François Bayrou, qui vient d'annoncer la composition de son gouvernement, doit désormais donner reprendre le cours normal de la conversation budgétaire pour faire adopter une loi de finances pour 2025. Elle est en plan, dans son état suspendu le 4 décembre lorsque le gouvernement Barnier a été balayé par une censure de l'Assemblée nationale. Le quatrième Premier ministre en un an ne desespère pas d'obtenir l'adoption d'un budget « à la mi-février », tout en précisant qu'il repartirait de « la copie qui a été votée » au Parlement avant la censure du gouvernement Barnier.
Il rejoint en cela plusieurs voix influentes au Sénat, dont celles des responsables de la commission des Finances, qui ont plaidé la semaine dernière pour reprendre les débats sur le projet de budget 2025 sans repartir de zéro. Rejeté à l'Assemblée nationale, l'examen du principal texte budgétaire entrait début décembre dans sa dernière ligne droite au Sénat. Rien ne s'oppose juridiquement à la poursuite de son examen.
La présidente de l'Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, souhaite également que les parlementaires « reprennent les débats budgétaires là où ils se sont arrêtés » afin de tenter de trouver rapidement un compromis.
Enjeux pour le transport maritime
Taxe au tonnage et exonération de cotisations patronales constituent les deux principaux enjeux contenus dans le PLF 2025 pour le transport maritime, étant entendu que la contribution exceptionnelle sur le résultat d’exploitation à laquelle sera assujetti CMA CGM en 2025 et 2026 (non déductible du résultat imposable des entreprises redevables) n'en est plus un. D'autant que le principal intéressé avait rapidement indiqué qu'il y consentait.
L'article 12 lié à l’instauration d’une « contribution exceptionnelle sur le résultat d’exploitation des grandes entreprises du transport maritime » de plus d'un milliard d’euros de chiffre d'affaires, qui doit rapporter dans les caisses de l'État 500 M€ l'an prochain et 300 M€ en 2026. était acquis sur le principe mais faisait débat au sein des deux assemblées sur les taux applicables et sa durée. Les députés ont en effet décidé de la pérenniser au taux de 5,5 % au-delà des deux seuls exercices budgétaires pour lesquels elle avait été initialement pensée. Face à la stigmatisation en marche, Rodolphe Saadé, le PDG de CMA CGM, avait fini par sortir de sa placidité pour donner quelques limites à son consentement.
Taxe au tonnage, abrogation ou maintien unilatéral ?
En revanche, le régime dérogatoire fiscal dont bénéficie le secteur depuis 2004 en France (taxe au tonnage) continuait de faire réagir, taxé par le groupe parlementaire LFI-NPF d'« avantage fiscal injustifié, inutile et coûteux ». La possibilité qu'ont les armateurs d'être imposés en fonction du tonnage de la flotte et non des bénéfices réels passait toujours mal après des heures de débat et de lobbying bien qu'il soit en vigueur dans 22 des 27 pays de l’UE et appliqué par 86 % de la flotte mondiale (selon les données d'Armateurs de France).
Les députés les plus radicaux, à gauche, plaident pour faire entrer les compagnies maritimes dans le droit commun, balayant d'un revers de main les arguments qui ont présidé à sa mise en œuvre : l'exil fiscal vers des pavillons étrangers mieux-disants. Selon leurs données, la part des navires battant pavillon dans les États membres de l’Union européenne a décroché par rapport à l’évolution de l’ensemble de la flotte mondiale : + 3,4 % contre + 7 % entre 2017 et 2022. Pourtant, la flotte du Registre international français (Rif), un des six régimes d’immatriculation du pavillon français, compte aujourd'hui 421, contre moins de 200 en 2014, à en croire le guichet unique du Rif.
Maintien partiel ?
Les députés avaient également adopté un amendement du député socialiste de l’Eure (et vice-président de la Commission des Finances) Philippe Brun, qui prévoit de maintenir la fiscalité dite avantageuse pour les « petits armateurs » et à plafonner le bénéfice de cette niche à 500 M€ pour la plus grande, « Si ce dispositif avait été mis en place depuis 2022, il aurait permis à la fois de garantir la compétitivité mondiale du groupe français et de rapporter 9 Md€ à l’État sur la période 2022-2024 », garantit le socialiste.
Pour rappel, de 2010 à 2020, l’impact budgétaire de cette taxe a été en moyenne de 46,36 M€ pour l’ensemble des 57 armateurs français concernés, selon les données d’Armateurs de France (AdF) et du Cluster maritime français (CMF). Selon la cour des comptes, cette « troisième des 476 niches fiscales françaises » aurait représenté un manque à gagner de 5,6 Md€ pour les comptes publics en 2023 et 3,8 Md€ en 2022. Mais cette explosion du prix à payer pour les finances de l'État est essentiellement liée à la flambée des taux de fret qui ont rempli les seules caisses de CMA CGM. Or, grâce au régime fiscal particulier et en dépit de ses superprofits, le taux d'imposition du seul géant français n'a été que de 1 % en 2022 et de 2 % en 2023, d'après les calculs avancés.
Opération des courses sur ces deux sujets : les sénateurs voteront pour l’instauration d’une contribution exceptionnelle de CMA CGM mais contre la suppression de la taxe au tonnage, rejetant toute modification du régime. Aussi, trois amendements visant à prolonger de trois ans le dispositif de suramortissement vert ont été adoptés.
Exonérations de charges : limitées à quelques catégories de navires ?
Alors que l'examen du budget 2025 a été stoppé le 26 octobre à l'Assemblée nationale, faute d'être parvenu à bout des 1 500 amendements orphelins, il a été balayé par celui du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS). Enjeu de ce dernier pour le secteur maritime : la remise en cause, via son article 7, d'un autre élément du trépied fiscal que les armateurs étaient parvenus à inscrire dans le marbre de la loi sur l’Économie bleue du député Arnaud Leroy en 2006. Au titre du Rif, les navires de commerce au long cours ou au cabotage international peuvent disposer d’un taux de contributions patronales liées à la part Enim (régime social des marins) réduit (11,6 % au lieu de 35,6 %). Ce dispositif avait été introduit pour « rétablir les conditions de la concurrence avec les marins italiens et danois bénéficiant de dispositifs de net wage plus avantageux »
Au 31 décembre 2023, 4 216 marins de nationalité française étaient embarqués sur les navires enregistrés au Rif. Parmi eux, 3 806 étaient affiliés à l’Enim. Ainsi, depuis 2017, après l’entrée en vigueur de la loi Leroy, il y a eu 1 264 gens de mer français de plus à bord des navires hissant le drapeau tricolore.
Le député du Finistère Le Gac, à l’initiative d’une loi pour lutter contre le dumping social en Manche, a plaidé en faveur du maintien du mécanisme pour certaines catégories : les navires de services opérant dans la maintenance des champs éoliens (188 navires en décembre 2023, majoritairement sous pavillon français, 8 300 emplois) et les câbliers, filière dans laquelle la France fait figure de leader mondial avec deux entreprises Orange Marine et Alcatel Submarine Network et un bataillon de 13 câbliers, soit 46 % du tonnage mondial en exploitation. La commission des Affaires sociales ne semblait pas vouloir remettre en cause la mesure.
« La dépendance croissante de l’économie mondiale aux flux numériques a accru l’usage des câbliers et le besoin d’une maintenance. Considéré comme un secteur d’intérêt stratégique comme peut en attester le rachat de l’entreprise ASN par l’État, il est primordial d’en garantir la compétitivité », faisant valoir le député. Or, il faut 60 à 80 marins sur une unité câblière. La suppression des exonérations de charges patronales ne serait donc pas neutre. Le député l’estime entre 500 à 700 € par jour et par navire. Quant au coût pour l’État des exonérations de charges pour les navires de support à l’éolien offshore, il serait « de l’ordre de 1 à 2 M€ maximum », selon AdF. La question du pavillon national et de la nationalité de l’équipage est sensible, seule garantie pour l’État de pouvoir les réquisitionner. C’est un des enjeux de ladite flotte stratégique (sous ce vocable se rangent des navires dits essentiels). « On parle ici de dispositifs qui s’appliquent à du personnel gagnant trois à quatre fois le Smic », lui avait opposé, en commission, le rapporteur général, Yannick Neuder (Droite républicaine).
Le net wage sauvé par un vice technique
L'Assemblée nationale ayant échoué le 5 novembre à achever dans les délais impartis l'examen du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) : le texte a été transmis au Sénat dans la version initiale du gouvernement.
En séance, les députés ont voté pour supprimer dans son intégralité l’article 7 du PLFSS à 103 voix pour et 92 voix contre, à l'issue de débats exclusivement resserrés sur la question de l’apprentissage, partie intégrante dudit article 7. En conséquence, l'abandon ou le maintien du cadre actuel des armateurs n'a pas été débattu. Mais l'article ayant été repoussé, les avantages ont été maintenus en l'état.
Les organisations professionnelles sur le qui-vive
Du côté des organisations professionnelles, Armateurs de France (AdF) et le Cluster maritime français (CMF) sont sur le qui-vive et ont ratissé les allées des deux assemblées pour y compter leurs soutiens et faire de la pédagogie auprès des élus les plus abrasifs sur les effets induits par son abrogation. Le plus redouté reste la distorsion de la concurrence dans un secteur par essence soumis à une forte compétition internationale tandis que la fragilisation d'un petit tissu d'armateurs français est un risque. Le moment n'est jamais opportun quand les charges pleuvent mais il est très mal choisi, notifient les représentations professionnelles de la vaste communauté de l'économie bleue, alors qu'il doit faire face à un mur d’investissement qui se chiffre en milliards de dollars pour se conformer aux objectifs de décarbonation de l'UE et de l'OMI. S’il fallait renouveler la totalité de la seule flotte française, il faudrait trouver 25 Md€ selon sa feuille de route décarbonation publiée l'an dernier.
Encore récemment, les organisations ne désespéraient pas, qui de faire entendre raison, qui d'infléchir les plus arc-boutistes, voyant même des lignes bouger, y compris à l'extrême gauche de l'échiquier politique.
Une partie de l'histoire reste à écrire
La suite de l'histoire est connue : le gouvernement Barnier a été renversé. François Bayrou doit prononcer sa déclaration de politique générale le 14 janvier. La feuille de route ne sera donc connue qu'à cette date pour ne pas risquer de « corseter les discussions », a indiqué Marc Fesneau, le patron des centristes à l'Assemblée nationale, dans un entretien à la Tribune du Dimanche (édition du 22 décembre). Un indice : le roué en politique qu'est le maire de Pau est un détracteur au long cours des déficits publics...Mais taxer ceux qui investissent ne fait pas partie de son arsenal idéologique.
Adeline Descamps
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