L’UE entame cette semaine une longue séquence automnale pour parvenir à un accord sur les objectifs de réduction des émissions de carbone dont l’horizon dépendra du parcours législatif.
La Commission européenne a publié début mars son projet de loi climat pour l'UE, qui entérine notamment l'objectif de neutralité carbone en 2050, mais dont les détails doivent être désormais discutés entre le Parlement et le Conseil européen.
Dans le cadre de cette session, qui se tient à Strasbourg du 14 au 17 septembre, le placement du transport maritime sous le système européen d'échange de quotas d'émission fera partie des sujets débattus. Et dans la perspective de cette entrée en matière, des voix maritimes se sont déjà fait entendre la semaine dernière.
Dans une publication de 13 pages qu’il a publié le 10 septembre, le World Shipping Council (WSC) une organisation d’armateurs revendiquant 90 % de la capacité mondiale dans le secteur des conteneurs, a exprimé ses préoccupations « dans la perspective où l'UE étendrait son système d'échange de quotas d'émission (SCEQE) au transport maritime ». « L'UE veut être la tête de proue de l’effort de décarbonation du transport maritime. Ce leadership doit être canalisé par l'OMI, seul endroit où une solution mondiale peut être trouvée », a placé d’emblée John Butler, président du WSC. Le lobby basé à Washington souhaite que le système ne s'applique qu'aux navires naviguant à l'intérieur des frontières de l'UE.
Horizon 2022 ou 2023
L’intégration du transport maritime dans le SCEQE, qui fixe un plafond à la quantité de CO2 émise dans l'atmosphère, ne fait en réalité plus de doute. « En gros, ce sera en 2022 ou 2023 ». C’est du moins ce que soutient l’eurodéputée Jutta Paulus (groupe des Verts), dont la proposition avait déjà été adoptée par la commission ENVI au Parlement le 7 juillet dernier à une large majorité (62 voix pour, 3 contre et 13 abstentions) par les membres du PPE, S&D, Renew et des Verts. Le vote final en plénière, prévu pour le 16 septembre après le discours de la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen sur l'état de l'Union devant le Parlement européen, ne devrait donc pas être un sujet d’autant que la proposition entre en résonnance avec son programme Green Deal.
Dès les premiers jours après son élection, la présidente de la Commission européenne n’avait pas caché son intention de mettre au pas le transport maritime dont les émissions échappent sans raison aux taxations. Dans son discours, elle placera notamment les curseurs quant aux objectifs de réduction d’émissions de gaz à effet de serre de l’Union. Et elle devrait placer la barre la barre à au moins 55 % en 2030, au lieu des 40 % prévus aujourd'hui.
Du MRV au SCEQE
Le Parlement européen a donc amorcé ce 14 septembre le débat sur le travail dont a été chargée la députée européenne : l’actualisation du MRV (système de surveillance, de déclaration et de vérification des émissions). Ce corpus de règles, qui régit depuis 2018 l'empreinte carbone du transport maritime via la surveillance des émissions de CO2 pour les navires de plus de 5 000 tpl, est en cours d'actualisation pour le mettre en conformité avec les nouvelles exigences de l’OMI. Mais les députés européens ont profité de cette aubaine pour plaider l’élargissement du SCEQE au secteur, les calculs qui détermineront le nombre de permis de polluer à attribuer étant désormais envisageables. Ainsi, assène le groupe des Verts, « les navires ne se contenteront plus de faire des rapports, mais ils réduiront également leurs émissions ».
En outre, la proposition du Parlement appelle à la mise en place d’un objectif d’efficacité par tonne de fret et par mile parcouru : les compagnies doivent porter leur réduction de CO2 à 40 % d’ici à 2030 mais par rapport à 2018. Si l’OMI porte un objectif tout aussi ambitieux, la base de l’année de référence est 2008 : le transport maritime est sommé de réduire de 40 % la quantité de CO2 émise par volume transporté en 2030 par rapport à 2008 et de 50 % les émissions globales de la flotte mondiale en 2050.
Jutta Paulus estime que ces objectifs ne sont pas suffisants : « le navire européen doit être neutre en carbone d’ici à 2050, mais personne ne sait d’où doit provenir l’autre réduction de 50 % prévue par la proposition de l’OMI. Il faut des objectifs plus ambitieux. » Notamment parce que selon des estimations de la Commission européenne, le taux de CO2 rejeté par les navires au sein de l’UE pourrait augmenter de 86 % d’ici à 2050.
Si la portée définie dans le système MRV était utilisée, les navires naviguant, par exemple, de Shanghai vers un port de l'UE devront payer pour leurs émissions sur l'ensemble du voyage.
Ocean Fund
La moitié des recettes, tirée des recettes des certificats d’émissions (enchères des quotas), sera reversée à un Ocean Fund, dont 50 % des sommes seront orientés ver les investissements dans des carburants alternatifs, les nouvelles technologies énergétiques et le verdissement des ports et 20 % en faveur de la protection ou restauration des écosystèmes marins susceptibles d’être impactés par le réchauffement climatique.
En décembre 2019, huit des principales associations internationales d'armateurs avaient proposé de mettre sur la table 5 Md$ pour alimenter un fonds de recherche sur les technologies et carburants décarbonés grâce à une « contribution obligatoire à la R&D de 2 $ par tonne de carburant ». Cette proposition sera probablement présentée à l'OMI à l’automne.
Mais pour Jutta Paulus, « cette contribution est trop légère si on la convertit en un certificat ETS. Cela représenterait un coût de 50 cents par certificat, soit 50 fois moins que le prix actuel d'un certificat dans l'UE. Fondamentalement, le fonds de l'OMI, qui est censé aider le secteur au niveau mondial, recueillerait beaucoup moins d'argent que le fonds européen ».
25 € pour émettre une tonne de carbone
Dans son document, le World Shipping Council s’attarde notamment sur le seuil d'application et la portée géographique, partie controversée. Il s’attache à démontrer que l’élargissement de la SCEQE au transport maritime international compromettrait une solution mondiale, créerait des tensions commerciales entre plusieurs régions et soulèverait des inquiétudes juridiques et diplomatiques.
« Si d'autres pays choisissaient d'adopter des réglementations similaires avec une portée extraterritoriale, il y aurait de multiples redevances qui se chevaucheraient en l'absence d'accords bilatéraux ou multilatéraux » écrit entre autres le WSC partisan d’une solution intracommunautaire. « Il semble également que cela peut s’avérer extrêmement coûteux, ajoute l'association. On ignore encore quel prix les compagnies maritimes et les opérateurs doivent payer pour leur pollution ». Sur la base de 2018, il en coûterait 25 € pour émettre une tonne de carbone. Le SCEQE permettra donc de collecter 2,45 Md€ par an.
Calendrier
Lorsque le rapport MRV aura été adopté par la plénière, le Parlement pourra alors entamer des négociations tripartites avec le Conseil et la Commission. Mais il restera ensuite du chemin à parcourir avant que la législation définitive ne soit adoptée même si la présidence allemande a placé ses jalons : elle entend disposer d’objectifs climatiques ficelés pour le prochain sommet sur le climat, qui se tiendra à Glasgow en 2021. En principe.
Adeline Descamps
Le Parlement européen valide l'objectif d'une baisse de 60 % des gaz à effet de serre
La commission Environnement du Parlement européen a adopté le 10 septembre un objectif contraignant de réduction d'au moins 60 % des émissions de gaz à effet de serre de l'UE, plus ambitieux que la fourchette (50 - 55 %) promise par la Commission et élément clef du Green deal, le Pacte vert européen.
L'amendement inscrivant cet objectif a été adopté par les eurodéputés par une courte majorité de trois voix. Cet objectif devra être validé par l'ensemble du Parlement en séance plénière début octobre.
La Commission s'était cependant donnée jusqu'à septembre pour proposer un chiffre qui viendra réviser l'objectif climat pour 2030, actuellement fixé à - 40 % par rapport au niveau de 1990, afin de le mettre en conformité avec la neutralité climatique visée pour 2050
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