Le conventionnel entre deux eaux

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Avant le confinement en taille XXL en Chine et les perturbations en mer Noire suite à l’invasion de l’Ukraine par la Russie, les navires polyvalents et colis lourd disposaient de quelques paramètres clés plaidant en sa faveur. Bien que les moteurs de ce marché soient nombreux, l’évolution des taux de fret dans les secteurs concurrents – conteneurs et vrac sec – est actuellement tout aussi déterminante que l’activité économique mondiale.

Après des années de conditions de marché désastreuses et de résultats financiers décevants, les transporteurs de fret spécialisés et de charges lourdes ont été portés ces deux dernières années par un ensemble de facteurs plaidant en leur faveur. Enfin. Cela fait plusieurs années que la promesse d’une conjoncture de meilleure facture était sans cesse ajournée.

L’équilibre de l’offre et de la demande – les rares commandes de navires visaient juste à remplacer le tonnage de la flotte existante –, les plans de relance, qui font la part belle aux infrastructures et sont porteurs de flux potentiels en matériels et matériaux de construction, ainsi que la dynamique de l’éolien à la fois terrestre et offshore, sont censés offrir de bonnes dispositions au secteur.

Pour autant, le facteur déterminant pour le marché des MPV (multipurpose vessel) au cours des 12 derniers mois a surtout été le surplus de marchandises émanant des secteurs concurrents, qu’il s’agisse des conteneurs ou des matières premières, revenus aux sources en raison du manque de porte-conteneurs et de vraquiers pour répondre à une demande forte.

Une pirouette de l’histoire. Ces couteaux suisses des mers ont été sacrément malmenés au cours de la dernière décennie, attaqués sur tous les flancs, par les porte-conteneurs, les vraquiers voire les rouliers, qui ont siphonné leur fret pour remplir les boîtes et les cales quand la demande était déprimée, pour remplir leurs navires commandés en excès ou pour soutenir les activités de dégroupage, traditionnellement liées aux volumes de pétrole et au gaz.

Cette concurrence accrue a contenu les taux d’affrètement au plancher pendant la majeure partie des dix dernières années.

Tarifs stables

Le mois de juillet 2021 restera un marqueur pour le segment. Les taux d’affrètement pour les navires polyvalents et de colis lourds ont dépassé pour la fois depuis 2008 les sommets historiques. Selon l’indice de Drewry (moyenne pondérée des taux d’affrètement à temps de la flotte de marchandises diverses et de colis lourds), les tarifs pour une période d’un an étaient alors supérieurs de près de 50 % à ceux de juillet 2019 (et de 65 % par rapport à 2020 mais qui ne peut pas être une référence).

« Les contraintes de capacité dans les secteurs concurrents, dues à la pénurie des conteneurs, à la congestion des ports et à une demande refoulée pendant l’épidémie, se conjuguent pour créer une tempête parfaite pour la flotte polyvalente », indiquait Drewry, qui anticipait alors une demande en tonnages de polyvalents et de heavy lift en croissance de 3,5 % par an jusqu’en 2025. Le très contagieux variant Delta n’avait pas encore jeté son dévolu. La société de conseil révisera ensuite ces enthousiasmantes perspectives.

Publiée en mai, la dernière projection de Drewry fait état d’un indice stable, à 11 170 $ par jour en avril, le repli du mois précédent ayant été endigué. « Nous nous attendions à un léger fléchissement, mais les taux ont été freinés par les confinements en Chine et les vacances de Pâques prolongées en Europe. Nous nous attendons à ce que la tendance à l’affaiblissement se poursuive en mai, avec une baisse de l’indice, mais de moins de 0,5 %, à 11 120 $ par jour », indique le consultant dont l’indice est un des baromètres du marché.

Comme pour les autres segments du transport maritime, le marché des conventionnels n’échappe pas à l’attentisme des chargeurs, refroidis par la mise sous cloche de Shanghai qui s’éternise et l’élargissement des confinements à une petite cinquantaine de métropoles chinoises, non sans conséquences sur les opérations portuaires et la production manufacturière. Le conflit en cours en Ukraine qui fait plonger le marché de la mer Noire dans les abysses et la flambée des prix du carburant qui pèsent sur les coûts d’exploitation ajoutent aux incertitudes.

Attentisme et incertitudes

Alors que les taux d’affrètement à temps pour les navires polyvalents étaient encore à niveau élevé en mai – en croissance de 151,3 % sur un an –, c’est la première fois en 22 mois que l’indice Toepfer Transport Multipurpose Index (TMI), thermomètre des navires polyvalents, a baissé pavillon, bien qu’il s’agisse d’une baisse marginale de 0,82 %.

Le courtier maritime basé à Hambourg a fait état d’un TMI à 22 577 $ pour le mois de mai 2022, contre 22 764 $ le mois précédent. Pour les six mois à venir, le spécialiste s’attend à une baisse de 4,11 % de l’indice, et à un nouveau recul de 12,45 % sur 12 mois. Après avoir atteint son plus bas niveau en décembre 2020, à savoir 6 381 $/j, l’indice était repassé au-dessus des 7 000 $/j en janvier 2021, dépassant la moyenne quinquennale de 6 953 $/j. Il a ensuite flambé.

« La dynamique du marché s’est quelque peu essoufflée à la lumière des dernières incertitudes liées à la guerre en Ukraine et au verrouillage en Chine, ce qui a également incité les acteurs du marché à être plus prudents dans leurs projections. Toutefois, le sentiment général est positif et l’on s’attend à ce que la demande en Asie rebondisse dès que les confinements seront levés, ce qui donnera un nouvel élan », soulignent les analystes de Toepfer.

Confiance intacte

La confiance dans le marché est en effet de mise au regard de la demande sur le marché de l’occasion et du neuf.

« La disponibilité des navires disponibles à la vente de MPV est extrêmement réduite et il existe encore de nombreux acheteurs capables d’acheter du tonnage aux niveaux de prix élevés actuels », indique par ailleurs le courtier hambourgeois. Sur le marché de l’occasion, les dernières transactions dépassent en effet les prix d’achat obtenus ces derniers mois dans un contexte de forte demande.

L’appétit pour de nouveaux navires est intact. Le singapourien AAL, parmi les dix premiers opérateurs, a récemment étendu sa commande de polyvalents de classe Super B à un total de six unités. L’armateur allemand United Heavy Lift (UHL) a commandé deux autres types de F900 auprès du chantier chinois Hudong (groupe CSSC) et est en pourparlers pour des super-heavylift, également auprès de chantiers chinois. La société a déjà pris livraison de sept navires de cette classe en 2021. Le dernier de la série, le UHL Felicity, a été mis en service cette année. Ces navires sont en fait hérités des contrats de construction passés par Zeamarine, aujourd’hui disparue, dont UHL a repris plusieurs actifs.

La flotte de l’allemand comprend désormais 22 navires, dont 19 F900 de la classe Eco. Il est ainsi appareillé pour transporter les plus grandes pales d’éoliennes actuellement sur le marché, jusqu’à 120 m. De quoi rassurer ses clients Vestas, Siemens Gamesa et General Electric.

Demande refoulée

Bien que les moteurs de ce marché soient nombreux, l’évolution des taux de fret dans les secteurs concurrents (conteneurs et vrac sec) est actuellement tout aussi déterminante que l’activité économique mondiale. Appâtés par les taux de fret inédits dans les boîtes, certains armateurs de colis lourd n’ont pas hésité à envoyer leurs navires sur la ligne régulière, perturbant le marché notamment en contractant la disponibilité des navires. Une stratégie court-termiste et opportuniste à laquelle l’alliance Jumbo SAL, leader sur le segment des colis de plus de 800 t, a refusé de céder pour préserver ses relations avec les chargeurs de l’industrie pétrolière, nucléaire et éolienne.

Les professionnels du marché restent mesurés quant à leurs prévisions, ne s’aventurant pas à délimiter l’horizon de « l’opération spéciale en Ukraine », justifiée par le maître du Kremlin, mais dont les tenants et aboutissants ne sont pas neutres pour le marché des marchandises tout aussi spéciales du conventionnel.

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