La taxation du carbone, sur le devant de la scène internationale

Article réservé aux abonnés

Complexe, technique, à l'efficacité non avérée, la taxation carbone a toutes les faveurs des pouvoirs publics. Nés avec le Protocole de Kyoto, les instruments de marché pour sanctionner ou inciter à se convertir à des sources d’énergies moins polluantes, selon que le régulateur fixe un prix pour le CO2 ou des quantités d'emissions, ont fait l’objet de nombreux rapports, dont certains passant au crible les effets dans le transport maritime.

Principal gaz à effet de serre, le carbone aura été la « bête noire » de 2019 et ce, jusqu’à ses tout derniers jours. Qu’il s’agisse d’un système d'échange de crédits carbone, mécanisme de droits d'émissions de dioxyde de carbone, comme celui que l’Union européenne a initié dès 2005, ou par une taxe, en vigueur dans une petite trentaine de pays ou régions dont la France avec sa Contribution Climat-Énergie ou CCE mise en place en France en 2014*, le marché carbone ressurgit régulièrement sur la scène internationale.

La nouvelle présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a fait de la fiscalité verte un des principaux arguments de son « green deal », présenté avec bruit le 11 décembre. Et c’est bien la mise en place d’un marché du carbone (article 6 des Accords de Paris signé lors de la COP 21) qui aura divisé jusqu’au bout les pays de la COP 25, qui vient de se clôturer à Madrid sur très peu, sinon pas, d’avancées du tout. Les pays signataires des Accords de Paris s’étaient mis d’accord il y a quatre ans pour une alternative à la taxe carbone : échanger entre eux leurs crédits d’émissions de gaz à effet de serre (ou « crédits carbone »), ceux qui émettent peu compensant financièrement pour les gros émetteurs. L’article devait être finalisé à l’occasion de ce rendez-vous madrilène. Il ne le sera pas.

Fin octobre, à Singapour, le sommet annuel du Global Maritime Forum a également fait de la décarbonation du transport maritime, via l’instauration d’une taxe sur le carbone, la thématique phare de son rendez-vous. Tout comme la 54e édition de Nor-Shipping, grand-messe de l’industrie maritime qui s’est tenu en juin dans la capitale norvégienne à Oslo.

Les émissions provenant des combustibles fossiles et de l'industrie devraient atteindre 36,81 milliards de tonnes de CO2 (GtCO2) en 2019, selon les dernières estimations du Global Carbon Project (GCP). Soit une hausse de 0,6 % par rapport aux niveaux de 2018, quasiment entièrement due à la Chine.

Le reste du monde a en fait réduit ses émissions de - 0,02 GtCO2, grâce à la baisse de la consommation de charbon aux États-Unis et en Europe, ainsi qu'à des augmentations contenues en Inde et dans le reste du monde, comparativement aux années précédentes.

Si les émissions de charbon ont augmenté rapidement au milieu des années 2000, elles se sont stabilisées depuis 2013, tandis que les émissions de gaz et de pétrole ont régulièrement augmenté.

Selon les chercheurs, « une nouvelle augmentation des émissions en 2020 est probable », car la consommation mondiale de gaz naturel « explose » tandis que la demande de pétrole ne tarit pas.

Atteindre la neutralité carbone en 2050

La feuille de route de la nouvelle présidente de l’exécutif européen vise la neutralité carbone en 2050. Les émissions provenant du transport maritime international ont représenté, selon un consensus sur la question, en moyenne 2,4 % des émissions annuelles mondiales de gaz à effet de serre (GES) entre 2007 et 2012. Toutefois, pour rester dans les limites du seuil d'augmentation de la température moyenne mondiale de 1,5 °C, il serait nécessaire que tous les secteurs atteignent des émissions nettes nulles d'ici 2050. 

L'UE veut mettre ses secteurs économiques au vert

Pour l’atteindre, elle entend adapter en conséquence la législation européenne sur le climat pour « faire en sorte que la fiscalité soit alignée sur les objectifs climatiques ». Elle compte pour cela tirer de nouvelles recettes, notamment, de la mise aux enchères de quotas d’émission. Avec son système européen d’échange de quotas d’émission (SEQE ou Emissions Trading System, ETS), qui couvrirait 45 % des émissions induites par la production d’électricité, les activités industrielles et les vols intra-européens, l’Union fut pionnière au niveau mondial en matière de la taxation des secteurs énergivores. Le « pacte vert » envisagerait « une éventuelle extension à de nouveaux secteurs », notamment au secteur maritime.

Nés avec le Protocole de Kyoto, les instruments de marché pour sanctionner ou inciter à se convertir à des sources d’énergies moins polluantes, selon que le régulateur fixe un prix pour le CO2 ou des quantités d'emissions, ont fait l’objet de nombreux rapports. Certains pour en démontrer les limites : leur coût, leur complexité et leur efficacité non avérée.

D'autres, émanant des grandes associations professionnelles du transport maritime, armateurs comme chargeurs, pour alertent sur les « probables distorsions de concurrence » pénalisant notamment les ports européens. 

Source : Transport&Environnement, EU' shipping climate record

 

82 % des émissions de CO2 échappent à toute taxe

Pour l'OCDE, la tarification du carbone est un mécanisme de réduction des émissions efficace du fait qu’elle augmente le prix de l’énergie carbonée, en réduit donc la demande, et encourage les émetteurs à investir dans les technologies bas carbone.

Dans une étude Taxer la consommation 2019, l’organisation a passé en revue 44 pays totalisant 80 % des émissions de gaz à effet de serre issues de l'énergie. Elle montre notamment qu’au Royaume-Uni, les mesures adoptées ont hissé les prix du carbone dans le secteur de l’électricité de 7 à plus de 30 €/t CO2 entre 2012 et 2016.

Sur la même période, les émissions imputables à ce secteur ont baissé de 58 %. Les émissions totales du Royaume-Uni imputables à la consommation énergétique ont ainsi reculé de 25 %, dont 19 % à mettre au crédit d’une production d’électricité plus propre.

L'organisme montre en outre que 82 % des émissions de CO2 échappent à toute taxe sachant que 85 % de celles liées à l’énergie ne sont pas d’origine routière. Quand elles sont taxées, dans 3 % des cas seulement, le signal-prix atteint 30 € la tonne de CO2, valeur de référence basse du dommage climatique causé par une tonne de CO2.

Le cours européen moyen des quotas tourne autour de 25 €, un signal-prix du carbone jugé trop faible pour inciter à privilégier des sources énergétiques plus propres. Finalement, seuls quatre pays européens (Danemark, Pays-Bas, Norvège et Suisse) taxent les émissions hors transport routier à un taux supérieur à cette valeur.

L’UE soutient pour sa part que son système a permis de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 2,3 à 1,75 milliard de tonnes équivalent CO2 entre 2005 et 2016.

Enfin, selon l’étude de l’OCDE, le niveau moyen des taxes sur les différents combustibles fossiles, dans les 44 pays observés, va de 85,83 € par tonne de CO2 pour l’essence et 73,76 € pour le diesel à 5,26 € pour le gaz naturel, 4,61€ pour le kérosène, 3,96 pour le fioul et 0,73 € pour le charbon.

Trois systèmes passés au crible

Dans une étude pubiée en mars dernier, Carbon pricing options for international maritime emissions, le new climate Institute for Climate Policy and Global Sustainability, a étudié trois options de tarification du carbone pour les émissions maritimes internationales : un système de compensation, qui obligerait les navires à compenser leurs émissions de GES en achetant des crédits de réduction des émissions ; un système d'échange de droits d'émission, qui plafonnerait les émissions totales de GES du transport maritime international et permettrait aux compagnies maritimes d'acheter et de vendre des quotas en vertu de ce plafond ; une taxe climatique, qui fixerait un prix fixe pour chaque tonne de GES émise par les navires. Elle y a apposé quelques critères d’évaluation, dont l’ efficacité en termes de réduction des émissions de GES et de compatibilité avec les principes de l'OMI.

Elle en conclue « qu'une taxe climatique serait la mesure la plus appropriée pour réduire les émissions dans le secteur maritime. Par rapport à un système d'échange de quotas d'émission, elle offre des signaux de prix prévisibles et stables et ainsi une plus grande visibilité aux investisseurs des technologies à faible intensité de carbone. Elle est moins complexe et la gestion administration est moins coûteuse ».

Quant au système de compensation des émissions de carbone, « il existe une grande incertitude quant aux conditions futures du marché des crédits compensatoires et un risque important que les prix du crédit demeurent bas. S'il est moins coûteux d'acheter des crédits compensatoires que de réduire les émissions dans le secteur, il est possible que les émissions du transport maritime continuent d'augmenter jusqu'en 2050 ».

S'inspirer du modèle aérien ?

Le transport aérien s'est, lui, doté d’un dispositif dit contraignant, de maîtrise de ses émissions de CO2. La résolution adoptée en 2016 par l’OACI vise la mise en place d'un « mécanisme de marché mondial par un système d’obligation d’achat de crédits de compensation des émissions de CO2 supérieures au niveau de celle de l’année 2020 ».

En clair, le nombre de crédits carbone que devra acheter une compagnie ne sera pas fonction de ses seules émissions, mais de la croissance des émissions de l’industrie mondiale depuis 2020. Le programme Corsia (« Carbon Offsetting and Reduction Scheme for International Aviation ») prévoit une première phase entre 2021 et 2026 basée sur le volontariat, puis une seconde à partir de 2027 où le dispositif s’appliquera de façon universelle, à quelques exceptions près. 

Les 65 États qui y ont adhéré lors de son lancement cette année représentent d’ores et déjà près de 87 % de l’activité aérienne internationale. À terme, ce sont ainsi près de 80 % des émissions de CO2 mondiales qui seront couvertes par le dispositif. L’Union européenne n'a pas exclu de l'intégrer dans son propre système, qui prévoit de plafonner les émissions du transport aérien intra-européen à un niveau supérieur de 32 % aux niveaux de 1990.

Où vont les produits des taxes ?

Les produits des taxes, censées décourager les émissions polluantes en faisant payer les pollueurs à proportion de leurs émissions, sont-ils dirigés vers l'usage pour lequel ils ont été pensés ? En 2018, les recettes de la Taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), hors TICGN, se sont élevées à 33,3 Md€ environ pour les produits pétroliers, quatrième recette fiscale de l’État derrière la TVA, les impôts sur le revenu et sur les sociétés. Un peu moins de 20 % des recettes de la taxe doivent être dédiées au compte d'affectation spéciale « transition énergétique », entre autres pour soutenir les énergies renouvelables électriques ou le biométhane.

Adeline Descamps

Lire aussi

À Oslo, l'industrie maritime cherche des carburants zéro carbone

* Il s'agit en réalité d'une composante des taxes intérieures de consommation (TIC) sur les combustibles fossiles, proportionnelle à leur contenu carbone. D'un montant initial de 7 €/t de CO2, elle a été réévaluée chaque année pour atteindre 44,60 € en 2018. Elle devait être réévaluée en 2019 (65,40 € en 2020 et 86,20 € en 2022) mais cette trajectoire a été retirée de la loi de finances 2019 en raison du mouvement des Gilets jaunes. Certains secteurs économiques bénéficient d'exemptions totales ou partielles. La taxation implicite du carbone se fait essentiellement par l'intermédiaire de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE).​ Le gaz naturel est soumis à la TICGN, taxe intérieure de consommation sur le gaz naturel.

 

Actualité

Boutique
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client abonnements@info6tm.com - 01.40.05.23.15