Engagés dans des discussions relatives au douzième train de sanctions économiques imposées à la Russie, le Conseil et le Parlement européens se sont mis d'accord ce vendredi 8 décembre sur un texte qui permettra aux États membres d'interdire l'entrée du gaz en provenance de Russie et de Biélorussie. Le texte vise en particulier le gaz naturel liquéfié, qui représentait au cours des sept premiers mois de l'année 17 % des importations européennes.
Il y a un an et demi, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen faisait le tour des grandes baronnies du pétrole et du gaz en vue de trouver les nouveaux partenaires qui devaient aider les États membres à réduire leur dépendance au gaz et du pétrole russes, dont les robinets se sont taris.
Aujourd’hui, l'exécutif européen semble avoir atteint son autosuffisance puisqu’il peut s'en passer.
Le gaz préservé des 11 vagues de sanctions
En raison de son caractère faiblement substituable (par rapport au pétrole) et de la rareté de l’offre mondiale, le gaz russe a échappé jusqu'à présent à la dizaine de trains de sanctions, qui ont notamment exclu la Russie du système financier international, gelé ses avoirs et ses actifs, privé de ses rentes de charbon (embargo), de pétrole (depuis le 5 décembre 2022 pour le brut et le 5 février 2023 pour les produits pétroliers).
Quant au gaz, il fait l’objet d’un engagement collectif des Vingt-Sept (plan REPowerEU*), celui de réduire l'approvisionnement d'au moins 155 milliards de m3 d'ici à 2030, soit le volume importé de Russie en 2021. En 2021, l’UE avait consommé 400 milliards de m3 de gaz.
Autonomie énergétique ?
L’UE était entrée dans l’hiver 2021-2022 avec des réserves de gaz anormalement basses. Dans ce contexte, le 23 mars 2022, la Commission a présenté une proposition législative pour rendre obligatoire dans l’UE le remplissage des réservoirs souterrains de gaz à un niveau minimum de 80 % de leur capacité pour cet hiver, seuil qui sera porté à 90 % pour les prochaines saisons.
Aujourd’hui, les stocks sont pleins. D’après le dernier relevé délivré par Gas Infrastructure Europe, début novembre, les stocks étaient remplis à 99,6 % (100 % en France) et 102,6 % au Royaume-Uni.
Il y a un an, à la même époque, l’Europe faisait face à une explosion des prix du gaz, dopés par la perspective d’un choc énergétique.
Le GNL russe en force
Avant l'invasion de l'Ukraine en février 2022, le gaz russe acheminé par gazoduc était la principale source d'approvisionnement de l'Europe. Désormais, le gaz naturel liquéfié (GNL) figure parmi les meilleures ventes russes, certes, mais aussi et surtout américaines. Une aubaine de marché pour le transport maritime puisque le GNL embarque sur les méthaniers.
Les Vingt-Sept ont ainsi augmenté de 70 % l'an dernier leurs achats de GNL, transporté par la mer et importé à plus de 40 % des États-Unis.
Si la Russie reste le deuxième fournisseur de l’UE, devant le Qatar, sa part dans les importations (gazoduc et GNL) est toutefois tombée à 15 % au cours des sept premiers mois de l'année, contre 24 % en 2022 et 45 % en 2021.
Le GNL russe représente désormais 17 % des achats européens de GNL.
Embargo total requis
Dans une résolution adoptée le 9 novembre, les eurodéputés avaient requis un embargo total sur les importations de gaz naturel liquéfié (GNL) et de gaz de pétrole liquéfié (GPL) russe. Une demande qui bute sur « une réalité commerciale », comme l’avait justement rappelé Simone Tagliapietra, de l'institut Bruegel en octobre, à savoir les contrats à long terme qui lient les entreprises européennes aux fournisseurs russes.
Pour lever le verrou, recommandait-elle, il faut soit instaurer un embargo sur le GNL russe, soit restreindre son importation à des volumes coordonnés via une plateforme commune, à un prix plafonné. Une orientation qu’avait déjà évoqué Bruxelles en juillet 2022.
Trop de terminaux d'importations de GNL en Europe ?
Alors que le vaste réseau européen d'infrastructures de GNL compte déjà 36 terminaux opérationnels, dont quatre ont des extensions programmées, et 17 en construction ou en planification, six nouveaux projets sont entrés en service cette année aux Pays-Bas, en Allemagne, en Finlande et en Italie (le FRSU Cape Ann de TotalEnergies LNG au Havre exclu).
L’Europe s’est ainsi dotée de 36,5 milliards de m3 de capacités nouvelles d'importation par an de GNL depuis début 2022 tandis que 106 milliards supplémentaires sont en projet d'ici 2030, ce qui porterait l'offre européenne à 406 milliards de m3. Soit une hausse de 143 milliards par rapport au niveau de 2021, selon l'IEEFA, auteur d'une étude qui questionne cette offre par rapport à la demande.
Entre juin et juillet 2023, les États membres de l'Union européenne ont dépensé 41 Md€ pour importer du GNL (9,72 Md€ par la France, deuxième poste d’achat en Europe derrière les Pays-Bas), en grande partie auprès des États-Unis pour 17,2 Md€ et... la Russie (5,5 Md€).
Selon les données de l’IEEFA, rien que sur cette année, 19,5 milliards de m3 de nouvelles capacités ont été mises en service alors que la consommation européenne de GNL n'a augmenté que de 4,8 milliards de m3. Le taux d'utilisation moyens des terminaux européens de GNL n'a ainsi atteint que 58 % entre janvier et septembre de cette année.
Les quatre terminaux méthaniers russes pas pénalisés
La Russie, qui exploite quatre terminaux méthaniers – Yamal LNG (capacité de 17,44 Mt par an), Portovaya LNG (1,5 Mt/an) et Vysotsk LNG (0,66 Mt/an) côté Atlantique et Sakhaline (10,8 Mt/an) dans le bassin pacifique –, n’a pas été pénalisée du tout.
À fin septembre, les pays européens avaient importé des volumes similaires à ceux de janvier-septembre de l'année dernière. Soit 14,44 milliards de m3 depuis Yamal (qui a transité à hauteur de 37 % par Zeebrugge), 1,17 milliard de Portovaya et 0,67 milliard de Vysotsk.
Outre le port côtier belge, Montoir-de-Bretagne (1,19 milliard de m3) et Bilbao ont largement profité du gaz de Yamal entre janvier et septembre 2023.
Un cinquième terminal méthanier en France
La France, bien dotée avec ses quatre terminaux méthaniers – deux à Fos-sur-Mer, un à Montoir-de-Bretagne, tous opérés par Elengy et un à Dunkerque par Dunkerque LNG consolidant une capacité d'environ 26,8 Mt par an –, a été le plus gros importateur européen de gaz russe en 2022.
Le Cape Ann, premier terminal d'importation de GNL non terrestre, est arrivé au Havre mi-septembre, où le méthanier de 145 130 m3 a été amarré au quai de Bougainville Sud, en continuité de l’actuel terminal roulier.
Le navire, affrété à la coentreprise détenue par Hoegh LNG Partners et l’armateur japonais MOL, est opéré par TotalEnergies LNG Services France (TELSF). Il doit permettre à l’Hexagone d'augmenter sa capacité de regazéification d'environ 5 milliards de m3 par an, tandis que TotalEnergies prévoit de réserver environ 50 % de cette capacité. Le gaz sera en grande partie d'origine américaine, est-il garanti.
Adeline Descamps
* Il prévoit schématiquement de réduire la dépendance aux énergies fossiles en ayant recours à l’hydrogène, au biométhane, aux économies d’énergie et aux énergies renouvelables.
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