Comme annoncé et développé dans notre news en date du 14 septembre, le Parlement européen a voté hier le 16 septembre en faveur d'une inclusion du transport maritime au marché d'échange de quotas d'émissions de CO2. Le transport maritime vient de franchir un pas législatif de plus vers une réglementation spécifique européenne en matière de réduction d'émissions de CO2 à laquelle il échappait jusqu’à présent. Pourtant, la Commission et le Parlement ne semblent pas partager la même vision sur le champ d’application.
Au Parlement européen, le vote final en plénière, après le premier discours sur l'état de l'Union de présidence de la Commission européenne Ursula von der Leyen, ne devrait pas être un sujet. Il ne l’a pas été. Les eurodéputés ont approuvé à une très large majorité une proposition de la Commission européenne visant à intégrer le transport maritime dans le marché du carbone de l'UE, le système d'échanges de quotas d'émissions (SCEQE). Sans surprise puisque la proposition avait déjà trouvé un large soutien au sein de la commission de l'Environnement début juillet, où la députée européenne du groupe des Verts, Jutta Paulus, l'a présentée.
Mais comme il était attendu également, le Parlement a jugé que les mesures de réduction des émissions fondées sur le marché « ne suffisaient pas ». Il veut aller plus loin que la Commission, exigeant des compagnies maritimes qu’elles réduisent d'au moins 40 % d'ici 2030 leurs émissions annuelles moyennes de CO2 par unité de transport et ce par rapport à 2018 et non 2008, l’année de référence de l’organisation qui réglemente le transport maritime, l’OMI. Pour rappel, la stratégie de l’OMI, conclue non sans douleur en 2018, fixe un objectif de réduction des émissions totales de GES du transport maritime international d'au moins 50 % d'ici 2050. Cela nécessite que des navires neutres en carbone entrent dans la flotte dès 2030. Elle édicte également un principe d'intensité carbonique, c'est-à-dire de réduction des émissions de CO2 par navire d'au moins 40 % d'ici 2030, pour atteindre 70 % en 2050.
UE : une semaine cruciale pour les émissions du transport maritime
Couac entre les organes
En 2017, 13 % des émissions totales de gaz à effet de serre issues des transports dans l'UE provenaient du secteur maritime, a rappelé le Parlement dans un communiqué. Le texte doit désormais être négocié avec le Conseil et la Commission et 27 États membres donc avant d’aboutir à une forme finale de la législation.
Étrangement, c’est précisément pendant cette session de trois jours du Parlement, ouverte le 14 septembre, qu’a fuité dans la presse un projet de « plan d'action climat » préparé par la Commission, dans lequel on peut lire que la Commission préconise que le SCEQE inclut « au moins le transport maritime intracommunautaire ». Comprendre : une application aux navires naviguant à l’intérieur des frontières de l’UE. La Commission semble d’avis que le niveau international est bien le niveau auquel doit se définir la politique climatique du transport maritime tout en se disant « prête à réexaminer si le niveau mondial n’avance pas assez vite ». Une position qui ne serait pas pour déplaire au secteur mais qui contrevient au Parlement, partisan d’une portée plus large qui inclut également les navires en dehors des frontières de l'UE.
Le parlement européen veut inclure le transport maritime dans son marché carbone
Patchwork réglementaire
Le World shipping council, un lobby d’armateurs basé à Washington, puis l’ECSA, association européenne des armateurs, ont tour à tour fait valoir, avant le vote, leur position quant à l’inclusion du transport maritime dans le marché carbone européenne.
Pour le premier, la proposition du Parlement européen « créerait des tensions commerciales entre plusieurs régions ». L’ECSA, elle, regrettait qu’elle ait été présentée sans une « analyse d'impact approfondie de l'inclusion du transport maritime dans le SCEQE » (le document de la Commission qui a fuité dans la presse contient une analyse d'impact).
Le WCS, l’ECSA, mais aussi l’association européenne des opérateurs de vrac Intertanko partagent des points de vue assez proches sur les impacts d’une réglementation environnementale au niveau de l'UE. « Une telle mesure compromettrait les négociations internationales visant à mettre en œuvre la stratégie initiale de l'OMI et pourrait conduire à un patchwork réglementaire ainsi qu’à une fragmentation accrue au niveau international », soutient Martin Dorsman, secrétaire général de l'ECSA.
La taxation du carbone, sur le devant de la scène internationale
Objectif resserrés
Dans son premier discours sur l’état de l’Union ce 16 septembre, la présidente de l’exécutif européen a également confirmé que l’objectif 2030 de réduction des émissions de CO2, initialement ancré à 40 %, serait porté à au moins 55 %. Une nécessité pour son ambition : « faire de l'Europe le premier continent climatiquement neutre d'ici à 2050 »
Ainsi, tous le secteurs des transports – route, rail, aviation et transport par voie d'eau – devront contribuer à l'effort de réduction de 55 %. Pour cela, visant les transports aérien et maritime, la Commission estime qu’il est urgent d’accélèrer pour « passer à des carburants à faible teneur en carbone ». Le « Fuel EU Maritime », un acte législatif que la Commission européenne est en train de traiter, vise précisément à accroître l'utilisation des énergies renouvelables dans les carburants maritimes. Tous transports confondus, la part des carburants alternatifs ne serait que de 7 %
Après le vote, la question demeure
Combien de navires seront inclus dans le système européen à l'avenir si le Parlement et la Commission ne sont manifestement pas d’accord sur la portée géographique ? La question persiste. L'ONG Transport & Environnement estime pour sa part que les eurodéputés viennent d’envoyer un message clair à la présidente de la Commission européenne : le transport maritime ne peut plus rester le passager clandestin de la politique climatique européenne.
Adeline Descamps