Rudoyée par les humeurs de la livre sterling qui malmène son fond de clientèle majoritairement britannique, happée par le Brexit, saisie sur le vif par la crise sanitaire qui a désarmé sa flotte, puis malmenée par l’intensification de la guerre tarifaire sur le détroit de Calais avec l’arrivée d’Irish Ferries, Brittany Ferries semble enfin sortir du long tunnel qu’elle a traversé plus lentement qu'initialement prévu.
Les crises successives ont coûté cher à ce pilier d’Armateurs de France : le nombre de passagers transportés a plongé de 2,2 millions de passagers en 2019 (en année pleine) à 520 000 en 2021. Depuis, l'entreprise opère une remontée lente mais réelle et avec méthode.
L’entreprise de Roscoff a cumulé 180 M€ de pertes durant les années pandémiques 2020 et 2021 qui l’a conduite à envisager une recapitalisation pour solidifier son haut de bilan alors qu’elle s’était engagée dans un renouvellement de sa flotte pour faire entrer des navires à l’empreinte écologique bas carbone (entre 2023 et 2025, deux nouveaux navires propulsés au GNL et deux unités hybrides GNL/électrique seront mis en service).
C’est dans cette période difficile, en septembre 2021, que CMA CGM est entré à son capital à hauteur de 12 % selon un processus qui prévoit la conversion en actions et donc en capital social de 27,2 M€ (10 M€ prêtés sur cinq ans, 15 M€ sur huit ans, plus les intérêts).
Ses actionnaires historiques, les coopératives Prince de Bretagne (qui étaient jusqu’alors à 83 %, aujourd’hui à 75 %) et les Chambres de commerce et d’industrie bretonnes (13 %), avaient également du remettre au pot, à hauteur de 10 M€.
Remboursement de ses dettes
Depuis décembre 2022, la société honore ses créances auprès de l’État, notamment son Prêt Garanti (PGE) de 117 M€, complété par 5 M€ de Bpifrance. Plus d’un quart ont d’ores et déjà remboursés (33,4 M$). Elle s’était par ailleurs engagée à régler ses dettes avant fin 2024 auprès des régions Bretagne (30 M€) et Normandie (35 M€) qui lui avaient octroyé en 2020 des avances remboursables. La compagnie bretonne, qui n'avait que 32 M€ inscrit à son passif avant 2020, assure aujourd’hui qu’elle sera à jour avec la Région Bretagne le 23 octobre et avec la collectivité normande début novembre.
Entrée au capital de nouveaux investisseurs
Nouvelle étape. Elle vient d’annoncer l’entrée à son capital de huit entrepreneurs régionaux – Louis Le Duff, la Société financière de la Loire, Alain Glon Holding, IDEA Future, Helea, Patri, TM Participations ou For Invest –, « qui ancrent un peu plus son identité et son assise régionales ». Ils rejoignent ainsi le « pack » breton d’actionnaires historiques constitué par les coopératives bretonnes qui restent majoritaires (à 75 %). La direction n'a pas encore répondu aux demandes concernant les détails de cette prise de participation.
Prise de contrôle de Condor Ferries
Enfin, la compagnie française transmanche devrait prendre le contrôle (51 %) de l'Anglo-normande Condor Ferries si l’Autorité de la Concurrence de Jersey l’y autorise. Brittany Ferries était entrée en 2020 au capital de son homologue, à l’occasion de l'acquisition de cette dernière (72,28 % du capital) par Columbia Threadneedle Investment (CTI), un fonds d’investissement américain. L’opération se voulait alors défensive pour Brittany : désarçonner toute offre de rachat par l’un de ses concurrents (tels DFDS, P&O, Irish Ferries).
« Condor Ferries a fortement souffert pendant les deux ans de crise Covid. Elle a maintenu l’approvisionnement des Îles anglo-normandes malgré tout, sans qu’aucune compensation ne lui soit accordée et ses résultats financiers en ont été fortement impactés », relève aujourd’hui la direction de Brittany Ferries. L’été 2020 fut en effet particulièrement douloureux pour la compagnie anglo-normande avec zéro passager et des volumes de fret réduits d’un tiers, condamnée à supprimer 200 postes. Créée en 1964, Condor Ferries opère quatre navires sous pavillon des Bahamas. En mars 2023, elle manifestait des signes de meilleure santé en annonçant l’arrivée d’un second fréteur roulier.
« Brittany Ferries va appliquer à Condor Ferries les clés de sa propre réussite avec un management commun et des valeurs fortes. À commencer par la défense d’un modèle social pour les marins et un engagement renforcé pour la décarbonation », promet le nouvel actionnaire majoritaire. Condor a changé plusieurs fois de main depuis 2002, du groupe Commodore au fonds de gestion détenu par ABN AMRO en passant par la Royal Bank of Scotland jusqu'à l’Australien Macquarie, connu pour ses investissements dans les grandes infrastructures.
En attendant les résultats de la saison
L’an dernier, peu ou prou à la même époque, il manquait toujours pour Brittany des passagers (170 000) à l’appel par rapport à la même période de 2019 tandis que le fret était à la peine. Mais il y en avait 44 000 de plus par rapport à 2022. Quant au fret, il était encore bien en deçà de 2019 qui approchait les 60 000 unités transportées (camions, fret non accompagné). La société positionnée sur le transmanche (Grande Bretagne et Irlande) et le Golfe de Gascogne (arc atlantique), avait alors à peine dépassé les 48 000 unités.
En 2025, la compagnie exploitera jusqu'à 98 liaisons hebdomadaires transmanche régulières reliant Roscoff à Plymouth, Saint-Malo, Caen/Ouistreham, le Havre et Cherbourg à Portsmouth et Cherbourg à Poole. La très prisée destination Irlande sera desservie par huit rotations au départ de Roscoff vers Cork et de Cherbourg vers Rosslare. Depuis le Royaume-Uni, jusqu'à 12 départs connecteront Plymouth et Portsmouth à Santander.
À l'ouverture des ventes en juillet, près de 7 000 réservations avaient été enregistrées, soit une hausse de 18 % par rapport à 2023, un record historique et de bon augure pour l’entreprise bretonne.
Deux navires GNL/électrique/e-méthane
En 2025, Brittany Ferries accueillera dans sa flotte ses deux nouveaux navires propulsés par un système hybride de gaz naturel liquéfié (GNL) et électricité et configurés pour fonctionner avec l'e-méthane.
Le Saint-Malo entrera en service le 12 février prochain en remplacement du Bretagne et assurera la liaison quotidienne Saint-Malo/Portsmouth. Le Guillaume de Normandie se substitue au Normandie sur la ligne Caen-Ouistreham pour desservir Portsmouth à partir du le 18 avril, à raison de trois traversées par jour, en doublure avec le Mont Saint-Michel. Au fur et à mesure de l’évolution des infrastructures portuaires, les nouvelles unités se connecteront à quai. Portsmouth, en avril 2025, devrait être le premier port de ferry de la Manche à en être équipé.
Adeline Descamps