Pour les trois ports de l’Axe seine, 2019 s’était achevée par la présentation d’une facture salée après avoir accumulé des jours à encéphalogramme plat en raison des mouvements sociaux contre le projet de réforme des retraites. Les trafics des trois mois de l’année échappent difficilement au choc industriel chinois et à ses répliques sur l’économie européenne. Les motifs de satisfaction sont rares…
Le salut par la terre nourricière. En 2019, les exportations de céréales, tirées vers le haut par un blé français en faveur auprès des importateurs, n’avaient pas permis de compenser la faiblesse des autres filières mais avaient déjà offert au trio portuaire de l’axe Seine un peu de réconfort. À nouveau, pour ces trois premiers mois de l’année, les grains gonflent les données des vracs solides, en hausse de 18 % avec 4,26 Mt. La campagne 2019-2020, nantie d'une belle récolte, a permis de charger 7,2 Mt à fin mars, soit une progression de 24 % par rapport à la dernière campagne. « Le niveau des chargements des dernières semaines laisse présager une campagne historiquement bonne », garantit la direction d’Haropa (Le Havre – Rouen – Paris).
Hors moisson, point de foison. L’effet covid a manifestement entamé son œuvre de destruction. Au global, le trafic maritime de l’axe portuaire s’est établit à 20,38 Mt à fin mars, en baisse de 12,8 % par rapport à la même période l’an dernier. La descente est brutale pour le conteneur, de 23 %. Le trafic s’est établi à 530 000 EVP sur les trois premiers mois, avec 156 escales, soit 16 de moins par rapport à mars 2019. Le premier port touché d'Europe du Nord pour les porte-conteneurs en provenance d'Asie a inévitablement subi la mise sous cloche de la production chinoise.
« L'effet du ralentissement du trafic maritime en provenance d’Asie se ressent surtout à partir de la deuxième quinzaine de mars », précise Haropa. Les trois ports du nord ne cessent de clamer qu’ils restent opérationnels « grâce à la mobilisation de toute la communauté portuaire » mais ne semblent pas avoir beaucoup de mouvements. « Les effets de la crise économique liée à la pandémie se manifestent désormais également par un ralentissement de la consommation mondiale et des exportations européennes qui viendront impacter de manière significative les trafics conteneurs et roulier à l’import et à l’export au mois d’avril », anticipe la direction.
Déception du fluvial
Le « coussin compassionnel » d’Haropa – le trafic fluvial de conteneurs sur l’axe Seine, tiré depuis quelque temps en Île-de-France par les chantiers du Grand Paris – n’échappe pas à la déconfiture avec un recul de 13,5 % à fin mars. Quant aux vracs liquides – en baisse de 16 % à 10,48 Mt – l’activité portuaire est limitée par la capacité de raffinage ralentie du fait des arrêts de production. L’un lié à l’incendie, en décembre, de la raffinerie de Gonfreville-l’Orcher (prévu pour une dizaine de mois), l’autre depuis début mars de la raffinerie de Total à Grandpuits en Seine-et-Marne, pour une maintenance réglementaire occasionnée par une fuite détectée sur un équipement. Mais confronté aux conséquences engendrées par le confinement, a annoncé le groupe Total dans un communiqué en date du 23 mars, le redémarrage du site est repoussé jusqu’à nouvel ordre. « Les impacts de la crise sanitaire sur la consommation de produits raffinés se feront probablement sentir sur les trafics des prochaines semaines », estime donc Haropa.
Inutile d’aborder la problématique de l’activité croisière, totalement à l’arrêt et dont la reprise sera douloureuse. Mais de ce point de vue, avec ses 131 escales annuelles, la situation normande est moins exposée que son homologue méditerranéenne, Marseille, port de croisière millionnaire.
De crise en crise
« Dans ce contexte, nous avons décidé de reporter le paiement des redevances domaniales comprises entre le 1er mars et le 30 juin au 10 juillet 2020, afin de soutenir les entreprises installées sur les sites portuaires », réitère l’opérateur public.
En 2019, le trafic maritime avait atteint les 90 Mt, en baisse de 5 %. Le Grand Port maritime avait certes été plombé par la diminution – structurelle – des importations de pétrole et de charbon mais aussi, de façon moins attendue, par les trafics conteneurisés, à 2,9 MEVP manutentionnés, soit un repli de 3,5 % par rapport à 2018 et de 9,5 % pour le transbordement. Le 23 janvier, la direction du port du Havre estimait à 100 000 EVP la perte de trafic générée par l’annulation ou suppression de 227 escales. Outre les céréales, les trafics fluviaux (+ 13 %, 25 Mt), avec notamment ses 140 000 conteneurs maritimes acheminées jusqu’en Île-de-France, avaient limité la casse.
Le Havre, dont les trafics avaient été confisqués par ses grands voisins du range nord en fin d’année, devra cette fois partager le peu d’activité des mois à venir. Car si la Chine a réamorcé la pompe, elle reste elle aussi très dépendante de la production et consommations mondiales, sous cloche et en berne.
Adeline Descamps