L’offre publique d’achat amicale exercée par MSC sur le premier opérateur allemand Hamburger Hafen und Logistik AG (HHLA) provoque des remous dans la ville très bourgeoise d'Hambourg. Les divergences s'expriment à fois dans la communauté d’intérêts politiques et économiques.
Si l’OPA est approuvée par le Parlement de la ville hanséatique, la holding de MSC détenue par la famille Aponte deviendrait, par l'intermédiaire d'un véhicule d'investissement créé ad hoc, actionnaire à 49 % de l'opérateur portuaire allemand, aux côtés de la ville-État de Hambourg (51 %) qui détient actuellement 69 % du capital.
L’offre de MSC vise toutes les actions flottantes de HHLA (soit 31 %) et propose 16,75 € par action, représentant une prime de 57 %. Ce qui pourrait porter la transaction à près de 1,3 Md€.
HHLA, dont la valorisation boursière s’élève à 835 M€ à la cote actuelle de l’action, gère trois des quatre terminaux à conteneurs dans le troisième port nord-européen. Les Container Terminal Altenwerder (CTA, avec Hapag-Lloyd à 25,1 % depuis 2002, cf. plus loin), Container Terminal Burchardkai (CTB, à 100 %) et Container Terminal Tollerort (CTT avec Cosco depuis peu à 24,9 % depuis 2022, cf. plus loin) ont manutentionné 6,07 MEVP en 2022 (- 4,1 % par rapport à 2021) et 2,76 MEVP au cours du premier semestre (- 12,7 % par rapport à la même période en 2022).
Lire sur les intérêts en présence et les impacts de l'opération : MSC bien engagé pour devenir actionnaire du plus grand manutentionnaire allemand
Klaus-Michael Kühne : « un affront à Hapag-Lloyd »
Le premier à réagir promptement fut Klaus-Michael Kühne, actionnaire du commissionnaire Kuehne+Nagel, qui le jour même de la signature du contrat, estimait dans le Frankfurter Allgemeine Zeitung et le Hamburger Abendblatt que le protocole d’accord entre l'entreprise suisse et l’opérateur allemand était « un affront à Hapag-Lloyd », plus grand client du port de Hambourg et dont il est aussi partie prenante à hauteur de 30 % via sa holding Kühne.
L'homme d'affaires suisse de 86 ans, dont le verbe sans fard et sans filtre a toutes les chances d’être repris dans les médias, a indiqué avoir proposé à deux reprises d'acheter la participation de 69 % détenue par la ville de Hambourg.
Si Hapag-Lloyd ne fait pas une contre-proposition pour 49,9 % des actions de HHLA, prévient-il avec le panache dont il est coutumier, « ma holding Kühne AG envisage de le faire à court terme ».
Rolf Habben Jansen, PDG de Hapag-Lloyd : contre-offre contreproductive
Mais dans une interview accordée à Reuters en fin de semaine dernière, le PDG de Hapag-Lloyd, Rolf Habben Jansen, a indiqué qu'il ne serait pas dans l'intérêt de son entreprise de faire une offre pour HHLA à la suite de celle de MSC. Hapag-Lloyd pourrait néanmoins perdre 20 à 30 % de ses volumes transitant vers l'Europe centrale via Hambourg.
L’armateur allemand, numéro cinq du transport maritime de conteneurs, assure une bonne part des escales dans le troisième port européen. Mais il n’est pas le seul à être directement impacté par le nouvel ordre des choses si l’opération allait jusqu’à son terme.
Eurogate : une contre-offre envisagée
Silencieux jusqu’alors mais pas sourd, l'actionnaire majoritaire du groupe Eurokai, Thomas Eckelmann, dont la famille est impliquée dans les opérations portuaires de Hambourg depuis 1865, n'exclue pas non plus de déposer une contre-offre.
Le groupe contrôle Eurogate, le manutentionnaire du quatrième terminal à Hambourg, le Container Terminal Hambourg (CTH), et opérateur également à Bremerhaven et Wilhelmshaven.
« Cet accord serait une catastrophe pour le port de Hambourg. C'est pourquoi j'envisage, au nom du groupe Eurokai, de soumettre au parlement de la ville une contre-offre à MSC. Aux mêmes conditions », a-t-il fait savoir au Hamburger Abendblatt dans son édition du jeudi 14 septembre.
Le manutentionnaire estime que le passage de HHLA dans le giron de MSC « emporterait environ 25 à 30 % des opérations d’Eurogate. Ce serait une perte douloureuse. Mais en contrepartie, de nombreux clients de HHLA pourraient nous rejoindre. Finalement, cela pourrait même représenter un gain pour Eurogate », a-t-il supposé.
En juin 2020, les deux opérateurs portuaires allemands HLLA et Eurogate ont tenté de se rapprocher, envisageant alors la création d’une entreprise commune dans laquelle seraient fusionnés les actifs portuaires qu’ils détiennent en Allemagne, à Hambourg, Bremerhaven et Wilhelmshaven.
Finalement en juin 2022, les deux groupes ont convenu de suspendre les négociations en invoquant les « incertitudes » dans le secteur des ports et de la logistique.
La CDU au front
Le deal, qui engage la ville-État de Hambourg pour une durée indéterminée (avec possibilité de révocation au bout de 40 ans), passe difficilement au sein de la CDU qui, au-delà du « coup d'éclat du SPD et des Verts », s’interroge sur les avantages réels de l'entrée de MSC dans HHLA. « Il s'agit de savoir comment cette entrée s'inscrit dans la stratégie portuaire nationale ou quelles discussions ont eu lieu avec d'autres investisseurs potentiels », mentionne le communiqué, qui attend du SPD et des Verts « une transparence totale ».
Le parlementaire en charge des finances à Hambourg, Andreas Dressel (SPD), a réagi pour sa part sur son compte X (ex-Twitter) pour remettre les pendules à l'heure dite. « Avant que des légendes sur les discussions précédentes ne s’écrivent : Hapag-Lloyd n'a malheureusement pas accepté la majorité municipale dans le groupe HHLA et Eurogate a rejeté la pleine participation des employés de HHLA dans la coopération portuaire ».
MSC et son plan d'action
Lors d'une conférence de presse, Søren Toft, le PDG de MSC, a présenté quelques lignes du plan visant à apporter 1 MEVP supplémentaires à Hambourg (8,28 MEVP en 2022, - 5 %, 23e port mondial) au cours des huit prochaines années. Comme convenu dans le deal, le siège social de MSC en Allemagne ainsi que la division croisière vont être transférés de Brême à Hambourg, soit 700 personnes, selon le dirigeant.
Pour que des opérateurs tiers puissent au mieux gêner l’opération sans toutefois la paralyser, il faudrait qu’ils puissent mettre la main sur au moins 10 % des actions. Dans la mesure où la ville entend garder la majorité et que MSC se dispute les 31 % du flottant, il reste peu de jeu pour bloquer.
Adeline Descamps
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