88Le gouvernement britannique a annoncé le 25 novembre une nouvelle vague de sanctions à l'encontre de 30 navires de ladite flotte fantôme portant sa liste à désormais 73 unités, « soit plus que tout autre pays », indique le Foreign Office, soulignant que les États-Unis en ont mis à l’index 39 et l'Union européenne, 19. La moitié des navires frappés par la dernière décision ont transporté pour plus de 4,3 Md$ de pétrole et de produits pétroliers au cours de l'année écoulée, indique le communiqué.
L'annonce a été faite alors que le ministre des Affaires étrangères entendait profiter de la réunion des ministres des Affaires étrangères du G7 en Italie pour inciter les autres pays à maintenir la pression sur la machine de guerre russe. « Les sanctions britanniques portent leurs fruits, a assuré le ministre des affaires étrangères, David Lammy. La Russie dépend de plus en plus d'États comme la Corée du Nord et l'Iran pour son matériel militaire, et a même été contrainte d'envoyer des troupes nord-coréennes pour soutenir l'invasion illégale. »
Assurance douteuse
Selon le mécanisme de signalement des assurances du ministère des Transports du pays, plus de 43 navires à l'assurance douteuse « ont été invités » à fournir leurs coordonnées lors de leur passage dans les eaux britanniques. Certains d’entre eux (Ksena, Alfastrakhovanie, VSK, Artemis ou encore le Sea Fidelity) se retrouvent d'ailleurs dans la liste noire de Londres.
Le Foreign office rappelle que 46 pays et l'Union européenne ont signé l'appel à agir contre la « flotte fantôme », lancé par Londres en juillet au sommet de la Communauté politique européenne (CPE). Le parlement européen vient de son côté d’adopter un projet de résolution appelant les 27 États membres de l'UE à renforcer les inspections et les contrôles à l'aide de drones et de satellites, de sanctionner tout navire naviguant dans les eaux européennes sans être dûment assuré, d’interdire tout STS dans les eaux européennes.
Contournement et dissimulation
Si la flotte clandestine œuvre depuis des années pour le transport de pétrole sous sanction – le brut iranien ou vénézuelien –, celle opérant pour les intérêts russes se distingue par son ampleur (586 navires) et sa sophistication pour dissimuler l’origine.
Lorsque le G7 a imposé un plafonnement des prix des services de transport maritime pour le pétrole russe en décembre 2022 a émergé un bataillon de navires clandestins, souvent de vieux pétroliers acquis sur le marché de l'occasion, détenus et exploités par des sociétés à la structure de propriété opaque, assurés et enregistrés en dehors des cercles classiques et reconnus (sociétés non agréées par l'association internationale des sociétés de classification, IACS, ou ne relevant pas du groupe des 12 P&I mondiaux) et dont le pavillon est classé dans des listes grise ou noire du MoU de Paris.
Une flotte d'ampleur
La dark fleet « russe » distingue par son ampleur (586 navires) et sa sophistication pour dissimuler l’origine – transferts de navire en navire en haute-mer (STS), au cours desquels le brut est souvent mélangé, désactivation des transpondeurs du système d'identification automatique (AIS) – et la destination (Inde et Chine notamment, où le pétrole est raffiné et réexporté vers l'Europe).
Les ventes de brut de l'Oural à l'étranger ont fait grimper les recettes fiscales du gouvernement à un niveau record de 320 Md$ en 2023. Le gouvernement fédéral russe prévoit que les recettes atteindront un autre record historique de 390M Md$ en 2024.
S&P Global Commodities at Sea recense 889 pétroliers de plus de 27 000 tpl susceptibles d'avoir été employés pour transporter le pétrole sanctionné. Avec une capacité consolidée de 111,6 Mtpl, la flotte fantôme représenterait environ 17 % de la flotte mondiale de pétroliers. Celle contrôlée par des intérêts russes (57,2 Mtpl) loin devant, en unités et en capacité, l’Iran avec ses 155 navires (35,7 Mtpl) et le Venezuela (113 unités, 14,1 Mtpl).
Adeline Descamps