Le ministère de la Transition écologique et solidaire a restitué ce 18 janvier au siège de la Direction interrégionale de la mer Méditerranée (DIRM) à Marseille les résultats de l’étude visant à étudier la faisabilité de la création d’une zone de contrôle des émissions des navires en Méditerranée.
Cela fait deux ans que ce projet est évoqué. La réflexion avait été amorcée en 2017 à l’initiative du ministère de l'Environnement, de l'Énergie et de la Mer dont la locataire était Ségolène Royal. La réalisation d'une étude avait alors été confiée à un groupement de scientifiques composé de l’Institut national de l’environnement industriel (Citepa), du Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement et l’aménagement (Cerema) et du Plan bleu, sous la houlette de l'Ineris. Il s'agissait d'évaluer le coût et les avantages pour la qualité de l'air de la mise en œuvre d'une zone d’émissions contrôlées (Eca) en Méditerranée. Ce sont les résultats de ces travaux qui ont été présentés par le ministère de la Transition écologique et solidaire ce 18 janvier à Marseille.
France, partisane d'une zone Eca à 0,1 %
La France défend, avec quelques autres pays riverains de la Méditerranée, le principe d’une zone plafonnant le taux de soufre dans les carburants marins à 0,1 %, comme ce qui est en vigueur depuis 2015 en Baltique, mer du Nord, Manche et aux USA/Canada. Mais elle veut aller au-delà pour cibler d’autres polluants responsables de la pollution de l’air, comme les oxydes d'azote (NOx) et les particules fines et ultra fine PM10.
Cette étude a été menée alors que d’ici un an, le 1er janvier 2020, conformément aux exigences de l’annexe IV de la convention internationale Marpol, la teneur en soufre des carburants marins devra être limitée à 0,5 % sur toutes mers du monde où elle est encore à 3,5 %, ce qui n’est pas d'ailleurs sans poser actuellement problème aux armateurs. Car de toutes les solutions disponibles, aucune ne convient totalement, soit parce que la technologie est trop coûteuse, ou pas assez efficiente, ou encore transitoire voire pas totalement disponible.
Si certains armateurs ont carrément opté pour un changement de propulsion, c’est la solution des scrubbers qui semble dominer dans les récents arbitrages. Pour traiter les émissions polluantes générées par les NOx, puis ensuite, les gaz à effet de serre (le CO2), déjà dans le viseur de l'Organisation maritime mondiale (OMI), l’affaire sera encore plus complexe nécessitant probablement de faire sauter quelques verrous technologiques.
60 000 décès prématurés par an
En attendant, selon une étude épidémiologique de Corbett et al. qui date de 2007 et à laquelle les institutionnels se réfèrent souvent, quelque 60 000 décès prématurés par an pourraient être imputés aux émissions des navires et au transport maritime. La réglementation 2020 sur le soufre éditée par l'OMI promet de réduire les émissions d’oxydes de soufre (SOx) de 80 %, celle des particules de 72 % et les oxydes d’azote de 5 %.
La mise en œuvre d'une zone Seca (agissant sur les oxydes de soufre) limiterait, elle, de 95 % les pollutions liées aux oxydes de soufre, de 80 % celles des particules et de 5 % les oxydes d’azote. Enfin, l'instauration d'une Neca (agissant sur les oxydes de d’azote) pourrait réduire les émissions d’oxydes d’azote de 38 % avec 50 % des navires conformes au niveau Tier III et de 77 % avec la totalité de la flotte au niveau II.
Bénéfices et coûts
Dans son ultime conclusion, l'étude française, réalisée sur la base des données de 2015 et 2016 et sans aucune projection concernant l'activité future du trafic, convient que les bénéfices pour la santé d'une zone Seca-Neca en Méditerranée seraient au moins trois fois plus élevés que les coûts. Selon les experts, elle permettrait d'éviter 1 730 morts prématurés chaque année dans l’ensemble du bassin méditerranéen et d'économiser 8 à 14 Md€/an (40 à 90 M€ en France et une trentaine de décès évités chaque année). Non sans coût pour le secteur du transport maritime, évalué entre 1,4 et 2,6 Md€ par an.
« Notre ambition est de déposer un dossier auprès de l'OMI avec le plus grand nombre de pays possibles pour avoir un impact maximal », a souligné Hervé Brulé, de la Direction des affaires maritimes, conscient qu’il s’agira désormais de convaincre les pays du pourtour méditerranéen, dont certains sont très réticents. Or, toute la difficulté (politique) sera de l'établir sur l’ensemble des bassins méditerranéens, le faire sur des « bouts » n'aurait pas grand sens.
Il ne nie pas non plus que les exigences ne sont pas indolores pour les armateurs. En attendant, des pays basculent comme en Chine, qui a anticipé dans certains zones les réglementations internationales. Les promoteurs (France, Monaco, Italie ....) entendent déposer leur dossier d’ici mars 2020 pour une promulgation en 2022.
L’OMI, qui a déjà pris connaissance de ces résultats en octobre dernier lors du 73e comité de la protection de l’environnement marin (MEPC 73), a mandaté de son côté une étude sur la faisabilité de la création d’une zone Eca Med. Dirigée par son instance régionale pour la Méditerranée, Rempec (Regional marine pollution emergency response center), réalisée par le bureau d’études américain EERA (Energy & Environnemental research associates), financée par ses soins en partenariat avec les Nations unies (Mediterranean trust fund) et le gouvernement italien, elle doit être achevée au printemps 2019. Le Rempec doit se rencontrer en juin 2019. Il annoncerait à cette occasion sa décision.
Adeline Descamps
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