Ces dernières heures, les ultimes « réglages » étaient détaillés par le menu, l’heure de l’annonce devenu un enjeu et objet d’un éventuel affront au jour de deuil national pour Mayotte après le passage dévastateur du cyclone Chido et les allées et venues rue de Varenne racontées avec d’infimes précautions, les médias en mode agitation permanente. Dix jours après sa nomination, qui avait déjà généré intenses tractations entre le chef de l’État et le futur locataire de Matignon, et une semaine après avoir démarré les consultations avec des chefs de parti, François Bayrou, quatrième Premier ministre en un an, a présenté la composition de son gouvernement qu’il voulait compact et « d'intérêt général » selon l’ordre de mission présidentiel.
Apôtre de l'œcuménisme, y compris en politique, il entendait que son aréopage comprenne des personnalités de poids, de gauche comme de droite et du centre, afin de gravir avec lui « cet Himalaya de défis » (notamment budgétaires) qu'il a évoqué lors de sa prise de fonctions. Mais aussi, en roué de la politique, pour avoir suffisamment de poids lourds dans son camp pour peser sans avoir à attendre un accord formel entre les chefs de parti afin de ne pas subir le même sort que son prédécesseur, renversé le 4 décembre par une censure inédite depuis 1962.
Par rapport au Savoyard Michel Barnier, pourtant expert négociateur du Brexit, le Pyrénéen François Bayrou peut s’appuyer sur un « accord de coopération démocratique », selon sa formule. Le gouvernement s'engagerait à ne pas recourir au 49.3 pour imposer ses lois et les oppositions (hors Rassemblement national et La France insoumise qui ne faisaient pas partie du deal) à ne pas le censurer.
Deux défections avant l'heure
Avant que ne soit annoncée la composition du futur gouvernement, le chef des députés Les Républicains et présidentiable 2027, Laurent Wauquiez, avait fait savoir qu'il ne ferait pas partie du nouvel exécutif parce que les conditions n'étaient pas réunies pour qu'il prenne le portefeuille du ministère des Finances.
Xavier Bertrand, qui devait hériter de la Justice, a pour sa part jeté l'éponge à peine quelques heures avant l'annonce fatidique, se refusant à intégrer une équipe composée « avec l'aval de Marine Le Pen » pour laquelle il est lui-même un irritant.
Quatre ministères régaliens, dix ministères de plein droit
In fine, le président du MoDem a présenté un gouvernement composé de quatre ministres d’État, de dix ministres de plein droit, et vingt-et-un avec des charges déléguées. Soit 35 personnalités contre 39 dans le gouvernement Barnier, dont 18 femmes et 17 hommes. Dix-neuf d'entre eux sont reconduits, certains aux mêmes fonctions, parmi lesquels le proche du président, Sébastien Lecornu (Défense), qui avait été pressenti un temps pour le poste de premier Ministre, le centriste Jean-Noël Barrot (Affaires étrangères), qui voulait absolument conserver le quai d’Orsay, Annie Genevard (Agriculture) ou encore Rachida Dati (Culture). Des ministres sortants changent par ailleurs de portefeuille, comme Catherine Vautrin, qui retrouve un grand ministère de la Santé et du Travail, et Laurent Saint-Martin, qui doit céder les Comptes publics à la macroniste Amélie de Montchalin sur le retour, et endosse le Commerce extérieur.
Un tandem Intérieur-Justice à droite
Le nouveau gouvernement n'a donc rien de resserré mais a fait appel à des notoriétés. Parmi les quatre éléphants pour les ministères régaliens, plusieurs revenants. Élisabeth Borne, deuxième femme (de dossiers) à avoir accédé à Matignon en 2022 depuis Édith Cresson, mais qui n’aura pas survécu à deux projets de loi abrasifs (retraites et immigration), accède à l'Éducation nationale. L'ex-ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin, qui n’avait pas digéré d’en être expulsé il y a trois mois et avait fait acte de candidature pour le Quai d'Orsay, écope de la Justice. La place Beauvau, son ancienne adresse, a été préemptée par le très droitier Bruno Retailleau, pourtant ligne rouge pour la gauche mais dont les Républicains avait fait un enjeu de leur blanc-seing. C’est donc un tandem Intérieur-Justice à droite toute.
L'outre-Mer dans un ministère régalien
Mais la surprise vient de Manuel Valls, ex-Premier ministre (2014-2016) sous François Hollande, parti tenter sa chance de l’autre côté des Pyrénées, à la mairie de Barcelone, sa ville natale, après l’échec de ses ambitions présidentielles en 2017. Il avait mis fin à son exil politique en 2021 lorsqu’il avait officialisé sa démission de son poste de conseiller municipal à Barcelone qu’il assumait depuis deux ans alors.
C'est aussi un geste politique fort de la part de François Bayrou que d'offrir à l’Outre-Mer traversée par des crises un ministère régalien. Outre une situation d’extrême urgence à Mayotte et en Nouvelle-Calédonie (une dizaine de personnes décédées dans les violences depuis mai), la cherté de la vie provoque des mouvements sociaux en Martinique et en Guadeloupe. La thématique était sortie dans le précédent gouvernement des griffes de l’Intérieur où elle était confinée depuis le début du second quinquennat Macron en 2022. Manuel Valls succède à François-Noël Buffet à la tête de ce portefeuille ultrasensible. Le Rhodanien, président LR (composante Fillon) de la commission des Lois du Sénat, où il siège depuis 2004, reçoit pour sa part la délégation du Travail, Santé, Solidarité et Familles auprès du ministre de l'Intérieur (sic !).
Parmi les nouveaux entrants : Éric Lombard, directeur général de la Caisse des dépôts, à l'Économie, et l'ancien ministre socialiste de François Hollande, François Rebsamen (73 ans), qui avait annoncé dans La Tribune de l’édition de ce dimanche être « prêt » à rejoindre le gouvernement, arguant de sa « relation de confiance de longue date avec François Bayrou ». Il lui est confié l’Aménagement du territoire et la Décentralisation.
In fine, les seules cautions de gauche restent Élisabeth Borne, Manuel Valls François Rebsamen et Juliette Méadel. Sans surprise, aucun ressortissant de l'alliance de gauche Nouveau Front populaire (NFP) qui avait fermé la porte d'emblée.
La Mer logée à la même enseigne que la biodiversité et la forêt
La Mer est rattachée à un vaste ministère Transition écologique attribué à Agnès Pannier-Runacher. La ministre à la plus longue longévité sous la présidence Macron (octobre 2018), conserve les prérogatives du gouvernement Barnier, mais avec cette fois la « biodiversité », la « forêt » et la « pêche ». Et non plus « l'énergie » (rattachée à l'industrie, cf. plus bas), le « climat » et la « prévention des risques ».
Précédé d’une réputation de connaisseur des enjeux du secteur dans sa large acceptation, Fabrice Loher, maire UDI de Lorient (Union de la droite, du centre et des indépendant), n’a donc pas été reconduit à son portefeuille Mer et Pêche. Le duo était traité, sous son éphémère mandature, dans un ministère délégué au sein d’un vaste ministère à l’intitulé abscons « Partenariat avec les territoires et de la décentralisation ».
La filière maritime récupère donc un accès direct à un ministère mais qu’elle doit partager avec d’autres prérogatives. C’est toutefois mieux qu’un ministère délégué ou un secrétariat d'État comme l’avaient décidé Gabriel Attal et son prédécesseur, Élisabeth Borne. Le gouvernement de Jean Castex, qui avait institué un ministère de la Mer, restera donc une exception de la présidence Macron et peut-être de la Ve république. La thématique continue de naviguer et n'aura cessé d’être diluée dans des portefeuilles aux attributions multiples, tantôt le transport et le tourisme, tantôt le développement durable, voire la pêche, l'urbanisme et le logement...
Les transports rattachés au Partenariat avec les territoires
Depuis 2007, les Transports, dont les dénominations ont varié, renvoient plus au moins au prisme écologique. Ils en sont sortis par la volonté de Michel Barnier et sous François Bayrou, ils sont désormais placés sous la tutelle du ministère du Partenariat avec les territoires et de la Décentralisation. La dénomination a été conservée mais dont le périmètre a été revisité et alloué à Catherine Vautrin.
Après le passage ajourné par des élections anticipées de Patrice Vergiete, ancien maire de Dunkerque et président de la communauté urbaine, et du LR François Durovray saisi par la motion de censure, la délégation revient au sénateur cannois LR Philippe Tabarot, frère de Michèle Tabarot, députée LR des Alpes-Maritimes, tous deux enfants d’un ancien militant de l'Algérie française. Il a notamment été le rapporteur d’une proposition de loi visant à limiter le droit de grève pendant certaines périodes comme les vacances scolaires ou les jours fériés. Adoptée au Sénat en avril contre l'avis du gouvernement, elle n'a pas dépassé le stade de l’examen en commission à l’Assemblée nationale. En tant que vice-président de la Région Sud aux côtés de Renaud Muselier, où il était chargé des transports, de l'intermodalité et de la sécurité, il a géré le dossier de la privatisation de la ligne TER entre Marseille et Nice, dont l’exploitation avait été confiée en 2021 au groupe privé Transdev. Une grande première en France.
Tout en saluant le nouveau promu, l’Union des entreprises de transport et de logistique de France (TLF) a rappelé que « La France a besoin d'une filière transport et logistique forte pour relever les défis du plein-emploi, de la réindustrialisation et de la transition écologique. L'heure n'est plus aux demi-mesures ».
Et maintenant ?
L'horloge tourne à plein régime. Il s’agit pour le nouveau gouvernement de donner une réponse à la situation budgétaire alors que l'adoption d'une loi de finances pour 2025 est toujours en jachère dans une Assemblée fracturée en trois blocs. François Bayrou a indiqué, il y a quelques jours dans une allocution télévisée, qu'il espérait l'adoption d'un budget « à la mi-février », tout en précisant qu'il repartirait de « la copie qui a été votée » au Parlement avant la censure du gouvernement Barnier.
En attendant, une loi spéciale, – un texte de loi exceptionnellement peu bavard (trois articles) –, doit éviter la paralysie de l'État sur les dépenses essentielles. Le président de la commission des Finances de l’Assemblée a plaidé pour des mini budgets en janvier sur des mesures consensuelles. Éric Coquerel (LFI) a suggéré d’adopter dès la semaine du 13 janvier des textes soutenus par le gouvernement pour sécuriser des mesures « largement adoptées dans les deux chambres ».
Quant au déficit public, Matignon a plaidé en cette veille de Noël pour un retour de l'objectif de déficit public « autour » de 5 % ou « un peu plus » en 2025. Le Premier ministre, qui n’a jamais cru que « c'était dans la fiscalité que se trouvait la réponse à tous les problèmes du pays », a indiqué aujourd’hui n'avoir « jamais aimé la mise en accusation des grands groupes : les grands groupes, les PME et les toutes petites entreprises, c'est une seule économie ». Pour autant, il n'a pas manifesté le moindre bâbord-tribord concernant les hausses d'impôts ciblées figurant dans le projet de loi de Finances pour 2025 préparé par le gouvernement Barnier.
La filière maritime attend, elle, d'être fixée sur son sort. Le PLF2025 contenait des mesures loin d'être neutres pour les conditions d'exploitation des armateurs notamment mais pas que...
Adeline Descamps