PLF Sécurité sociale : enjeu autour des exonérations de cotisations patronales des compagnies maritimes

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Le Sophie Germain d'Orange Marine

Le Sophie Germain d'Orange Marine est le premier navire de sa génération conçu pour la réparation de plusieurs types de câbles sous-marins, qu'il s'agisse de télécommunications à fibre optique ou d’alimentation pour les parcs éoliens.

Crédit photo ©Orange Marine
Les débats à l'Assemblée nationale sur le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) s'ouvre ce lundi 28 octobre. Parmi les 2 200 amendements, trois sont portés par le député du Finistère Didier Le Gac, qui veut rétablir les exonérations de charges patronales que l'article 7 veut supprimer. La commission des Affaires sociales lui a donné raison. Les sédentaires du syndicat PSCN–CFE-CGC s'étaient, eux, mobilisés en amont.

Alors que l'examen du budget 2025 a été stoppé ce samedi 26 octobre à l'Assemblée nationale, laissant orphelins quelque 1 500 amendements, c’est au tour du budget de la Sécurité sociale (autrement dit du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), d’être étudié par les députés dans sa version initiale assortie de quelque 2 200 « contributions ».

Le gouvernement compte sur le PLFSS pour colmater les comptes publics à hauteur de 5 Md€ sur les 60 milliards à combler, notamment par des mesures d’économies dès 2025. Parmi ses pistes : rehausser les cotisations patronales des salaires entre 1 et 1,3 Smic de deux points de pourcentage en 2025 et en 2026. Elles baisseraient en revanche pour les salaires entre 1,3 et 1,8 Smic et remonteraient au-delà.

Le passage du texte la semaine dernière en commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, présidée par Frédéric Valletoux (Horizons), n’a pas épargné le transport maritime, déjà stigmatisé en commission des Finances, via la « contribution exceptionnelle » touchant CMA CGM, que les parlementaires veulent rendre permanente tandis qu'ils ont voté en outre pour plafonner la taxe au tonnage.

Comme anticipé dès la présentation du gouvernement Barnier, au vu de la tournure des débats, il aurait été surprenant que la taxe au tonnage ait été le seul élément remis en cause dans le trépied fiscal dont les armateurs ont fait leur ceinture Vauban. Cette course au fond de tiroir concerne désormais l’ensemble des exonérations de contributions patronales (net wage) dont bénéficient les compagnies armant des navires sous pavillon français opérant dans des segments ultra-concurrentiels. Il s'agit de « toucher » à des mesures introduites en 2016 par la loi sur l’Économie bleue portée par le député Arnaud Leroy et pensées à l’origine pour « rétablir les conditions de la concurrence avec les marins italiens et danois bénéficiant de dispositifs de net wage plus avantageux », rappelle l'exposé des amendements 611, 612 et 645 écrits par le député EPR (Ensemble pour la république, camp présidentiel) Didier Le Gac.

Article 7, danger de compétitivité

Au titre du Registre international français (Rif), un des six registres d’immatriculation du pavillon français, les navires de commerce au long cours ou au cabotage international peuvent disposer d’un taux de contributions patronales liées à la part Enim (régime social des marins) réduit (11,6 % au lieu de 35,6 %). L’article 7 de l'actuel PLFSS voudrait y mettre fin.

« Si on supprime ces dispositifs, ce sont alors tous les navires immatriculés sous le Rif qui seront concernés. Cette décision serait une porte ouverte à des marins étrangers à bord de navires français [le Rif impose un taux minimal de marins français à bord NDLR] car à compétences égales, les armateurs y seront contraints pour assurer la pérennité de leur activité », plaide Didier Le Gac, dont les amendements visent précisément à les rétablir en invoquant la menace pour la compétitivité du pavillon français dans un contexte de concurrence accrue.

Le député du Finistère, à l’initiative d’une loi pour lutter contre le dumping social en Manche, rappelle que ce registre a été créé en 2005 pour « sauver notre marine marchande qui était mal en point. Or, la concurrence européenne, sinon internationale est toujours aussi présente aujourd'hui », fait-il valoir auprès de ses collègues. Le parlementaire fait référence à la désertion dans ces années-là vers des pavillons socialement moins-disant, mais fiscalement attractifs. Une érosion endiguée à en juger par les données du guichet unique du Rif. Au 31 décembre 2023, 4 216 marins de nationalité française étaient embarqués sur les navires enregistrés au Rif. Parmi eux, 3 806 étaient affiliés à l’Enim. Ainsi, depuis 2017, après l’entrée en vigueur de la loi Leroy, il y a eu 1 264 gens de mer français de plus à bord des navires hissant le drapeau tricolore. La flotte du Rif, elle, est passé de 313 unités à 421, soit 108 de plus depuis 2017, pour une jauge brute totale de 8,54 millions d’UMS.

Menace pour la formation

Didier Le Gac soutient par ailleurs que la fin des exonérations hypothèquerait l’emploi des futurs navigants. « Cela ne serait pas sans conséquences pour les élèves en formation, en particulier issus de l’École nationale supérieure maritime [ENSM], dont l’objectif assigné par l’État est le doublement de ses effectifs d’ici à 2027. C’est donc toute la filière de l’enseignement maritime qui pourrait en être déstabilisée ». Il fait allusion à un demande portée par Armateurs de France (AdF) dans le cadre de la vaste consultation du Fontenoy du maritime en 2021, le marché de l’emploi étant particulièrement tendu.

Parmi les arbitrages, il avait été décidé par l’État de doubler les effectifs d’officiers formés d’ici 2027 moyennant quoi les armateurs français s'engageaient à favoriser l’emploi de marins français et à embarquer tous les élèves en formation. « Les fruits de cette collaboration sont probants puisque le taux d’emploi des diplômés de l’ENSM avoisine les 100 % », soutient le parlementaire.

Plaidoyer en faveur des câbliers et des SOV

Le député plaide pour le maintien de l’exonération de toutes les contributions et cotisations patronales notamment pour les navires de services opérant dans la maintenance des champs éoliens (188 navires en décembre 2023, majoritairement sous pavillon français, 8 300 emplois) et les câbliers, filière dans laquelle la France n'est pas mal lotie, disposant de la plus grande flotte au monde : seulement deux entreprises – Orange Marine et Alcatel Submarine Network –, un bataillon de 13 câbliers mais 46 % de la flotte mondiale en service. À l’ère de la numérisation, quand 97 % des données numériques mondiales transitent par les câbles sous-marins, cela peut représenter un avantage géopolitique et stratégique.

« La dépendance croissante de l’économie mondiale aux flux numériques a accru l’usage des câbliers et le besoin d’une maintenance. Considéré comme un secteur d’intérêt stratégique comme peut en attester le rachat de l’entreprise ASN par l’État, il est primordial d’en garantir la compétitivité », argumente le député. Or, il faut 60 à 80 marins sur une unité câblière. La suppression des exonérations de charges patronales ne serait donc pas neutre. Le député l’estime entre 500 à 700 € par jour et par navire. Quant au coût pour l’État des exonérations de charges pour les navires de support à l’éolien offshore, il serait « de l’ordre de 1 à 2 M€ maximum », selon AdF.

Parades au dépavillonnement ?

La question du pavillon national et de la nationalité de l’équipage est sensible, seule garantie pour l’État de pouvoir les réquisitionner. C’est un des enjeu de ladite flotte stratégique. Sous ce champ lexical se rangent des navires dits essentiels, soit parce qu'ils transportent des matières premières vitales à l’approvisionnement du pays ou parce qu’ils remplissent une fonction cardinale, à savoir des vraquiers pour les céréales ou le minerai de fer, des méthaniers pour le gaz, des câbliers pour le transport de données numériques, des SOV pour les éoliennes (qui produisent de l’électricité, faut-il le rappeler) ou encore des navires de recherche océanographique.

Dans son rapport sur le sujet, le député Yannick Chevenard évoquait la possibilité de faire de ces dispositifs de soutien « une incitation décisive au développement de segments de la flotte stratégique », notamment quand l’offre des opérateurs est difficile à régénérer (cas du renouvellement des câbliers) ou lacunaire (les navires de pose des éoliennes en mer). En clair, de faire de la participation d’un navire à la flotte stratégique un critère déterminant pour l’obtention de certaines mesures.

Doute entre coût de l'emploi et compétitivité

« On parle ici de dispositifs qui s’appliquent à du personnel gagnant trois à quatre fois le Smic », oppose le rapporteur général, Yannick Neuder (Droite républicaine), émettant un avis défavorable ou le retrait. Le parlementaire doute « qu’à ce niveau de rémunération, la compétitivité des armateurs repose sur le coût de l’emploi. Ces entreprises sont aussi exonérées des cotisations vieillesse et maladie ». « La vertu de cet article », défend-il, est de resserrer les bénéfices de cette exonération au profit des navires de passagers, qui emploient des gens de mer moins qualifiés.

Mais le député de l’Isère laisse néanmoins la porte ouverte, suggérant que sa position pourrait évoluer. « Nous n’avons pas votre connaissance du secteur, n’étant pas dans une circonscription avec un accès à la mer. Et ce sujet mérite plus de trois minutes de débat ». La commission des Affaires sociales a décidé de maintenir la plupart des exonérations de charges patronales pour les armateurs mais c’est la version initiale qui sera débattue la semaine prochaine dans l’hémicycle.

Inquiétudes des personnels

En amont des débats en Commission des finances, le syndicat PSCN – CFE-CGC, majoritaire chez les cadres et agents de maîtrise sédentaires des compagnies maritimes, était monté au créneau pour défendre le régime d’imposition des entreprises armant des navires sous pavillon français premier ou RIF et alerté sur les impacts pour l’emploi et les investissements. « La possible délocalisation des grandes entreprises maritimes vers des juridictions fiscales plus avantageuses entraînera une perte de plusieurs milliers emplois dans les régions littorales, écrit Cédric Michel, le président du syndicat (et superintendant chez Ponant) dans un courrier adressé aux parlementaires. De plus, le système de protection sociale des marins, géré par l’Enim, sera mis en péril par la réduction du nombre de cotisants, entraînant des déséquilibres financiers majeurs ».

La France a fait de gros efforts depuis 20 ans pour faire renaître une marine marchande en perdition, indiquait le syndicat. « Ces efforts ont permis en dix ans de stopper son déclin, puis, depuis dix ans, de voir la flotte, en particulier au Rif, croître à nouveau. Des champions internationaux sont nés ou ont pu renaitre, tel CMA CGM, mais aussi Orange Marine, Louis Dreyfus Armateurs, Brittany Ferries… Et cela, on le doit à la mise en place d’une fiscalité innovante en 2003. Sans la taxe au tonnage et les allégements de charge pour les navigants, rien n’aurait été possible et on aurait vu notre narine marchande disparaître peu ou prou comme celle des États-Unis », indiquait aussi ce courrier empreint d’inquiétudes et alertant sur le revers d’un gain à court terme.

Mais ce n'est pas pour autant un laissez-passer. Parmi leurs propositions, les personnels sédentaires suggéraient que l’assiette de la taxe au tonnage, susceptible d’être revue, soit réservée tout ou partie au financement de l’ENSM et aux lycées maritimes et l’exonération de charges des navigants aux entreprises maritimes armant uniquement des navires au premier registre. Voire assujettir ces exonérations à des conditions de salaires. « Actuellement certaines catégories se retrouvent sous le Smic car le patronat ne joue pas le jeu et freine sur toutes les propositions des partenaires sociaux. »

Aussi légitimes soient certaines revendications, l'heure n'est pas à une meilleure redistribution mais à la récupération. Quels que soient les partis pris, l’appui des parlementaires dans un contexte de chasse aux trésors ne coulera pas de source.

Adeline Descamps

Les crédits maritimes préservés ?

La commission du Développement durable, saisie pour avis des crédits maritimes du projet de budget pour 2025, n’est, elle, pas revenue sur la fin des exonérations de cotisations salariales accordées aux ferrys après la crise sanitaire. Or, dans la lettre-plafond du ministère de la Transition écologique, l'ex-Premier ministre, Gabriel Attal, suggérait de réduire de 16 % les crédits de paiement alloués aux Affaires maritimes en 2025 (261 M€, contre 312 en 2024) et les autorisations d’engagement de 30 %, passant de 350 M€ en 2024 à 244 M€ en 2025. Initié pour un an à titre exceptionnel en 2021, reconduit pour trois ans, le dispositif d’exonération de charges (« net wage ») élargi en 2022 aux ferrys, était en ballotage.

 

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