À n'en pas douter, les arguments pour justifier le coup à deux bandes que vient de réaliser le port de Dunkerque ne vont pas manquer. En un temps, deux mouvements, le troisième port français et septième du range nord-européen, a engrangé près de 7 Md€ de promesses d'investissement.
Deux jours avant d’accueillir ce lundi 15 mai un parterre d’investisseurs étrangers pour la sixième fois dans le cadre du sommet Choose France dont il a été l’instigateur en 2018, le président Emmanuel Macron était à Dunkerque le 12 mai pour amorcer le récit autour des investissements étrangers en annonçant dans un premier temps l'installation par le Taïwanais Prologium d'une usine de batteries électriques sur les terrains du Grand port maritime des Hauts-de-France.
À peine quelques heures plus tard, un second sous-seing était dévoilé, également par le président. Il s'agit cette fois d'un investissement porté par le Chinois XTC et le Français Orano, qui vont engager 1,5 Md€ sur le site portuaire pour une usine de cathodes (électrodes entrant dans la composition d'une batterie. « Avant la fin de la décennie, on aura plus de 20 000 emplois nouveaux sur le bassin dunkerquois. On va mettre le paquet sur les compétences et la formation, c'est la mère des batailles », a ajouté Emmanuel Macron, d’ores et déjà assuré, sur le plan de la communication, du succès de Versailles 2023.
Quatrième usine de batteries en France
Fondé en 2006, se présentant comme un des pionniers de la batterie solide, Mercedes-Benz figurant parmi ses actionnaires, Prologium a choisi Dunkerque pour sa première implantation en Europe. Mais pour la France, il s'agit de la quatrième usine du genre, toutes situées dans le Nord*, bien partie pour être une terre à gigafactories. Un investissement stratégique pour ce territoire qui a identifié la mobilité électrique comme une filière de développement prioritaire.
C’est l'implantation de la start-up grenobloise Verkor, dont le chantier doit démarrer au cours de ce second trimestre, qui a fait entrer le port nordiste dans les destinations de prédilection pour les acteurs de la chaîne de valeur de la batterie électrique (cf. plus bas).
Retour sur investissement
Il y a deux ans, à l’occasion de la même opération « attrape-investisseurs », la plateforme Zone Grandes Industries (ZGI, 160 ha) de Dunkerque-Port avait été sélectionnée parmi les premières pour être labellisées clés en main, un concept qui désigne des terrains prêts à l’emploi et dé-risqués pour lesquels l'État garantit un délai de trois mois pour l'obtention du permis de construire et de neuf mois pour les autorisations environnementales, les procédures administratives ayant été anticipées. Depuis, une seconde zone, Dunkerque Logistique Internationale (DLI), a été classée dans la même catégorie.
La capacité de production du Taïwanais à Dunkerque, qui a bénéficié de mesures incitatives et de subventions, doit permettre à terme d'équiper entre 500 000 et 750 000 véhicules électriques par an selon l’objectif que l’investisseur s’est assigné moyennant 5,2 Md€ injectés dans le territoire d'ici 2030, avec 3 000 emplois à la clé et 12 000 emplois indirects.
Électricité décarbonée et connectivité
La technologie du nouvel investisseur, basée sur l’électrolyte solide, fait partie des alternatives les plus prometteuses aux batteries lithium-ion actuelles (liquides) dont les limites et défauts sont désormais connues. En test chez plusieurs équipementiers, les batteries de Prologium ne seront toutefois pas adoptées par les constructeurs avant deux ans, le temps des certifications.
Le tout-solide intéresse tout particulièrement en raison de sa densité énergétique avec une capacité de stockage de plus 450 Wh par kg (contre 270 Wh par kg pour celles actuelles), mais aussi de leur sécurité. En clair, plus d'autonomie (plus de 700 km), plus de sécurité (moins d'incendies), plus rapide (80 % chargés en 12 minutes, selon Prologium) et plus légère (poids réduit d’au moins 50 kg).
À Dunkerque, « nous avons non seulement accès à l'électricité nucléaire mais il y a aussi des éoliennes offshore », a expliqué à la presse le vice-président responsable du développement international du groupe, Gilles Normand, qui souhaitait « avoir accès à une électricité décarbonée ». Le représentant du Taïwanais mentionne en outre « la connexion par le rail, la route et un port en eaux profondes qui facilite les importations et l'exportation de nos produits ».
La France, en tête des IDE
D'après le baromètre annuel sur les investissements étrangers (IDE), qu'Ernst and Young a publié il y a quelques jours, la disponibilité d’énergie décarbonée a été l'an dernier, malgré la crise énergétique actuelle et un parc nucléaire défaillant, le principal atout de l’Hexagone. Avec 133 projets décrochés, soit 10,6 % du total français, au troisième rang, les Hauts-de-France émergent derrière l’Île-de-France et l’Auvergne-Rhône-Alpes et les Hauts-de-France. En 2021, la région était devancée par le Grand Est.
Étrangement, ce même baromètre reflète une forte diminution des investissements dans les plateformes logistiques (-21 % en 2022 p/r à 2021). « L'Hexagone paie le manque de foncier et la lourdeur des procédures administratives, que relèvent beaucoup d’entreprises », explique la société d'audit et de conseil.
Les ports, porte d'entrée des investisseurs étrangers
Les données concernant la localisation des implantations ne sont pas disponibles mais faire des ports les leviers d’une attractivité renouvelée pour attirer les investissements étrangers a en tout cas été clairement énoncé dans la stratégie portuaire nationale.
« Il y a quelques années, lorsque nous rencontrions des prospects et d’éventuels investisseurs, on leur disait : ‘voilà, le port de Dunkerque, c'est 7 000 ha dont 3 000 sont disponibles. On contractualisait en signant une autorisation d'occupation temporaire », avait indiqué Daniel Deschodt, directeur adjoint du Grand port maritime de Dunkerque, à l'occasion d'un débat sur le marketing portuaire tenu dans le cadre des Assises Port du futur. « Ce discours ne suffit plus. Il faut être en mesure d’offrir des terrains purgés de toutes les contraintes administratives de façon qu’ils soient disponibles si ce n’est immédiatement du moins à courte échéance. »
Depuis, l’établissement portuaire a dupliqué son approche plug and play développée pour l’industrie à la logistique. Alors que sa zone logistique, créée il y a une vingtaine d’années et située en arrière du terminal à conteneurs, était parvenue à saturation, l’établissement portuaire a lancé en fin d’année 2021 toutes les procédures pour créer 146 ha supplémentaires afin d'y implanter 400 000 m2 d’entrepôts, également à proximité du terminal des Flandres, sur des terrains initialement prévus pour un autre usage. En lien avec les trafics désormais datés, les énergies fossiles
Les flux logistiques visés concernent plus spécifiquement deux filières : la grande distribution, la région comptant de nombreux sièges d’entreprises du secteur et leurs entrepôts (Effet Auchan et sa galaxie de marques), et les produits sous température dirigée, qui représentent peu ou prou 1 Mt de volume annuel à Dunkerque, reefer compris.
Un franc succès
Dès septembre 2021, près de la moitié des 150 ha étaient commercialisés. La Société de développement de l’axe Nord (SDAN), créée en 2017 pour réaliser des investissements logistiques sur le port, a inauguré en novembre dernier son premier entrepôt de 43 720 m2 sur un site prévu de 150 ha réalisé en blanc.
Le développeur-investisseur, en « discussion avancée » avec de potentiels locataires, mise sur les échanges avec le Royaume-Uni dans l’ère post-Brexit, qui a rebattu les cartes du transport maritime.
« Les logisticiens ont besoin de stocks tampons et acceptent le coût de location d’un entrepôt », indiquait alors Julien de Lapize, PDG de la SDAN.
Un deuxième puis un troisième bâtiment
La société s’est déjà engagée pour un second bâtiment d’une superficie de 26 000 m2 et d’une hauteur de 35 m. Il doit permettre de stocker 68 000 palettes sous température dirigée et devrait être opérationnel au deuxième semestre 2023. Avec ce bâtiment, il cible les flux grand export pour les industriels de la logistique du froid.
La SDAN a dans ses cartons un troisième projet de 100 000 à 120 000 m2, toujours sur la zone DLI : un grand entrepôt divisible, principalement dry mais aussi en partie frigorifique. La SDAN a cette fois investisseurs belges dans le viseur « car leurs ports manquent de place pour réaliser de tels développements. »
Vers le lancement d'une DLI2
En avril, Maurice Georges, le directeur du port nordiste, signait un protocole d’accord avec le promoteur immobilier belge BVI pour l’implantation d’une plateforme de 21 000 m² sur le terrain que ses services sont en train d'aménager au sud de la zone logistique DLI actuelle.
L'extension permettra à la plateforme d'atteindre au total 400 000 m² d’entrepôts alors que le site compte actuellement environ 200 000 m². « Elle s’inscrit aussi dans les ambitions portuaires dans le domaine du conteneur et du transmanche, avec toujours un positionnement sur les filières alimentaire, distribution et e-commerce », fait valoir le dirigeant.
Cette année doivent aussi être lancées les études de la future zone DLI 2.
Sur le plan industriel, en 2023, le port français, le plus plébiscité par les chargeurs, assistera au lancement sur ses terres des opérations de Clarebout, producteur de produits surgelés à base de pommes de terre, et de SNF Flocryl, spécialiste du traitement de l’eau, producteur de monomères et polymères, tous deux porteurs de 250 à 300 emplois chacun.
Contribuer à une supply chain décarbonnée
Comme pour les autres ports, Dunkerque doit contribuer à la réindustrialisation de la France mais si possible verte.
Dans ce cadre, tous, y compris en Europe, sont engagés dans le chantier de leur grande mutation énergétique après avoir été « shootés » pendant des années au trafic de pétrole et de charbon.
« Le développement du hub CO2, de l’autoroute de la chaleur, de la production d’hydrogène bas carbone, ainsi que les investissements massifs d’ArcelorMittal pour la décarbonation de son activité continueront de conforter le territoire dunkerquois dans sa position de premier hub énergétique européen », vante la communication de Dunkerque.
« Pendant des années, on a subventionné des panneaux photovoltaïques fabriqués au bout du monde, là, on va avoir des panneaux photovoltaïques 'made in France', comme on aura des batteries 'made in France', des voitures électriques 'made in France'. C'est l'écologie du concret », s'est emballé Roland Lescure, le ministre de l’Industrie, devançant une autre annonce qu’Emmanuel Macron doit faire ce lundi lors du sommet Choose France.
Une usine de panneaux photovoltaïques va ouvrir en 2025 à Hambach, près de Sarreguemines en Moselle. Un investissement de 750 M€. Là, Dunkerque n'y est pour rien.
Adeline Descamps
* L'usine de batteries ACC (coentreprise de Stellantis, TotalEnergies et Mercedes-Benz) à Douvrin (Pas-de-Calais), celle portée par le groupe sino-japonais AESC-Envision à Douai (Nord), qui produira pour Renault à partir de début 2025, et celle de la start-up grenobloise Verkor.
Les ports, des destinations pour les acteurs de la chaîne de valeur de la batterie électrique ?
La start-up grenobloise Verkor, dont le chantier sur un terrain de 150 ha « clé en main » du port de Dunkerque doit démarrer au cours de ce second trimestre, a fait entrer la cité portuaire dans les destinations pour les acteurs de la chaîne de valeur de la batterie électrique. L’entreprise doit démarrer sa production à partir de 2025 – avec un objectif de 50 GWh de batteries en 2030 – pour approvisionner Renault. Le Grand port maritime attend en outre des implantations en amont et en aval de la production de cellules de batteries électriques.
Il faut croire que les sites portuaires sont des emplacements de prédilection pour tout ce qui touche de près aux batteries. Une usine de raffinage de lithium sera aussi construite d’ici 2025 par Viridian sur le site de Lauterbourg, où est implanté le dernier en date des terminaux à conteneurs du Port autonome de Strasbourg, dont la connexion tri-modale sera fort utile. Car c'est par le port néerlandais que le lithium en provenance de l’Amérique du Sud transitera avant de rejoindre le site alsacien par la voie fluviale. La jeune société entend produire un lithium avec « l’intensité carbone la plus faible du monde » en substituant au minerai de fer des saumures qui seront raffinées pour en extraire le sel de lithium.
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