Avec l’adhésion du Pakistan, la Convention de Hong Kong, qui encadre strictement le recyclage des navires, compte désormais dans ses rang les trois premiers pays mondiaux en termes de déconstruction de navires, après l’Inde, qui a adhéré en novembre 2019 et le Bangladesh en juin dernier, première destination mondiale des navires en fin de vie, dont la ratification permet d'envisager l'entrée en vigueur du traité international en juin 2025, seize ans après son adoption par l'OMI,
L’Inde et ses chantiers (Alang, Sosiya, Gujarat et leurs 60 000 emplois), le Bangladesh (Shitakund, Chattogram ; 40 000 emplois) et le Pakistan (Gadani, Baluchistan ; 20 000 emplois) représentent 79 % du marché mondial de la déconstruction (en port en lourd).
Entre janvier et septembre, selon Shipbreaking platform, l’ONG référente pour tout ce qui est relatif au démantèlement des navires dans le monde, 115 navires ont été envoyés à la casse, dont 54 au Bangladesh, 29 en Inde et 5 au Pakistan.
En 2022, le Pakistan a représenté 16,9 % de la totalité des navires démantelés dans le monde, contre 37,2 % pour le Bangladesh et 32,3 % pour l’Inde, indique la Cnuced dans sa bible du shipping, la Review of maritime transport, dont la version 2023 a été publiée en octobre.
Indisponibilité momentanée pour raisons politiques
Le Pakistan est toutefois hors-jeu du marché depuis plusieurs mois en raison de prix non compétitifs et de perspectives financières et politiques précaires, avait indiqué avant l'été GMS, le premier acheteur au comptant de navires pour la ferraille.
Le Pakistan était en effet au bord du défaut de paiement, avant que le Fonds monétaire international lui accorde 3 Md$ cet été dans le cadre d’un plan de sauvetage, dont il vient de débloquer les premiers 700 M$. Ce plan était conditionné à la fin des subventions sur les carburants et l’électricité et à l’aide financière de « pays amis ». En juin, le pays du sous-continent indien a obtenu une aide d’un milliard de dollars des Émirats arabes unis qui faisait suite aux 2 Md$ apportés par l’Arabie saoudite.
Le pays est confronté à une dette extérieure très élevée, alors que plusieurs mois de chaos politique ont fait fuir l’investissement étranger. L’inflation s’est envolée (+ 27,4 % en août), sa monnaie a plongé (300 roupies pour un dollar) et le cinquième pays le plus peuplé du monde a dû restreindre ses importations, faute de pouvoir payer, entraînant une chute de la production industrielle.
Problématique définitivement réglée ?
En juin dernier, le traité international, qui doit offrir la garantie que les navires sont démantelés dans des conditions respectant des critères sociaux et environnementaux stricts, a enregistré une très grande avancée avec l'adhésion du Bangladesh et du Libéria, alors deuxième plus grand registre de navires au monde.
Ouvert à la signature le 1er septembre 2009, la convention internationale de Hong Kong, rédigée sous l'égide de l'OMI, d’ONG, de l'Organisation internationale du travail (OIT) et des parties prenantes de la Convention de Bâle, n'a jamais pu être ratifiée jusqu'à présent, faute du quorum fixé atteint (15 États représentant au moins 40 % de la flotte mondiale de navires de commerce et 3 % du tonnage de recyclage des dix années précédentes).
Les pratiques en Asie du Sud, notamment la méthode controversée dite d’échouage, et le peu de considération portée aux conditions de travail et aux normes environnementales sont dans le collimateur des ONG depuis des années.
L’entrée en vigueur de la convention, avec la perspective que ces chantiers controversés s'inscrivent dans des standards internationaux, est vécue comme un soulagement par les organisations professionnelles représentant les armateurs.
Ils militent précisément pour que leurs membres puissent continuer à démanteler en Asie où la ferraille se vend à des prix plus élevés qu’en Occident, alors que le règlement de l'Union européenne sur le recyclage des navires (EU SRR) impose que les exploitants de navires battant pavillon d’un État membre s'adressent à un site agrée par l’UE. Or, la liste ne compte pas de chantiers asiatiques.
Pour contourner les réglementations, plus de la moitié des navires vendus à l'Asie du Sud en 2022 auraient ainsi changé de pavillon pour adopter des registres moins regardants, quelques semaines seulement avant de rejoindre les plages d'échouage, souvent avec la complicité d'acheteurs au comptant, soutient l’ONG Shipbreaking.
Envoi massif à la casse ?
Le marché du démantèlement attend une arrivée massive de navires, beaucoup d'entre eux étant poussés vers la porte de sortie en raison des normes réglementaires de plus en plus exigeantes face à l'urgence climatique.
« Au cours des dix prochaines années, de 2023 à 2032, plus de 15 000 navires d'un port en lourd de plus de 600 Mtpl devraient être recyclés, soit plus du double de la quantité recyclée au cours des dix années précédentes », assure Niels Rasmussen, analyste en chef du transport maritime au Bimco.
« L'importance croissante accordée à l’économie circulaire et l’urgence à réduire les émissions de carbone offrent des opportunités pour transformer le secteur, estime Ingvild Jenssen, fondatrice de l'ONG Shipbreaking Platform. Des politiques favorisent déjà l'accès à la ferraille pour la production d'acier vert. Des solutions propres sont disponibles et des innovations permettent aussi de rendre le recyclage durable des navires plus rentable ». La militante appelle les propriétaires de navires, « en particulier les grandes compagnies de porte-conteneurs qui auront de nombreux navires à démolir en 2023, à soutenir la transition des chantiers d'échouage ».
Pour la Cnuced, le marché du recyclage des navires devrait devenir plus volatile, sous l'influence des réglementations EEXI (indice de construction des navires) et CII (indice d’intensité énergétique) de l'OMI et de leur impact sur la dynamique du marché. « Certains armateurs pourraient reporter le recyclage du tonnage ou l'investissement dans la modernisation du tonnage jusqu'en 2026, date à laquelle les indicateurs seront révisés ».
Atonie du marché du recyclage
En attendant, les volumes de recyclage restent faibles, confirme GMS.
Au début de l'année 2023, la moyenne d’âge de la flotte mondiale a atteint les 22,2 ans, soit deux ans de plus en 2023 que dix ans auparavant tandis que les navires de plus de 15 ans représentent désormais la moitié du bataillon mondial, explique la Cnuced.
Le profil d'âge de la flotte reflète en partie une activité de recyclage modeste, les armateurs conservant le vieux tonnage dans la perspective d’une reprise. Les retards d'investissement dans le renouvellement de la flotte traduisent en outre l'attentisme des exploitants de navires, faute de clarté sur les technologies qui permettront de respecter les normes réglementaires, pas encore totalement assimilées.
Autre facteur expliquant l’atonie du marché du recyclage : l’essor de la flotte clandestine en vue de transporter le brut russe sanctionné, ce qui a stimulé les transactions de pétroliers anciens. De nouvelles entités propriétaires de navires, telles que la Chine, les Émirats arabes unis et l'Inde, sont apparues, dans le but de profiter des primes élevées associées à ces activités dites obscures.
In fine, en 2022, 7,5 millions de tonnes brutes, soit moins de 0,5 % de la flotte active totale, ont été envoyées au recyclage malgré des règles environnementales plus strictes et la hausse des coûts de l'acier.
Les pétroliers ont constitué la majeure partie du tonnage vendu à la casse (36 %), devant les vraquiers (31 % du recyclage) tandis que le recyclage des méthaniers et les porte-conteneurs s’est limité à 2 et 3 %.
Adeline Descamps
Les chantiers en capacités
Selon la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED), l'âge moyen de la flotte mondiale au début de l'année 2023 était de 22,2 ans. La durée de vie d'un navire typique est d'environ 25 ans. En moyenne, environ 600 à 800 navires arrivent en fin de vie chaque année dans le monde. La question de la capacité des chantiers de démantèlement se pose donc, selon les experts.
En matière de recyclage des navires, l'Inde occupe la première place avec 131 chantiers navals opérationnels (153 enregistrés), représentant une capacité de 7 millions de tonnes brutes (GT), soit environ 4,5 millions de tonnes de déplacement léger (LDT) par an. Cette capacité est principalement concentrée à Alang, dans le Gujarat, qui peut accueillir plus de 400 navires par an. L'Inde a adhéré à la Convention de Hong Kong pour le recyclage sûr et écologiquement rationnel des navires (HKC). 90 % de ses chantiers seraient conformes à ces normes.
Le Bangladesh, avec 60 chantiers principalement situés dans la région de Chittagong, est capable de traiter 6,8 millions de GT. Quatre chantiers navals au Bangladesh seraient conformes aux normes HKC, le pays ayant adhéré très récemment à la Convention, et plusieurs autres sont en cours de préparation.
Le Pakistan, avec 40 chantiers, gère une capacité de 3,7 millions de GT. La plupart de ces chantiers se trouvent à Gadani, qui est historiquement l'un des plus grands sites de recyclage de navires au monde.
Si le sous-continent indien est une plaque tournante, la Turquie s'est positionnée sur ce marché, avec 28 chantiers navals, situés à Aliaga, totalisant une capacité de 2,5 millions de GT.
En Europe, 48 chantiers sont récensés d'une capacité collective de 2,94 millions de GT.
L'ensemble de ces données ont été fournies par GMS.
A.D.
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