La fin d’un super-cycle ?

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Après près de deux ans d’un super-cycle pour le transport maritime de colis lourd et charges spéciales, la conjoncture économique mondiale vacille mais les taux d’affrètement de ces navires si peu conventionnels restent à leur plus haut historique. Les investissements ont repris dans le secteur gazier et pétrolier mais c’est surtout l’éolien qui porte tous les espoirs.

La spirale haussière enclenchée il y a 18 mois toucherait-elle à sa fin ? Les taux d’affrètement baissent et les durées s’écourtent, a signalé en août le courtier maritime Toepfer alors que son indice Toepfer Multipurpose (TMI) s’établissait à 22 954 $/j contre 23 099 $/j en juillet et autour de 22 000 $ en avril, mai et juin.

Après un début d’année 2021 poussif avec une légère croissance de 1 à 2 % et des tarifs d’affrètement à la limite de la rentabilité (7 000 $/j), le TMI s’est emballé dans la seconde partie de l’année dernière, enregistrant des croissances à deux chiffres pour frôler en début de cette année les 19 900 $/jour pour un navire de 12 500 tpl sur une période de six à douze mois. Entre janvier 2021 et 2022, l’indicateur aura encaissé une hausse de 173 %.

La publication par Drewry de son Multipurpose Time Charter – son indice d’affrètement à temps polyvalent – confirme, lui, non seulement la fin d’un cycle mais une désescalade plus rapide que prévu. L’indice a glissé sous la barre des 11 000 $/j le mois dernier (10 650 $/j), soit une baisse de 2,5 % par rapport à juillet.

Le repli est principalement attribué à un été beaucoup plus calme que prévu, les chargeurs adoptant toujours une politique d’attentisme en raison des incertitudes politiques et économiques. Une nouvelle baisse est presque inévitable en septembre, prévient le consultant, qui l’estime à 1,6 %.

« Les inquiétudes croissantes concernant l’inflation en Europe et aux États-Unis, la récession européenne et les prix mondiaux de l’énergie ont réduit la confiance, signifiant que l’incertitude macroéconomique reste l’un des principaux moteurs de ce secteur », justifie l’auteur de l’indicateur de ce marché dont les projets industriels sont largement tributaires de décisions économiques voire politiques. Pour le meilleur et pour le pire.

Une renaissance inespérée

Aux prises avec une surcapacité et trop peu de cargaisons à transporter avant la pandémie, ce segment vraiment à part – marchandises exceptionnellement lourdes, longues ou larges, complexes, de grande valeur, dangereuses, liées à un projet unique, qui nécessitent souvent un long délai de planification avant l’expédition effective, une logistique sophistiquée quand les ports ne sont pas équipés ou qu’il s’agit de déplacer des usines entières et des chaînes de montage, et qui ne rentrent dans aucune des exigences des autres segments (juste-à-temps, porte-à-porte, etc.) – vit une conjoncture heureuse. Et ce pour plusieurs raisons.

Elle fait écho à la dynamique plus favorable de ses principaux clients, le secteur du pétrole, du gaz et de l’énergie et les industries minières et de la construction. Elle repose en partie sur la hausse du prix des matières premières qui ont ravivé l’appétit pour des projets, extraction minière ou exploration pétrolière.

Elle capitalise sur la loi de l’offre et de la demande : une pénurie d’offre versus une explosion de la demande.

Enfin et surtout, les conventionnels, bien que disposant d’un espace limité pour les conteneurs (525 EVP en moyenne), ont servi d’appoint durant ces deux dernières années à la ligne régulière pour embarquer des conteneurs que les porte-conteneurs ne pouvaient plus charger faute d’espaces disponibles. Un moment aussi exceptionnel qu’éphémère pour les MPV (Multipurpose vessel), dont les trafics avaient plutôt tendance à être siphonnés ces dernières années par leurs pairs, vraquiers, rouliers et porte-conteneurs, quand ces derniers peinaient à remplir les cales et les garages durant les périodes déprimées.

À fin août, selon les calculs d’Alphaliner, la capacité des polyvalents déployés dans les services conteneurisés avait augmenté de 21,6 % par rapport à l’année précédente. Ils s’effaceront progressivement de la ligne régulière une fois la congestion résorbée et la normalisation des volumes retrouvée.

Parfait équilibre de l’offre et de la demande

Les gros faiseurs du marché, à l’instar de AAL, Jumbo SAL Alliance, United Heavy Lift (UHL), témoignent tous d’une certaine confiance dans le marché. « Nous ne nous dirigeons pas vers un atterrissage brutal. Le marché des cargaisons spéciales est porté par la demande de pétrole, de gaz, de charbon et d’énergie éolienne. L’offre limitée et le peu de nouvelles constructions sont d’autres facteurs qui y contribuent », assure Kyriacos Panayides, le directeur général de AAL Shipping. La compagnie, parmi les dix premiers opérateurs de son secteur, dispose d’une flotte de 24 navires de 19 000 à 33 000 tpl et a en commande six unités de construction neuve de 32 000 tpl, ce qui portera la capacité totale à 872 000 tpl.

Le carnet de commandes du segment est en effet faible, estimé à 5 % de la flotte en exploitation. Les transporteurs de MPP n’ont reçu que très peu de nouvelles constructions au cours de l’année écoulée et il n’y en aura guère ou si peu d’ici 2025. Pourtant les unités en service seraient en âge de prendre leur retraite, avec leur moyenne d’âge de 18 ans.

Les bénéfices importants, récemment engrangés par les transporteurs, n’ont pas pour autant suscité une ruée vers les chantiers navals, péché d’orgueil de la plupart des armateurs quand ils gagnent de l’argent. S’ils avaient cédé à la tentation, ils auraient été de toute façon déboutés, les chantiers étant au complet jusqu’à 2024 en raison d’un boom de construction. Nonobstant le fait que ces navires, couteaux suisses des mers, sont plus complexes à construire et bien moins intéressants pour les chantiers sur un plan financier (petites séries).

Le manque de capacité garantit des affaires pour une longue période à l’avenir, se frottent les mains les armateurs, qui affichent des capacités complètement réservées pour la plupart dans le cadre de contrats d’affrètement de six à douze mois. La compagnie singapourienne AAL, qui sert traditionnellement les marchés de l’énergie et des mines, est confiante : « Environ 30 % de nos opérations de tramp servent le secteur de l’énergie éolienne, et cette proportion va augmenter car les plus grands navires que nous exploitons offrent des volumes de chargement plus importants et permettent des économies d’échelle significatives. La conception et les spécifications de notre flotte sont également bien adaptées à l’évolution prévue de la taille des composants éoliens pour les dix prochaines années », vante le dirigeant.

Au cœur de la transformation verte

Les exploitants de navires de colis lourds ne considèrent pas non plus la crise énergétique consécutive à l’invasion de l’Ukraine à la Russie comme un élément bloquant pour les investissements dans les projets industriels, notamment du pétrole et du gaz, en hibernation ces dernières années. Ils soulignent même une augmentation des appels d’offres pour de nouveaux projets à grande échelle dans le secteur.

L’armateur allemand UHL, qui a bien étoffé sa flotte pour rassurer ses clients Vestas, Siemens Gamesa et General Electric sur sa capacité à transporter les plus grandes pales d’éoliennes actuellement sur le marché (jusqu’à 120 m), profite aussi de l’essor du pétrole et du gaz. Un marché pourtant en décroissance dans son portefeuille d’activité ces derniers temps et qu’il croyait définitivement condamné.

Alors qu’il a reçu, entre 2019 et 2022 dix-neuf F900 ECO, sans doute l’une des flottes les plus efficientes sur un plan énergétique, le transporteur hambourgeois a commandé deux unités supplémentaires en mai pour livraison en 2024. En août, UHL, dont la flotte comprend actuellement 21 gros-porteurs avec des capacités de charge jusqu’à 900 t, indiquait avoir ses tonnages entièrement réservés pour 2023. S’il estime que le rebond dans les énergies du passé peut être de courte durée, il place une grande confiance dans le marché au plus long cours offert par l’éolien.

Jusqu’à présent, UHL transporte principalement des composants pour l’éolien terrestre, mais compte surtout sur l’éolien en mer dont il estime la percée en 2025. « La transformation verte était déjà bien engagée, mais l’invasion de l’Ukraine par la Russie a fait de l’indépendance vis-à-vis du gaz russe une question d’urgence pour l’Europe », explique Andreas Rolner, directeur général d’UHL, qui avait déjà trouvé l’année 2021 « fantastique ».

L’économie mondiale est au bord de la récession. Les grandes institutions financières ne cessent de revoir leurs projections de croissance, le sentiment négatif chevillé aux indicateurs. Mais l’optimisme règne chez les acteurs de ce marché. Bien qu’en baisse, les taux d’affrètement des navires de charge restent « à des niveaux historiquement élevés », souligne encore Toepfer.

Le segment pourrait être frappé par la récession économique avec un effet différé bien que les investissements dans les nouvelles énergies pourraient contrer cette dégringolade, signifie le courtier. « En raison des longs délais de mise en œuvre des grands projets, les tendances économiques négatives atteignent généralement le marché avec retard. Des indicateurs suggèrent que la croissance actuelle de la demande, en particulier dans le secteur des énergies renouvelables, va atténuer en partie la pression macroéconomique à venir », explicite l’analyste. Décidément toujours entre deux eaux, ces navires si peu conventionnels.

Adeline Descamps

 

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