Pas plus ni moins que son grand voisin néerlandais, la Belgique porte de grandes ambitions dans la production et l’importation de molécules vertes. Le parti pris par les autorités de réserver à la Maison du port d’Anvers-Bruges la stratégie fédérale révisée en la matière ne trompe pas.
L’exécutif belge entend capitaliser sur le port flamand, « au centre de plusieurs clusters industriels importants » et « à un carrefour énergétique au cœur de l'Europe », pour se positionner en tant que hub de production d’hydrogène vert (en mer du Nord) mais aussi d'importation via des pipelines depuis le sud de l'Europe et l'Afrique du Nord et de transit en Europe.
La feuille de route en la matière, basée sur les recommandations issues d'une étude confié à Boston Consulting Group (BCG) qui a sondé les parties prenantes de différents secteurs, a été approuvée en Belgique à la fin de l'année dernière. L’hydrogène est très clairement ressorti en maillon fort du futur système énergétique, comme dans beaucoup de pays européens. Mais avec les récents événements géopolitiques et la crise énergétique qui en a résulté, les autorités ont décidé de presser le pas d’où une révision quelques mois à peine après sa mise sur rail.
Les objectifs ont été renforcés. Le cap 2030 pour les importations d'hydrogène et de dérivés passe notamment de 3-6 térawattheures (TWh) dans la stratégie initiale à 20 TWh dans le nouveau plan.
Hub européen d’importation d’hydrogène
Être une plaque tournante de l'hydrogène vert en Europe occidentale. C’est très clairement l’ambition qui a été affichée à la capitainerie devant les industriels de la chimie et de l'énergie par le Premier ministre Alexander De Croo, le ministre de l'Énergie Tinne Van der Straeten, et le secrétaire d'État à la relance économique Thomas Dermine.
À cette occasion a été annoncée la création d’un conseil fédéral de l'hydrogène (équivalent du Conseil allemand de l'hydrogène ou de France Hydrogène...), présidé par les deux écosystèmes industriels WaterstofNet et Tweed, soutenus respectivement par la Flandre et la Wallonie (en Belgique, l'hydrogène suscite de l'intérêt aux différents échelons politiques : le niveau régional et fédéral ayant leur propre stratégie).
« Avec toutes les parties prenantes, nous avons élaboré une stratégie ciblée fondée sur tout le savoir-faire que la Belgique a accumulé au cours des dernières décennies. Nous voulons saisir notre potentiel pour devenir un leader européen de l'hydrogène, en garantissant la sécurité de l'approvisionnement d'ici la seconde moitié de cette décennie (…). Nous pensons que l'hydrogène jouera un rôle clé dans la redéfinition des fondamentaux énergétiques du continent européen après l'Ukraine », a introduit le Premier ministre.
Coalition industrielle
« La Belgique ne dispose pas d'un espace suffisant pour produire seule les quantités requises d'hydrogène vert. La production locale devra donc être complétée par des importations d'hydrogène vert et de vecteurs d'hydrogène en provenance de régions suffisamment ensoleillées et ventées. À partir de 2026, le port d'Anvers-Bruges recevra les premières molécules d'hydrogène vert sur sa plateforme », décrypte Jacques Vandermeiren, le PDG du port d'Anvers-Bruges.
Anvers-Bruges est notamment à l’initiative d’une coalition avec cinq grands acteurs industriels et des acteurs publics : DEME, Engie, Exmar, Fluxys et WaterstofNet alors que des collaborations avec plusieurs régions exportatrices ont été établies « afin de donner le coup d'envoi de cette chaîne de l'hydrogène ».
Parallèlement, le gouvernement finance un réseau de pipelines d'hydrogène qui reliera les ports aux zones industrielles belges et à l'Allemagne d'ici 2028.
Production locale en attente de la décision d’investissement
Une production locale est aussi au programme sur les plateformes portuaires de Zeebrugge et d'Anvers. « Zeebrugge est idéal pour la construction d'une usine de production d'hydrogène vert en raison de la présence de parcs éoliens et d'infrastructures de gaz naturel », assure l’autorité portuaire.
Fluxys et Eoly y sont notamment à l’initiative avec le projet HyoffWind. Dans une première phase, il est prévu une installation capable de convertir 25 MW d’électricité en hydrogène vert et jusqu’à 100 MW ensuite.
La demande de permis a été déposée fin 2021. La décision finale d'investissement, subordonnée en partie aux subsides octroyés par le gouvernement flamand dans le cadre du plan de relance, doit être prise dans le courant de l’année.
Hydrogène et économie circulaire
Plug Power, spécialisée dans l'hydrogène, les piles à combustibles et les électrolyseurs, a annoncé le 8 juin un investissement de 315 M$ à Anvers-Bruges où l’entreprise américaine prévoit d’implanter sa première usine d'hydrogène vert sur le continent européen.
Le chantier de construction d’une usine d’une capacité de 35 t d’hydrogène vert par jour devrait être lancé dès l’obtention des autorisations, prévue en 2023, tandis que le démarrage de la production est estimé à l’horizon 2024 et la mise en service en 2025.
L’Américain est hyperactif sur le continent européen. Il est connu en France pour avoir noué un accord global avec Lhyfe en vue de développer conjointement des usines de production d'hydrogène vert dans toute l'Europe avec pour objectif d'installer une capacité totale d'1 gigawatt (GW) d'ici 2025.
Le groupe a aussi lancé une coentreprise, Hyvia, avec Renault pour la construction à Flins d'une usine de production de véhicules utilitaires légers à l'hydrogène. Un accord a aussi été signé avec le géant allemand de distribution Lidl en Loire-Atlantique afin de convertir des engins de manutention d'une plateforme logistique à l'hydrogène vert…
Economie circulaire
Le port Anvers-Bruges y voit une illustration de l’attractivité de NextGen, sa plateforme installée sur l'ancien site de General Motors qu’il a recentrée sur les projets en phase avec l’économie circulaire.
Il est prévu que le réseau européen de l’hydrogène (European Hydrogen Backbone) soit construit à proximité immédiate de l’usine de production d’hydrogène. Dans ce contexte, Plug a déjà signé un contrat avec Fluxys pour réaliser une étude de faisabilité en vue d’y raccorder son usine.
Les pays de la mer du Nord sont de grands producteurs d'énergie éolienne avec plus de 15 GW de capacité installée. Ils se sont engagés à la porter à 65 GW d'ici 2030 et à 150 GW d'ici 2050, dans le cadre d'un accord de coopération signé par la Belgique, l'Allemagne, le Danemark et les Pays-Bas.
Adeline Descamps