé notre dispositif avec des clients français, qui appliquent aussi des surcharges, il s’est avéré que nos règles de calcul leur étaient plus avantageuses. La problématique est avec les clients de plus petite taille pour lesquels négocier est plus difficile et est chronophage.  

Sur votre mise en conformité avec la nouvelle réglementation sur le soufre à partir de janvier 2020, vous semblez privilégier davantage un carburant à basse teneur en soufre et ne pas croire dans le GNL pour lequel a opté franchement CMA CGM par exemple.

C.E.-J. : La grande majorité de la flotte de Maersk Line dépendra en effet de carburants à faible teneur en soufre conformes lorsque le nouveau règlement entrera en vigueur. Une enveloppe a également été affecté à l'installation de scrubbers (l’enveloppe serait de 80 M$ selon les documents financiers mais ne fait pas mention du nombre de navires, NDLR). Le GNL nous semble être une solution compliquée. Nous attendons de voir à ce niveau comment les technologies vont évoluer. En revanche, un nombre important de navires serons prêts en 2020-2021 et on estime même que cela pourra avoir un impact sur la disponibilité des navires en 2019-2020 de l’ordre de 1 % de la flotte mondiale.

Vous faites partie de l’alliance maritime 2M avec MSC. Le rapport de l’OCDE récemment publié sur les impacts des alliances maritimes sur l’ensemble de la chaîne de transport n’est pas tendre. Allez-vous réagir ?

C.E-J. : Il n’y a pas encore de réaction officielle de notre groupe sur ce sujet. Je ne pourrais donc pas commenter.

Au moment où tout le monde réajuste et restreint, vous avez ouvert en juillet deux nouveaux services directs en sortie du port de Marseille-Fos avec vos propres navires, en dehors de l’alliance 2M, l’un entre l’Europe du Sud et le Canada avec le Med Montréal Express et l’autre vers le Moyen-Orient avec le ME2. C’est un retour en force ?

C.E-J. : Oui, le moment est difficile. C’est ce qui prouve notre volonté d’investir sur le marché français. À propos du service Med Montréal Express (MMX, 5 navires de 1 700 EVP), qui va desservir Montréal et Halifax en sortie du terminal opéré par Seayard à Fos, nous avons été sollicités par un grand chargeur (dont il taira le nom mais l’on sait désormais que c’est un grand chargeur d'eau gazeuse ! NDLR), qui va assurer le fond de cale de cette nouvelle ligne. Il offre aux chargeurs du Sud de l’Europe une porte d’entrée directe vers l’Amérique du Nord avec un transit-time de 13 jours au départ de Marseille. Pour le ME2 (7 navires de 6 000 à 9 000 EVP), qui va relier Fos aux ports du Moyen-Orient via Salalah, il s’agissait aussi de répondre à une demande d’enseignes de la grande distribution réunionnaise, pour lesquelles la fiabilité et la régularité sont essentielles. Ce service va offrir une économie de transit-time de 10 jours en réalisant la boucle en 19 jours. Avec ces deux nouveaux services, en complément de l’offre de Seago Line (Sealand et Seago Line ont fusionné sous le nom de SeaLand - A Maersk Company, NDLR) la filiale intra-européenne et méditerranéenne du groupe, le service AE20 (ligne Asie opérée dans le cadre de l’alliance 2M), qui a réglé ses problèmes de fiabilité, Maersk retrouve un niveau d’offre correct.  

Vous estimez que votre offre en France n’est pas suffisamment étayée ? Comment expliquez-vous le fait que vous soyez leader dans le monde et de loin challenger en France ?

C.E-J. : Nous y sommes 3e en réalité avec environ un dixième du marché alors que dans les autres pays européens, nous sommes plutôt autour de 20 %, voire au-delà. C’est en effet modeste pour la 6 ou 7e économie mondiale. Nous sommes aussi plus faible sur le marché français du fait de l’ancrage historique de deux grands armateurs mondiaux, CMA CGM et MSC, pour lesquels j’ai beaucoup de respect. Mais nous ne sommes pas obsédés par les volumes ni par l’idée de devenir n°1 en France. Proposer de nouveaux services est en soi une façon de conquérir un terrain.

Vos développements s’arrêtent à Fos ?

C.E-J. : Je n’ai pas de grands annonces à vous faire à ce sujet aujourd’hui. Si on regarde le Nord, je considère personnellement qu’on peut et doit mieux faire au Havre, où nos parts de marché sont autour de 12 à 13 %, mais pas à la hauteur de ce que peut proposer le groupe. Typiquement, nous pourrions progresser sur l’Asie, marché phare des importations françaises.

Quelle est la question que je n’ai pas posée mais que vous auriez aimé que je vous pose pour faire passer un message ?

C.E-J. : Ce n’est pas parce que Maersk n’est pas leader en France qu’il n’est pas à même de proposer des services cousus pour ce marché. Au contraire, car ne pas être premier nous donne une agilité qu’on nous reproche parfois de ne pas avoir.

--- Propos recueillis par Adeline Descamps ---

*A.P. Moller - Maersk a dégagé sur les trois mois, à fin septembre, un bénéfice net de 191 M$ contre une perte de 112 millions sur la même période de 2017. Le chiffre d'affaires consolidé (toutes activités confondues, transport, activité des terminaux, logistique), s'est établi à 10,08 Md$, en hausse de 31 % 

** En 2017, APM Terminals-Maersk a signé 29 nouveaux contrats et en a perdu 9. Il exploitait 16 terminaux en zone Amérique, contre 14 l’année précédente, 19 en Asie, 23 dans la zone Europe, Russie et pays Baltes (contre 24 en 2016), et 16 en Afrique.

 

 

« Devenir une entreprise globale et intégrée de transport et de logistique de conteneurs »

A.P. Møller-Maersk a annoncé en septembre dernier un certain nombre d’ajustements dans le cadre de sa restructuration engagée depuis 2016 pour sortir du secteur de l'énergie et se recentrer sur le transport maritime, les services portuaires et la logistique. C’est ainsi qu’il a progressivement cédé et/ou filialisé la plupart de ses activités pétrolières et gazières, notamment Maersk Tankers au profit AP Møller Holding en septembre 2017, Maersk Oil à Total pour plus de 6 Md€ cette année, et la mise en bourse à Copenhague de ses activités de forage en mer (Maersk Drilling). Ces opérations rendent aussi de fait le groupe plus dépendant que jamais du transport maritime, soumis aux fluctuations des tarifs de fret et du coût du carburant.

Selon les plans du Danois, les divisions Damco Supply Chain Services et Maersk Line's Ocean Product vont fusionner au 1er janvier 2019. Le rapprochement de Maersk Line avec Damco, qui fonctionnera cependant comme une entité distincte (dirigée par Vincent Clerc, l’actuel directeur commercial de Maersk), répond à la volonté du groupe « de permettre à sa clientèle d'avoir affaire à un interlocuteur unique pour le transport de leurs produits par voie maritime à travers le monde. Et de fournir des solutions logistiques de bout en bout. »

Ce qui peut inquiéter les transitaires. D’autant qu’en ajoutant Twill à sa boîte à outils en avril 2017, il court-circuite aussi les transitaires numériques « émergents ». 

Aussi, depuis le 1er octobre, trois des transporteurs régionaux d'A.P. Møller Maersk - MCC Transport, Sealand et Seago Line - ont fusionné sous le nom de SeaLand - A Maersk Company. En plus de Maersk Line, Maersk comprend l'opérateur portuaire APM Terminals, le transitaire Damco, la société de remorquage Svitzer et le fabricant de conteneurs Maersk Container Industry.

Maersk France emploie 180 salariés en France. Première compagnie mondiale de transport maritime par conteneurs avec 709 navires dont 309 en propriété, Maersk Line détient 17,8 % de la capacité mondiale conteneurisée, soit un peu plus de 4 M EVP selon Alphaliner. 

 

 

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