MSC, Maersk, CMA CGM, Hapag Lloyd et Seatrade ont signé. Soit les cinq armateurs de porte-conteneurs dont les quatre premiers mondiaux dans le transport maritime de conteneurs et qui sont aussi les principaux clients des ports d’Anvers et de Rotterdam. Ils ont tous été à un moment ou un autre confrontés à une situation où ils ont acheminé de la cocaïne, souvent à leur insu. En signant cette « déclaration sur la lutte contre la criminalité organisée transfrontalière en matière de drogue », ils s'engagent à collaborer plus avant avec les autorités belges et néerlandaises.
Cette action intervient un mois après la saisie fortuite le 18 janvier de 2,4 t de cocaïne à bord d’un porte-conteneurs de MSC, le MSC Lorena. Mais cette prise n’est qu’un avatar d’une longue liste. En 2019, le MSC Gayane avait été saisi dans le port de Philadelphie avec une cargaison record de 20 t de cocaïne d’une valeur marchande de 1 Md$. En fin d’année dernière, cette affaire a ressurgi sur un plan médiatique, avec le jugement de plusieurs membres d'équipage, placés en détention, tandis que MSC pourrait écoper d’une amende de 700 M$.
Pas un cas isolé
Le MSC Gayane n'est pas un incident isolé. L’équipage du MSC Oriane avait tenté en 2010 de livrer 255 kg de cocaïne dans 11 sacs étanches à un chalutier dans la Manche. En 2013, des rapports établis par les polices de plusieurs pays européens suggèraient qu’un cartel de la drogue originaire des Balkans « avait trouvé un moyen de s'introduire à bord des navires de MSC », pointant des failles dans les équipages, notamment originaires du Monténégro.
En juillet dernier, à bord du CMA CGM Voltaire, en provenance de Carthagène en Colombie, ont été saisis 700 kg de cocaïne alors qu’en 2021, douze employés de CMA CGM Inland Services, qui gère des dépôts de conteneurs à Rotterdam, ont été entendus par la police néerlandaise. Le Maersk Invernes, qui dessert la route de Carthagène-des-Indes, a également transporté 700 kg en juillet dernier. Maersk avait connu un précédent en 2016 avec le Laura Maersk, dans le port de Manzanillo au Mexique. Hapag-Lloyd a vécu des épisodes similaires avec les Rotterdam Express en 2018 et Dusseldorf Express en 2021.
Réaction tardive
La réaction apparaît donc tardive. Sur les 2 000 t de cocaïne produites chaque année, 600 à 700 arrivent sur le marché européen, selon les données. Plus de 250 t ont été saisies entre 2010 et 2022, dont 162 t pour les seuls ports d'Anvers et de Rotterdam. L’année 2022 est effrayante. L’an dernier, les douanes belges ont saisi près de 110 t à Anvers. Il est estimé que 5 % de la production mondiale de cocaïne ont transité par les deux portes d’entrée européenne l’an dernier. Les trafics se sont en outre déplacés vers Hambourg, Gioia Tauro et même Le Havre.
« Les prises record dans les ports d'Anvers et de Rotterdam montrent à quel point le problème de la contrebande de drogue est gigantesque dans les deux pays », a déclaré Aukje de Vries, secrétaire d'État néerlandaise aux douanes, lors de la signature de la déclaration en présence des ministres de la Justice et de la Sécurité, du Premier ministre belge et des élus de Rotterdam et d'Anvers. « Avec des entrées de millions de conteneurs, des dizaines de milliers d'employés transitant par les ports et la nature transfrontalière du commerce, le secteur maritime est exposé aux infiltrations et aux abus de la mafia de la drogue », ont souligné les responsables politiques.
Ne pas perdre de vue les conteneurs
Les cinq armateurs se sont ainsi engagés à « accélérer progressivement l'introduction d'un système de conteneurs et de scellés de conteneurs intelligents » de façon à tracer la boîte tout au long de son parcours. Les outils existent depuis un certain temps déjà pour filer à la patte les conteneurs depuis leur embarquement jusqu'à leur destination finale, en enregistrant automatiquement tous les mouvements ou efforts d'ouverture d'un conteneur.
En France, Traxens est une des entreprises qui a permis cette révolution, et au capital duquel figurent d’ailleurs CMA CGM depuis 2012, MSC depuis 2016 et Maersk depuis 2019.
Il est question en outre d’avoir recours à la biométrie et au cryptage numérique de façon à limiter l'accès aux données relatives aux boîtes. Les compagnies maritimes ont par ailleurs accepté d'appliquer des politiques strictes en matière de ressources humaines, notamment en ce qui concerne leurs processus de recrutement et la vérification des antécédents.
Dans l’affaire du MSC Gayane, face aux accusations d’infiltrations de son personnel, MSC s’était insurgé, dans un communiqué en date du 17 janvier, contre la systématisation par les origines de ses équipages et le fait que « la subversion d'un petit nombre de marins du Monténégro, dans des circonstances qui restent très spécifiques, [reviendrait] à dire que la société est "infiltrée" par un cartel de la drogue ».
Par rapport à ses marins originaires du Monténégro, après avoir effectué « une vérification rigoureuse sur un plan administratif », le leader mondial de la ligne régulière avait indiqué avoir pris des dispositions telles que des réaffectations sur des lignes moins exposées et moins vulnérables au trafic de drogue. Il déclare en outre avoir consacré plus de 50 M$ en 2022 en prévention. « Nous avons désormais plus de 50 moyens différents de détection d’activités illicites potentielles sur les principales routes, y compris une technologie de pointe et exclusive basée sur l'intelligence artificielle, en étroite collaboration avec les organismes chargés de faire respecter la loi. »
Enfin, les compagnies maritimes entendent améliorer le partage des données, tant entre elles qu'avec les autorités, à établir un plan d’action concerté et à reporter tous les semestres. L'Organisation maritime internationale (OMI) est en outre attendue sur ce sujet, notamment pour veiller à l’adoption de normes de sécurité communes.
Adeline Descamps (avec la contribution Myriam Guillemaud-Silenko)