Les pays occidentaux cherchent par tous les moyens à asphyxier l’effort de guerre russe mais force est de constater qu’en dépit des 21 167 sanctions émises, soit bien plus que le nombre de mesures frappant le Venezuela ou l’Iran réunis sur plusieurs années, la Russie maintient son économie sur le pied de guerre.
Lors du Forum économique international de Saint-Pétersbourg, Vladimir Poutine a attribué la croissance du PIB russe de 5,4 % au premier trimestre à ses relations aux pays asiatiques et moyen-orientaux. « La croissance avec la Chine a été de 60 % entre 2020 et 2023, celle avec le Moyen-Orient a été multipliée par deux », a-t-il mentionné.
Après des semaines de tractations pour venir à bout des dernières réticences dont celles de l'Allemagne, ultra dépendante du gaz russe, le 14e paquet de sanctions depuis février 2022, a été approuvé ce 20 juin par les représentants des 27 États membres de l’UE, a annoncé la présidence belge du Conseil européen. Dans le viseur : l’accès aux technologies et les revenus russes tirés de l'énergie.
Le transbordement de GNL russe proscrit
Comme prévu, il ne s'agit pas d'interdire ou de restreindre les importations de GNL mais de proscrire les opérations de transbordement de navire à navire du gaz russe effectuées dans des ports de l'UE en vue de son transfert vers des pays tiers. Cette mesure vise notamment les exportations de gaz russe en provenance de l'Arctique, qui transitent dans les brise-glace par les ports européens – Zeebrugge et Montoir-de-Bretagne notamment – avant d’être acheminé par des méthaniers classiques vers le marché asiatique, en particulier la Chine.
Si le gaz russe a été à plusieurs fois évoqué, il n'a jamais sérieusement été envisagé de le pénaliser, étant beaucoup moins substituable que le pétrole, malgré les appels répétés de la Pologne, des États baltes et des pays nordiques. La Russie a exporté 4 à 6 milliards de mètres cubes de GNL via les ports de l'UE vers des pays tiers en 2023, selon les données de la Commission européenne.
En France, la commission d'enquête sénatoriale transpartisane, qui portait sur un tout autre sujet puisque consacrée aux objectifs énergétiques de la France et à la gouvernance climatique des entreprises, avait moins de pudeur. « L'État devrait imposer l'arrêt dès que possible des importations de GNL russe », peut-on lire dans le rapport publié le 19 juin, sollicitant par ailleurs une « action spécifique » de l'État au capital de TotalEnergies pour y avoir un droit de regard.
Le groupe français, très impliqué dans le GNL et notamment en provenance de l'Arctique, a toujours assumé le maintien de ses importations de GNL russe de façon à pallier le déficit généré par l'arrêt des approvisionnements russes par gazoducs.
Dans la dernière salve de sanctions américaines, présentées le 12 juin, l'administration resserre aussi la vis sur le GNL, épinglant notamment trois projets de GNL que la Russie espère mettre en œuvre à l'avenir : Obsky LNG, Arctic LNG 1 et Arctic LNG 3.
Elle a aussi dans le collimateur « trois entités juridiques impliquées dans la construction de projets liés au gaz naturel ou dans la fabrication d'équipements spécialisés pour le transport du GNL. » Il s'agit de quatre méthaniers construits pour la compagnie maritime publique russe Sovcomflot et de trois autres en construction dans le chantier naval russe Zvezda.
Entraver le financement de l'effort de guerre russe
Le nouveau train européens de mesures entend également interdire les nouveaux investissements et les équipements ou services destinés aux projets de GNL en cours de construction en Russie.
Bruxelles serre aussi l'étau sur des produits à usage civil occidentaux, susceptibles d’être détournés à des fins militaires (équipements électroniques, de communication, semi-conducteurs, circuits imprimés, diodes, etc.), que la Russie parvient à se procurer via des plateformes de réexportation installés dans des pays voisins.
D’après un rapport publié en janvier le groupe d'experts ukraino-américain Yermak-McFaul, « les importations de produits de guerre se sont rapprochées de leurs niveaux d'avant les sanctions sur la période de janvier à octobre 2023, à 932 M$ par mois, soit une baisse de seulement 10 % ».
Dans le même temps, des données diffusées par l'IESEG School of Management indiquent que les exportations européennes de 50 produits dits stratégiques ont chuté de 95 % vers la Russie sur la période octobre 2022-septembre 2023 par rapport à la même période deux ans plus tôt, mais triplé vers le Kazakhstan, quadruplé vers l'Arménie, et multipliés par 18 vers le Kirgizistan.
Les réexportations en cause
Fin mai, en France, les douanes ont épinglé une entreprise francilienne accusée de servir de plaque tournante à des exportateurs européens vers la Russie. Elle masquait la destination finale des marchandises en produisant de faux documents et en les dédouanant dans le pays alors qu'elles n'y passaient jamais ou rarement, et qu'elles quittaient l'UE par d'autres États membres.
Au Royaume-Uni, l'Office of Financial Sanctions Implementation a pratiquement triplé ses effectifs pour surveiller l'application de la législation et a précisément dans le collimateur ces pratiques de camouflage (souvent via des opérations et montages très sophistiquées) par l'intermédiaire de pays tiers, que ce soit via des filiales, des sous-traitants ou d'autres acteurs.
Les États-Unis visent aussi l'accès de la Russie aux technologies, équipements, logiciels et services informatiques étrangers, servant le « complexe militaro-industriel russe », que Washington accuse d'être soutenu par les exportations chinoises.
Les 300 entités contenues dans la nouvelle liste américaine concernent des sociétés établies en Chine, en Turquie ou encore aux Émirats arabes unis. Il s'agit « des voies d'approvisionnement restantes par lesquelles la Russie se procure des matériaux et des équipements à l'international », a déclaré la secrétaire au Trésor Janet Yellen.
Les transactions financières à nouveau
Les nouvelles sanctions européennes visent par ailleurs le SPFS, alternative développée par le Kremlin pour pallier son exclusion du système financier international interbancaire SWIFT.
Washington veut aussi rendre plus difficiles les transactions financières. Ainsi, la Bourse de Moscou (et plusieurs filiales) se retrouve mise à l’index. Cette dernière a annoncé qu'elle allait suspendre les transactions en euros et en dollars sur son marché des changes.
Jusqu'alors, les banques étrangères peuvent être sanctionnées pour leur soutien à l'industrie russe de la défense. Cette fois, le Trésor étend la portée de ce régime à toutes les personnes et entités russes déjà frappées par les sanctions américaines.
C'est dire que les institutions financières étrangères pourraient être sanctionnées si elles effectuaient des transactions impliquant toute personne sanctionnée ou des banques russes visées comme VTB ou Sberbank. La liste des cibles passe ainsi de plus de 1 000 à environ 4 500.
Les sanctions pleuvent depuis deux ans mais la même question demeure : combien en faudra-t-il pour que l'arsenal financier dirigé vers Moscou lui fasse ployer l'échine ?
Adeline Descamps
L'étau se resserre aussi sur la flotte clandestine russe
»À nouveau, comme à chaque train de mesures quasiment, la flotte clandestine de pétroliers russes se retrouvent à l’agenda européen. La flotte de pétroliers dits sombres, suivie par BRS, a augmenté de 17 % cette année pour atteindre 787 unités, ce qui équivaut à 8,5 % de la capacité totale des tankers et à 93,7 millions de tpl, ce qui représente 13,7 % du tonnage total des pétroliers, a indiqué le courtier dans sa dernière actualisation.
Selon Bloomberg, les transporteurs russes de pétrole sanctionné ont trouvé un nouvel sanctuaire en Méditerranée pour effectuer des transferts de navire à navire, après avoir été délogés du golfe de Laconie en Grèce le mois sous la pression des efforts de la marine grecque. Selon l’agence d’informations, les côtes au large de Nador sont devenues le nouveau spot pour transborder le pétrole de l'Oural depuis des petits navires vers de plus grands pétroliers en vue d'une destination long-courrier.
Sur ce sujet, le nouveau paquet européen créé un cadre permettant d'ajouter des navires à la liste des sanctions, tels que les pétroliers qui contournent le plafond des prix du pétrole russe fixé par le groupe des sept nations, ainsi que les navires qui acheminent des munitions nord-coréennes vers la Russie.
Les navires impliqués dans « le transport d'équipements militaires pour la Russie, le transport de céréales ukrainiennes volées et [...] le transport de composants de GNL ou le transbordement de GNL », pourront être ajoutés à la liste. Dans ce cas, 27 navires, pour la plupart des pétroliers, pourraient être concernés.
Passe-passe entre registres
Le Royaume-Uni vient d'émettre ses premières sanctions contre la flotte fantôme, incluant la compagnie d'assurance russe Ingosstrakh, qui s'est imposée comme l'un des principaux souscripteurs pour les pétroliers afin de pallier les principaux marchés de l'assurance au Royaume-Uni et en Europe.
Dans une décision annoncée le 17 juin, l'autorité maritime du Liberia a indiqué qu'elle accordait à ses clients russes un délais de 90 jours ou jusqu'à l'expiration de leur police actuelle pour prendre leurs dispositions. Selon Bloomberg, il s'agit d'une mesure purement symbolique car seuls
trois navires, dont aucun n'est un pétrolier, se trouvent sous le registre libérien. En revanche, il met ainsi la pression sur les autres registres.
Le Liberia et le Panama font partie des registres utilisés historiquement par la Russie, y compris par ceux de la flotte fantôme. Les transporteurs russes, à l'instar de Sovcomflot, jonglent actuellement avec les différents registres pour échapper aux sanctions.
A.D.