Tarification du carbone : les propositions s'affinent dans la perspective de la prochaine réunion à l'OMI

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Les objectifs ayant été resserrés, chacun des Comités de protection du milieu marin, où se joue la douloureuse politique climatique du shipping, sera plus stratégique. Dans moins d’un mois, du 30 septembre au 4 octobre 2024, se tiendra à l’OMI la 82e session de l'un d'entre eux. La tarification du carbone devrait accaparer les débats.

Dans moins d’un mois, du 30 septembre au 4 octobre 2024, se tiendra à l’OMI la 82e session du MEPC, le Comité de protection du milieu marin où se joue la douloureuse politique climatique du shipping. Il sera précédé, du 23 au 27 septembre, de la traditionnelle session technique (ISWG-GHG) du groupe de travail sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) des navires. C’est dans cette instance que sont débattues les soumissions, là où peuvent s’infléchir les positions et s’établissent les textes de compromis sur lesquels le MEPC pourra s’appuyer pour arbitrer.

Depuis que les objectifs ont été resserrés – ramener à zéro les émissions de gaz à effet de serre du transport maritime international d'ici 2050 –, chacun des MEPC à venir sera plus stratégique. L'OMI va adopter un ensemble de mesures techniques et économiques (juridiquement contraignantes) au début de l'année 2025 pour cranter chaque échéance (2030, 2040) avant cet horizon ultime. Elles seront débattues lors de la prochaine séance dans quelques jours.

La tarification carbone au menu

Dans cette perspective, plusieurs projets d'amendements à l'annexe VI de la convention Marpol ont déjà été introduits par divers membres de l'OMI. Parmi ceux-ci, une soumission portée par les Bahamas, le Liberia et la Chambre internationale de la marine marchande (ICS) a fait du bruit durant l’été parce qu'elle a alerté sur l'urgence. « La réalisation des objectifs fixés ne seront plausibles que si les gouvernements "mordent la balle" et adoptent un mécanisme de tarification des émissions de GES maritimes en 2025 pour une mise en œuvre mondiale en 2027 », posent-ils sur la table comme prérequis.

La proposition porte sur la révision de la tarification du carbone et prévoit une redevance initiale forfaitaire sur les GES facturée aux navires par tonne d'équivalentCO2 (CO2e), assortie d'un élément de compensation par tonne d'émissions de CO2 évitées (récompense). L’objectif est d'encourager la production et l'adoption de carburants et/ou technologies à émissions nulle ou proches de zéro (ammoniac vert, hydrogène, méthanol, biocarburants de dernière génération, captage du carbone à bord, etc.), dont le coût de production est plusieurs fois plus élevé que les carburants fossiles et dont la disponibilité à grande échelle est problématique.

La demande est réelle et devrait être croissante, soutient le World Shipping Council (WSC) qui représente les exploitants de ces navires : « plus de 60 % des contrats de construction de porte-conteneurs et de porte-voitures seront prêts à utiliser les carburants les plus écologiques », assure l'organisation.

100 $ par tonne de CO2 évitée

Les auteurs du texte ne se prononcent cependant pas sur le montant de la redevance. Mais si, pendant les cinq premières années de mise en œuvre, l'OMI fixe un prix de 100 $ par tonne de CO2 évitée (y compris les émissions en amont), une redevance de 60 $ par tonne de fuel conventionnel pourrait être suffisante pour atteindre les objectifs de la mesure, font-ils valoir.

« Notre proposition contribuera à dérisquer les investissements et permettra au transport maritime d'atteindre rapidement un point de d’amorçage dans l'utilisation des carburants marins verts, ce qui est nécessaire de toute urgence car leur disponibilité actuelle est pratiquement nulle », justifie Guy Platten, secrétaire général de l’ICS, qui alerte aussi sur le « risque de prolifération ». « Outre le fait de remettre en cause la réalisation des objectifs des Nations Unies en matière de changement climatique, l'absence de conclusion d'un accord sur une redevance fixe pour les GES, applicable à tous les navires à l'échelle mondiale, entraînerait également une superposition des redevances à l'échelle régionale et/ou nationale, avec un chaos réglementaire, une inefficacité économique, un possible choc d'approvisionnement et une perturbation du commerce maritime », énumère-t-il.

Une recette de 2,5 Md$/an

Selon les soumissionnaires, ces mécanismes permettraient de dégager jusqu'à environ 2,5 Md$ par an qu’il s’agirait de verser à un fonds piloté par l’OMI dont les ressources seront dédiées aux pays en développement et autres petits États insulaires pour financer leur transition énergétique. Un juste retour dans la mesure où ce sont eux qui paient chèrement le dérèglement climatique engendré par l’hémisphère Nord, industriel, riche et énergivore (cf. plus bas).

Dans le document déposé par l’ICS, le Libéria et les Bahamas, la préférence est donnée à une norme absolue en matière de carburant (avec une intensité maximale autorisée de GES pour les carburants marins) ou à une « surtaxe GES » annuelle pour le CO2 émis en raison du non-respect de la norme. Reste à savoir si la modélisation du « prix à payer » par les « petits États » servira de base aux décisions sur le montant de la norme et si tel est le cas, il faudra qu’elle soit particulièrement élevée.

Un mécanisme d'équilibre vert

Le World Shipping Council (WSC) a également affiné sa proposition de mécanisme financier qui, selon lui, favorisera l'adoption de carburants verts et créera une égalité de prix.
« Pour que la transition énergétique du transport maritime ait lieu, les carburants maritimes verts doivent être disponibles à grande échelle, ce qui nécessite des investissements de plusieurs milliards de dollars de la part des fournisseurs d'énergie. Pour amorcer la pompe, l'OMI doit adopter des réglementations qui non seulement augmentent les prix des combustibles fossiles mais font également une alternative viable des combustibles verts », explique l’organisation par son porte-voix Joe Kramek.

La proposition s’articule autour de la création d’un fonds qu'il appelle « mécanisme d'équilibre vert ». Il s'agit d'une mesure réglementaire, peu ou prou similaire à d'autres, qui fixerait un prix sur les combustibles fossiles et affecterait ensuite les fonds à des carburants plus faible intensité de GES de sorte que le coût moyen des combustibles soit à peu près égal.

La redevance serait ajustée chaque année en fonction de la quantité de carburant vert utilisée et des prix du marché ainsi que des progrès réalisés pour atteindre l'objectif initial de réduction de 65 % des émissions de carbone de l'industrie. Parallèlement, tous les carburants qui permettront de réduire les émissions au-delà des normes établies recevraient une allocation proportionnelle à la réduction qu'ils permettent d'obtenir.

Il reste que les objectifs de l’OMI ne sont pas alignés sur les réglementations régionales et nationales déjà en vigueur. La question de savoir comment l'organisation de régulation du transport maritime compte résoudre la double facturation des émissions, sera sans doute évoquée à l’occasion de la prochaine rencontre. Les plus initiés guetteront en tout cas une réponse.

Agitation autour du CII

Parallèlement, ces dernières semaines, l’agitation est montée d’un cran à propos du très controversé indicateur d'intensité carbone entré en vigueur au 1er janvier 2023 et qui n’a pas d’égal dans la contestation, si ce n’est l'introduction de l’IMO 2020 sur la teneur en soufre du fuel. Les navires sont désormais encadrés par deux nouveaux sigles EEXI (Energy Efficiency Index for Ships In Service) pour indice d’efficacité énergétique et CII (Carbon Intensity Index) pour indicateur d’intention carbone.

Ces amendements à la convention Marpol visent à contraindre la flotte mondiale à réduire leur intensité carbone de 40 % d'ici 2030 par rapport à la référence de 2008. Pour mémoire, l’EEXI fixe un cadre de performance de chaque type de navire d’une jauge brute égale ou supérieure à 400. Le CII, qui concerne les navires d’une jauge brute égale ou supérieure à 5000, permet d’évaluer et suivre les émissions de carbone des navires par tonne-mille. Ils sont classés de A à E en fonction de leur efficacité énergétique. Un navire noté D pendant trois années consécutives ou E pendant un an devra démontrer comment il compte atteindre une note supérieure. Basée sur les données de 2023, la première notation de chaque navire est en cours d'émission.

Près de 80 propositions contre l'indicateur d'intensité carbone

Six organismes représentant différents segments du transport maritime – Bimco, Clia, Intercargo, InterManager, Chambre de commerce internationale et Intertanko –, ont publié dernièrement une déclaration commune dans laquelle ils demandent une modification du système actuel, dernière salve d'une série d’admonestations. Pas moins de 78 propositions ont déjà été soumises à l’OMI dans le cadre de la révision des lignes directrices de l'indicateur qui doit être publié avant 2026. Lors de sa 81e session en mars 2024 du Comité de la protection du milieu marin, il avait été reconnu que le dispositif pouvait avoir des conséquences involontaires pour certains navires, notamment en termes de financement, d’assurance, d’affrètement…

La formule de calcul du CII divise. Basée sur le port en lourd du navire (c’est-à-dire sa capacité) et les distances de navigation annuelles, les organisations professionnelles estiment que ces critères ne permettent pas de refléter la véritable intensité carbone (émissions par tonne-mille de cargaison) du navire. Avec cette approche, pas de différence entre les navires bien remplis et ceux qui naviguent à moitié vides. Les représentants des exploitants de navires auraient en effet préféré que la cargaison réellement transportée soit un paramètre de référence. MSC, le leader mondial du transport de conteneurs, était sorti de sa légendaire discrétion pour démontrer l’absurdité du système en affirmant que le navire avait plus intérêt à faire des ronds lentement plutôt que d’attendre au mouillage.

En attendant, le détournement massif de la mer Rouge risque d’aggraver le bilan carbone de la flotte mondiale. Selon la société de négoce d'énergie Trafigura, l'industrie du transport maritime pourrait consommer cette année 500 000 barils de fuel supplémentaires par jour en raison du transit par le cap de Bonne-Espérance qui ajoute environ 2 000 à 3 000 milles nautiques à un voyage Asie-Europe ou Asie-côte est américaine. Suffisamment pour augmenter de 4,5 % les émissions annuelles de la flotte mondiale. L'Agence internationale de l'énergie (AIE) est plus modérée, estimant la surconsommation à 200 000 barils par jour.

Adeline Descamps

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Une augmentation significative du coût de transport des marchandises pour les États insulaires du Pacifique

Une étude a été mandatée par l’OMI à l'University College London et au Micronesian Center for Sustainable Transport pour déterminer comment la politique climatique pourrait impacter six « petits » États insulaires du Pacifique en développement : Kiribati, les Îles Marshall, Nauru, les Îles Salomon, Tuvalu et Vanuatu.

Le rapport (Potential Impact of IMO Mid-term Measures Pacific Island Country Case Studies, Impact potentiel des mesures à moyen terme de l'OMI - études de cas des pays insulaires du Pacifique) a passé en revue les impacts en fonction du flux de marchandises étudié. Il en ressort des augmentations significatives du coût de transport des marchandises, entre 0,1 % et 36,9 % par conteneur équivalent 20 pieds (EVP) et entre 1,2 % et 6,8 % par tonne de marchandises en vrac entre 2030 et 2050.

Les à-coups sont encore plus importants pour les marchandises de faible valeur (y compris les denrées alimentaires et les biens de première nécessité) que sur les marchandises de plus grande valeur. Il faut aussi y ajouter les effets de bord liés au contexte de ces pays (éloignement géographique, problématique du fret retour, manque de concurrence entre les fournisseurs de services de transport maritime, disponibilité des navires) qui se combinent si bien que toute augmentation du prix final payé par les consommateurs pour le transport maritime tend à dépasser l'augmentation du coût marginal de base. Par ailleurs, le rapport met en exergue une faible capacité de transfert modal des flux de marchandises vers le fret aérien.

A.D.

Les objectifs 2050 en bref

Pour rappel, l’OMI a fixé pour objectifs de réduire l'intensité carbone (émissions de CO2 par unité de transport) d'au moins 40 % d'ici à 2030 par rapport aux niveaux d'intensité carbone de 2008, et de veiller à ce qu'au moins 5 % de l'énergie utilisée par le transport maritime international provienne de technologies, de carburants et de sources d'énergie à émissions de GES nulles ou quasi nulles. D'ici 2040, l'objectif est de réduire les émissions de GES d'au moins 70 % et d'atteindre des émissions nettes de GES nulles en 2050.

La 81e session du Comité de protection du milieu marin (MEPC 81), qui s'est tenue au début de l'année, a avancé sur les cadres réglementaires et les lignes directrices visant à améliorer l'efficacité énergétique, à gérer les combustibles marins et à réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES).

 

 


 

 

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