Pas de monde contemporain sans la contribution maritime à la mobilité des matières premières et des biens manufacturés. Dans l’après-Deuxième Guerre mondiale, on distingue deux époques, les Trente Glorieuses et la Mondialisation. À la première correspond, pour le maritime, l’ère des matières premières, pétrole et minerais industriels, à la seconde la conteneurisation. Cette dernière a débuté dans les années 1980 avec les délocalisations puis s’est amplifiée après l’adhésion de la Chine à l’OMC en 2002 et la généralisation du libre-échange qui en a découlé. Depuis, nous vivons dans la globalisation maritime qui fait presque de chaque pays un acteur à part entière des échanges massifs. Les 12 milliards de tonnes de marchandises maritimes transportées trouvent leurs sources dans les extractions, les industrialisations et les consommations en tous points du globe.
Il est facile d’établir les grandes périodes de croissance qui gouvernent l’économie et les échanges. Est-il aussi simple de comprendre les crises, et notamment celle qui marque notre actuelle ère économique? Les crises cycliques étaient liées au nécessaire réajustement des économies et, en cela, la Grande dépression et la crise de 1973-1978 sont restées dans les mémoires. L’économie américaine connaît régulièrement des cracks qui se transforment en crise (2001) ou pas (1987). Avant la globalisation, cela n’avait ailleurs que des effets atténués. La crise de 2008, elle, s’est transformée en crise mondiale et en récession maritime.
Il faut s’en remettre à une évidence. La prospérité globale peut connaître des à-coups, mais nous sommes tous reliés par des relations d’interdépendance. Cette interaction entre les économies fait qu’une crise de consommation, comme celle observée en Europe dans les années 2012-2013, se propage à l’économie chinoise. Que chaque excès du prix du pétrole a un effet boomerang sur les pays pétroliers. Que les interdépendances entre Chine et États-Unis contrarient les intentions de guerre commerciale et que celles entre Russie et Europe obligent à des contorsions dans les sanctions.
La présente décennie est déjà marquée par deux crises qui, sans être de nature économique, ont des conséquences singulières pour le transport maritime. Dans la première, ce sont des choix de santé publique qui auront finalement profité à la conteneurisation en dopant la demande (notamment américaine) de produits manufacturés. Pour la seconde, c’est la politique de sanctions à l’encontre de l’agresseur qui bouleverse la géographie des échanges énergétiques, les Européens comme acheteurs et les Russes comme fournisseurs contraints à mondialiser leurs partenaires. Il en ressort une crise énergétique d’ampleur. L’interaction de la globalisation est une nouvelle fois démontrée. La crise européenne et le ralentissement américain affectent la Chine et détendent le prix du pétrole.
Pour revenir à l’histoire, la crise de 1973 est née de la guerre du Kippour, mais sa véritable origine était l’essoufflement des moteurs de la croissance que sont la productivité et l’innovation. Depuis trois décennies, la numérisation est le pendant technologique de la globalisation. Les crises régulières qui affectent économies et échanges sont assimilables du fait de la performance croissante de nos systèmes (production, mobilité). Néanmoins, une question se pose: comment introduire les enjeux environnementaux dans l’équation déjà complexe du monde global et technologique? Le monde maritime est là encore aux premières loges. Passé les crises, devra s’engager une nouvelle ère, celle de la globalisation décarbonée avec tous les points d’interrogation qu’elle comporte.