La crise en mer Rouge offre aux compagnies maritimes des moyens d'alléger leur facture carbone

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Le déroutement des navires par le cap de Bonne Espérance, route certes plus longue et plus polluante, s'avère une opportunité pour réorganiser les transbordements et s'affranchir d'une partie des coûts liés au marché carbone européen. C'est ce que tend à démontrer une nouvelle étude dirigée par Concordia.

Il ne s'agit pas de la première étude dans ce domaine mais elle intervient après plusieurs mois d'observation et apporte un autre éclairage, à contre-courant de ce qui était jusqu'à présent avancé. Les précédentes analyses se polarisaient surtout sur l'aberration écologique (et économique) qui découle du détournement contraint de la flotte mondiale par le cap de Bonne Espérance pour relier l'Europe à l'Asie afin d'éviter l'instabilité politique et militaire. Une route plus longue, plus coûteuse et plus polluante, que l'itinéraire usuel, court et efficace, via le canal de Suez

Outre les perturbations dans les programmes des navires du fait de l'allongement des distances qui ajoutent dix jours de navigation, les impacts sur les ports (congestion certains hubs clés), les effets sur les taux de fret (flambée), la situation contribue également à l'augmentation des émissions de gaz à effet de serre. À la demande du JMM, la société française Searoutes avait effectué quelques simulations grâce à sa technologie qui permet de déterminer les itinéraires maritimes et terrestres les plus verts.

Fuite de carbone

L'enquête dirigée par Concordia et publiée dans la revue Environmental Research Letters s'est penchée sur ce phénomène pas inconnu appelé « fuite de carbone ». En résumé, les entreprises déplacent leurs activités hors d'une juridiction dotée de politiques strictes en matière d'atténuation du changement climatique afin d'éviter l'augmentation des coûts liés au climat. Appliqué à la mer, contraint par un certain nombre de réglementations européennes récentes, cela prend une autre forme.

Les auteurs y soutiennent que « les entreprises de transport maritime utilisent des points de transbordement dans des ports comme Durban, en Afrique du Sud, et Abidjan, en Côte d'Ivoire, afin d'échapper aux frais de carbone onéreux imposés par la nouvelle réglementation de l'Union européenne ».

Depuis le 1er janvier 2024, le transport maritime a en effet fait son entrée par la grande porte dans le système d'échange de quotas d'émission de l’Union européenne (ETS en anglais, SCEQE en français) dont il avait été jusqu’à présent épargné. Chaque année, un nombre limité de quotas européens (EUA) sera mis à disposition des échanges sur le marché. Les exploitants des navires de commerce et de passagers de plus de 5 000 de jauge brute (GT) devront restituer des quotas équivalents à 40 % de leurs émissions en 2024 puis 70 % en 2025 et 100 % en 2026.

Les quotas d'émission pourront être achetés (1 tonne de CO2 = 1 quota SCEQE) à un prix fixe lors de ventes aux enchères organisées plusieurs fois par an par la Bourse européenne de l'énergie (EEX) au nom de l'UE. Ils peuvent également être commercialisés sur le marché secondaire par l'intermédiaire de courtiers ou de plateformes de négociation en ligne et être échangés sur différentes bourses et sur des marchés de gré à gré. Ces derniers mois, le prix d'une tonne d'émissions de CO2 a oscillé autour de 100 €.

Des économies notables

Afin d'éviter les comportements d’évasion, il a été convenu que les porte-conteneurs escalant dans des ports de transbordement situés en dehors du périmètre mais à moins de 300 milles nautiques (550 km) d'un port de l'UE/EEE seront tenus d’inclure la moitié des émissions jusqu'à ce port, plutôt que de se limiter au trajet (court) depuis le port de transbordement.

Les chercheurs de Concordia tendent à montrer que le passage par le point de l'Afrique apparait comme une aubaine. « Cela leur permet non seulement d'éviter cette zone instable [de la mer Rouge] mais aussi de transférer leur cargaison d'un navire à un autre à destination de l'Europe. Conformément à la réglementation de l'UE, seules les émissions du second trajet seront soumises aux coûts de mise en conformité avec le système d'échange de quotas d'émission ».

Ainsi, un navire quittant Singapour à destination de Rotterdam via le canal de Suez devrait payer une redevance sur 50 % des émissions résultant de son voyage de 12 000 milles nautiques. En revanche, si le même navire en provenance de Singapour arrive à Durban, en Afrique du Sud, et transfère sa cargaison sur un navire à destination de Rotterdam, il ne paiera des crédits que pour un voyage de 7 000 milles nautiques.

« La crise de la mer Rouge offre aux compagnies maritimes davantage d'options pour se déplacer et réorganiser leurs transbordements afin d'éviter les coûts liés au carbone », résume He Peng, doctorant en ingénierie environnementale à la Gina Cody School of Engineering and Computer Science et coauteur de l'étude. Cette dernière identifie deux voies royales pour échapper aux réglementations.

Adeline Descamps

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