Dès l’ouverture du G7 Finances, qui s'est tenu du 23 au 25 mai, une certaine convergence semblait se dessiner à Stresa sur les rives du Lac Majeur quant à l'utilisation des intérêts générés par les actifs russes gelés dans le cadre des sanctions frappant le pays de Vladimir Poutine.
Trouver le mécanisme qui permettrait de drainer vers l’Ukraine les 300 Md€ d’actifs de la Banque centrale de Russie gelés par le G7 et l'Europe n’est pas une mince affaire compte tenu du droit international et des systèmes juridiques respectifs. D'une part, le principe de « l'immunité d'exécution » empêche la saisie des biens d'un État par un autre. Par ailleurs, le droit à la propriété privée bloque en théorie la confiscation définitive des biens détenus par des personnes.
La destination fait aussi consensus et le ministre ukrainien des Finances Serhii Martchenko, présent à Stresa, n’est pas entré par effraction. Le trésor de guerre pourrait contribuer à financer l'effort de défense de l'Ukraine et ensuite à reconstruire le pays. Sachant que la Banque mondiale évalue à plus de 486 Md$ le coût du pays dévasté par deux années de guerre.
La réunion des grands argentiers des États-Unis, du Japon, du Canada, de la Grande-Bretagne, de la France, de l’Italie et de l'Allemagne devait établir les bases de l'accord politique que d'aucuns espèrent voir aboutir en juin entre les chefs d'État et de gouvernement, attendu à l'occasion du G7 dans les Pouilles, également en Italie.
À la clôture du G7 Finances, les ministres européens des Finances estimaient être parvenus à une « prise de position politique » solide. « Des progrès ont été accomplis », a commenté le ministre italien de l'Économie Giancarlo Giorgetti, l'hôte de la réunion, sans nier « que subsistaient des problématiques importantes de caractère technique et juridique » à résoudre avant les Pouilles.
Rien de concret
Au-delà, à la lecture de la déclaration finale, il n’est rien sorti de concret quant à un montant ou au mécanisme qui permettrait de lever l’argent au profit de l’Ukraine.
Les États-Unis ont mis dernièrement la pression sur les pays du G7 pour qu'ils se rallient à leur proposition de prêt d'un montant de 50 Md$, garanti par les futurs intérêts générés par les actifs russes immobilisés. C'est une évolution, l’administration de Joe Biden prônant encore il y a peu de temps une confiscation pure et simple des avoirs russes.
Mais les détails de cette soumission doivent encore être étayés. Parmi les inconnues persistantes, l'émetteur de la dette (les États-Unis seuls ou les pays du G7), le partage des risques et l’évolution des taux d'intérêt.
Les pays de l'UE ont confirmé de leur côté un accord pour utiliser les intérêts gelés au sein de l'espace européen afin d'armer l'Ukraine. Il pourrait ainsi être dégagé entre 2,5 et 3 Md€ par an.
Selon la loi du talion, le président russe Vladimir Poutine a de son côté signé un décret autorisant la confiscation en Russie d'actifs appartenant aux États-Unis ou aux personnes leur étant affiliées.
Une idée séduisante
Si l’idée de confisquer « le pactole russe est séduisante » au premier abord, selon les termes de Frédéric Dopagne, professeur à la faculté de droit de l'UCLouvain, cité par l’AFP, l’application s’avère épineuse et divise les experts en droit et en géopolitique depuis quelques mois.
Elle est aussi complexe du point de vue du droit. La réaffectation d'avoirs bloqués à un État victime « n'a jamais été utilisée », précise aussi l'expert.
Certains juristes estiment qu'elle pourrait entrer dans le cadre de la « réponse proportionnée » aux conséquences de l'invasion russe sur l'économie mondiale.
Les experts mentionnent à ce titre deux cas similaires. Le Koweït a pu bénéficier de l'argent irakien en réparation après l'invasion du pays en 1990. Mais l'ONU était impliquée. Plus récemment, le Trésor américain a gelé des avoirs de la banque centrale d'Afghanistan après le retour au pouvoir des talibans mais l'objectif était de redistribuer auprès du peuple afghan.
L’affaire, qui consiste tout de même à s’approprier des avoirs publics d’un autre pays, n'est pas sans conséquences dans la mesure où il créerait un précédent juridique. Ce dernier pourrait par exemple dissuader à l'avenirndes investissements étrangers de pays tiers par crainte de se voir déposséder de leurs actifs, alerte de son côté Nicolas Véron, chercheur au centre de réflexion américain Peterson Institute, interrogé par l'AFP.
Retour aux sanctions
Les ministres des Finances se sont montrés par ailleurs déterminés à accroître les sanctions financières et économiques contre la Russie alors qu’ils en sont au 5e ou 6e paquet destiné à saper les revenus énergétiques de la Russie. Ils se disent « prêts à imposer des sanctions aux personnes et aux entités qui aident la Russie à acquérir des matériaux, des technologies et des équipements avancés pour sa base militaro-industrielle »
Le dernier arsenal punitif visait à renforcer et corriger le dispositif de plafonnement du baril russe, à l’équilibre acrobatique car il s’agit de priver la Russie d’une partie de ses ressources pétrolières sans assécher les marchés internationaux pour ne pas provoquer un choc sur les prix.
L'Union européenne, qui en est, elle, à son 13e train de mesures contre la Russie, prépare désormais un mécanisme visant à interdire le transfert du GNL via l'UE en direction de pays tiers. Le texte européen en discussion pourrait par ailleurs étendre la liste noire de l'UE à davantage d'entités chinoises accusées de fournir des technologies militaires à la Russie. Les États-Unis viennent de mettre à l'index pas moins de 200 entités commerciales et personnes physiques, principalement chinoises accusées de fournir des composants clés au secteur militaro-industriel.
Enfin, les tensions commerciales avec la Chine conduisent le G7 à « envisager des mesures » (cf. plus bas) face aux « surcapacités » de la seconde puissance économique mondiale dont les produits subventionnés à bas prix inondent le monde.
Adeline Descamps
Vent debout contre les produits subventionnés par la Chine
Dans leur déclaration finale publiée à l'issue de leur réunion de trois jours, les ministres des Finances ont aussi affiché un front uni pour dénoncer « les pratiques hors marché » de la Chine qu'ils estiment être à la source des « déséquilibres macroéconomiques ».
Les pays occidentaux s'inquiètent notamment du risque que font peser les subventions massives injectées par le gouvernement chinois dans certaines technologies, notamment liées à la transition environnementale, pour les concurrents étrangers dans ces secteurs, en inondant les marchés en produits chinois à bas coûts.
Washington a déjà pris des mesures, en annonçant à la mi-mai une augmentation des droits de douane jusqu'à 100 % pour certains produits, appliqués à l'équivalent de 18 Md$ de produits chinois, en particulier les véhicules et batteries électriques et les métaux critiques.
Après l'automobile, le ferroviaire et les panneaux solaires, Bruxelles a ouvert de son côté une enquête pour pratique déloyale visant les fabricants d'éoliennes subventionnés par Pékin, qui pourrait aboutir à des sanctions douanières.
A.D.