Le contexte est convulsif en Allemagne alors que les discussions entamées dans le cadre du cycle des négociations salariales et contractuelles entre dockers, représentés par le puissant syndicat Ver.di et les manutentionnaires (ZDS, Zentralverband der deutschen Seehafenbetriebe), ne débouchent sur rien. Des « grèves d’avertissements » que l’on pourrait qualifier de « tournantes » (alternant entre Hambourg, Bremerhaven, Brême, Wilhelmshaven, Brake et Emden) ont été observées à chaque phase des pourparlers entamés en juin.
Dans ce contexte, le vote prévu pour valider la prise de contrôle à 49,9 % par MSC du grand manutentionnaire allemand HHLA était susceptible de mettre un coup de pression supplémentaire. Ce fut le cas. Plusieurs centaines de personnes ont participé à la manifestation le 1er septembre qui ont convergé vers le siège de HHLA dans le quartier de Hafencity à Hambourg. Nombre d’entre eux portaient des gilets de sécurité orange et jaune et des panneaux d'arrêt avec la mention « Notre port, notre ville, mettez à bas le deal MSC ! » ou arboraient des bannières du syndicat Ver.di mais aussi d'organisations d'extrême gauche.
Un accord à la vive opposition
En dépit des vives protestations, réactions en chaîne et indignation des salariés de HLLA depuis que les intentions de MSC sur le premier opérateur portuaire allemand Hamburger Hafen und Logistik AG (HHLA) sont connues, un accord a été finalisé fin décembre entre les deux futurs actionnaires, MSC et la Ville de Hambourg.
Selon le deal, le leader mondial de la ligne régulière pourra détenir 49,9 % du capital de HHLA, aux côtés de la ville-État de Hambourg (51 %) qui cède ainsi 18 % de ses actions (le reste était en propriété flottante avant l'entrée en scène de MSC). HHLA gère trois des quatre terminaux à conteneurs de Hambourg : les Container Terminal Altenwerder (CTA, avec Hapag-Lloyd à 25,1 % depuis 2002, cf. plus loin), Container Terminal Burchardkai (CTB, à 100 %) et Container Terminal Tollerort (CTT avec Cosco à 24,9 % depuis 2022).
Pour emporter la partie, MSC a accepté de rester un actionnaire minoritaire (condition non négociable mais d'autres soumissionnaires ne sont pas allés plus loin pour cette raison). L'armateur de porte-conteneurs s'est engagé à apporter au port allemand plus d'1 MEVP dès 2025 (grâce à la croissance du transbordement), à y relocaliser le siège social allemand de ses opérations maritimes (actuellement à Brême) mais aussi son quartier général pour la croisière, basé à Munich, tandis que les terminaux resteront à usage commun.
Les deux « propriétaires » vont en outre augmenter les fonds propres de HHLA de 450 M€. En contrepartie, MSC devrait obtenir autant de sièges au conseil de surveillance et au directoire de HHLA que la ville en possédera. C'est un point qui heurte certaines chapelles politiques.
Défiance des syndicats
Du point de vue des salariés, soutenus par Ver.di, MSC est en réalité plus intéressé par mettre la main sur Metrans, filiale ferroviaire de HHLA que par l’activité portuaire. Aussi, ils soutiennent que l'accord ne menace pas seulement les emplois de HHLA, mais aussi ceux d'autres entreprises portuaires comme Gesamthafenbetrieb (GHB) et Lasch-Betrieben.
À Bremerhaven, on redoute que MSC ne détourne les volumes du terminal qu'il opère avec Eurogate vers Hambourg. Le transporteur vient pourtant de prolonger de 25 ans son accord avec le deuxième manutentionnaire allemand.
Défendu par le Sénat, l'accord entre MSC et la Ville de Hambourg aurait dû être validé le 10 juillet par le Parlement du Land de Hambourg lors de la dernière séance avant les vacances d'été. Or, bloqué par une alliance d'opposition entre la CDU, le parti de gauche et l'AfD, le second vote a été reporté. Il devrait être scellé à l'issue de l'examen de la deuxième lecture prévue le 4 septembre (les décisions importantes doivent être soumises à deux lectures au parlement allemand).
Selon Die Welt, citant les porte-parole des trois partis, qui ont formé une union inhabituelle, le prix des quelque 19 % d'actions que la Ville de Hambourg veut vendre directement à MSC à 16,75 € par titre ne reflète pas la valeur de l'entreprise (le cours de l'action avait chuté à 11 € au moment des négociations et MSC a déposé une offre supérieur de 40 % au cours de la bourse). Les termes du contrat heurtent par ailleurs alors qu’il faudra attendre 40 ans pour exercer le droit de résiliation. L’accord étant assorti à un engagement de résultat, rien n’est prévu si ce dernier n’est pas tenu.
Hambourg en difficulté
Le troisième port à conteneurs européen dévisse depuis des années, de plus en plus distancé par Rotterdam et Anvers, les deux leaders portuaires européens. Il aura encore été à contre-courant au cours du premier semestre avec 3,8 MEVP, - 0,3 % après une année 2023 en repli de 11,7 %, à 7,7 MEVP.
« Hambourg a principalement souffert de deux choses : Le manque de soutien politique de la part du gouvernement fédéral allemand à Berlin et, à quelques exceptions près, l'absence de participation et d'implication de la part des grands transporteurs, écrivaient les analystes d'Alphaliner après l'annonce il y a près d'un an. Depuis des décennies, le mantra de Hambourg est d'empêcher les transporteurs de posséder des parties du port et de développer leurs propres terminaux à conteneurs ». Le sujet semble toujours très sensible alors que la prise de participation de Cosco dans un des terminaux avait déjà mis le pays en émoi.
Adeline Descamps
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